Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Les sociétés Axa France et Marinello ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à leur verser respectivement les sommes de 37 297,79 euros et 1 400 euros en réparation des dommages subis lors de la manifestation des " gilets jaunes " du 12 janvier 2019.
Par une ordonnance n° 2203937 du 21 mars 2022, la présidente de section du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 5 mai 2022, les sociétés Axa France et Marinello, représentées par la SELURL Phelip, demandent à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance de la présidente de section du tribunal administratif de
Paris ;
2°) de condamner l'Etat à verser à la société Axa France une somme de 37 297,79 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2019 et de la capitalisation des intérêts échus à chaque échéance annuelle ;
3°) de condamner l'Etat à verser à la société Marinello une somme de 1 400 euros, assortie des intérêts à compter du 27 septembre 2019 et de la capitalisation des intérêts échus à chaque échéance annuelle ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- leur demande devant le tribunal n'était pas tardive ;
- les dégradations dont elles demandent l'indemnisation ont été commises en marge d'une manifestation " gilets jaunes " le 12 janvier 2019 et la responsabilité de l'Etat est dès lors engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ;
- en tout état de cause, ces dégradations n'ont pu être causées qu'en raison de la défaillance des autorités de police ;
- elles ont causé à la société Axa France un préjudice de 37 297,79 euros et à la société Marinello un préjudice de 1 400 euros.
Par une ordonnance du 22 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 décembre 2022 à 12 heures.
Le préfet de police a présenté un mémoire en défense enregistré le 1er mars 2024.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande la société Marinello devant le tribunal en l'absence de demande préalable.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Mme A..., représentant le préfet de police.
Considérant ce qui suit :
1. La société Marinello exploite un commerce de vente d'appareils sanitaires et de produits de décoration, situé boulevard Hausmann, à Paris, dont la vitrine a été brisée, le 12 janvier 2019. Son assureur, la société Axa France, subrogé dans les droits de la société Marinello, a adressé au préfet de police une demande tendant au versement d'une somme de 33 408,88 euros au titre de la responsabilité sans faute de l'Etat, qui a été implicitement rejetée. La société Axa France et la société Marinello relèvent appel de l'ordonnance par laquelle la présidente de section du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande de condamnation de l'Etat.
Sur la régularité de l'ordonnance :
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
3. D'autre part, il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés.
4. Il n'est pas contesté par le préfet de police que la société Axa France lui a adressé un recours le 27 septembre 2019 tendant à mettre en jeu la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, dont il n'a pas accusé réception et auquel il n'a pas répondu. Les voies et délais de recours n'ayant pas été notifiés à la société Axa France, aucun délai de forclusion ne pouvait être opposé à sa demande, enregistrée le 11 février 2022. Par suite, la société Axa France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la présidente de section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme tardive.
5. En revanche, la société Marinello n'établit pas ni même n'allègue avoir adressé une demande d'indemnisation au préfet de police préalablement à la saisine du tribunal, alors que la demande préalable formée par la société Axa France n'a été faite qu'au nom de cette dernière et qu'il ne résulte en tout état de cause pas de l'instruction qu'elle avait qualité pour former cette demande au nom de la société Marinello. Par suite, la société Marinello n'est pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, la présidente de section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Axa France devant le tribunal administratif de Paris.
Sur la responsabilité de l'Etat :
7. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ".
8. Selon les déclarations non contestées à la police de l'assistante de direction du commerce exploité par la société Marinello, lesquelles ne sont pas contredites par les éléments de l'instruction, la vitrine du magasin aurait été dégradée le 12 janvier 2019, entre 18h et 18h30. Il résulte de l'instruction qu'avait lieu, le jour même, une manifestation de " gilets jaunes " dans le quartier de la place de l'Etoile, laquelle a dégénéré en émeutes dans ce secteur. En l'absence de tout élément de nature à établir que les dommages subis par le commerce exploité par la société Marinello auraient été le fait de groupes isolés constitués et organisés dans le seul but de commettre des délits, la dégradation de la vitrine du magasin doit être regardée, compte tenu de sa concomitance géographique et temporelle avec un rassemblement de gilets jaunes, comme ayant été causée dans le cadre de celui-ci ou dans son prolongement immédiat. Par suite, la société Axa France est fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
Sur les préjudices :
9. Il résulte de l'instruction que la dégradation de la vitrine du commerce exploité par la société Marinello a impliqué son remplacement pour un coût de 14 941 euros et des frais de gardiennage à hauteur de 841,46 euros, soit un total de 15 782,46 euros, dont il convient de déduire la franchise de 10 % restée à la charge de la société Marinello, comme le retient le rapport d'expertise et comme le prévoit le contrat d'assurance entre la société Axa France et la société Marinello. Si la société Marinello a également été amenée à poser des protections en bois sur sa vitrine, le rapport de l'expert fait état de plusieurs poses, à des dates s'échelonnant sur plusieurs mois, révélant que ces panneaux ont été posés ponctuellement, à titre préventif. Leur pose ne présente par conséquent pas un lien direct avec les dégradations commises le
12 janvier 2019. Il résulte enfin de l'instruction que les frais de l'expertise à laquelle a eu recours la société Axa France, qui est utile à la solution du litige, s'élèvent à un montant de 1 800 euros. Dans ces conditions, la société Axa France est fondée à demander à être indemnisée à hauteur de 16 004,21 euros. Il y a lieu d'assortir cette somme des intérêts moratoires à compter du 27 septembre 2019, date de la demande préalable d'indemnisation de la société Axa France. Ces intérêts seront capitalisés le 11 février 2022, date à laquelle la capitalisation a été demandée pour la première fois et à laquelle était due plus d'une année d'intérêts, et à chaque échéance annuelle.
Sur les frais du litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Axa France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2203937 du 21 mars 2022 de la présidente de section du tribunal administratif de Paris est annulée en tant qu'elle a rejeté la demande de la société Axa France.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société Axa France une somme de 16 004,21 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 27 septembre 2019 et de la capitalisation des intérêts le 11 février 2022 et à chaque échéance annuelle.
Article 3 : L'Etat versera à la société Axa France une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Axa France, à la société Marinello et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 avril 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA02072