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02/07/2024 | FRANCE | N°23PA03486

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 02 juillet 2024, 23PA03486


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 4 novembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux

ans.



Par un jugement n° 2117027 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Montreui...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 4 novembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2117027 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Mileo, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous la même astreinte, et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de titre de séjour a été prise par une autorité territorialement incompétente ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet a considéré qu'elle ne peut être regardée comme séjournant en France depuis une date antérieure au délai d'exécution de la mesure d'éloignement dont elle a fait l'objet le 11 septembre 2018 ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou du pouvoir de régularisation du préfet, notamment pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels ;

- elle méconnaît les stipulations du point 2.3.3 du protocole relatif à la gestion concertée des migrations, signé à Tunis le 28 avril 2008 ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La requête de Mme A... a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;

- l'accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie et le protocole relatif à la gestion concertée des migrations, signés à Tunis le 28 avril 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur,

- et les observations de Me Mileo, avocate de Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante tunisienne, née le 2 novembre 1992 et entrée en France, selon ses déclarations, le 26 novembre 2016, a sollicité, le 28 janvier 2021, son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 4 novembre 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Mme A... fait appel du jugement du 29 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives aux titres de séjour qui peuvent être délivrés aux étrangers et aux conditions de délivrance de ces titres s'appliquent, ainsi que le rappelle l'article L. 110-1 du même code, sous réserve des conventions internationales. En ce qui concerne les ressortissants tunisiens, l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 susvisé stipule que " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation ". L'article 3 du même accord stipule que " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " (...) ". Le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008, stipule, à son point 2.3.3, que " Le titre de séjour portant la mention " salarié ", prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'Accord du 17 mars 1988 modifié, est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent Protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (...) ". Par ailleurs, l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui dispose que " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ", n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 435-1 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

3. Il ressort des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas contesté en défense, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'ayant produit aucune observation, que Mme A..., entrée en France, via l'Espagne, au mois de novembre 2016, y a rejoint les membres de sa famille qui y séjournent, notamment son père, de nationalité française, et sa mère, titulaire d'une carte de résident, qui l'hébergent, ainsi que ses quatre frères et sœurs, trois étant de nationalité française et sa sœur Fatma étant titulaire d'une carte de séjour de membre de famille d'un citoyen de l'Union européenne. En outre, elle justifie, par les pièces produites en première instance et en appel, y résider habituellement depuis lors avec ses parents dont elle s'occupe dans la vie quotidienne en raison de leur âge et de leur état de santé et soutient, sans être contestée sur ce point, ne plus avoir d'attaches familiales dans son pays. Enfin, l'intéressée, titulaire d'un diplôme en pâtisserie obtenu en Tunisie, justifie également d'une insertion professionnelle en France, en ayant travaillé depuis le mois de novembre 2017 comme vendeuse dans différentes boulangeries et depuis le 3 janvier 2019, sous contrat à durée indéterminée, auprès de la société " Moulin Doré ". Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce, notamment de la durée du séjour en France de Mme A... et de l'intensité des liens familiaux dont elle peut se prévaloir sur le territoire national et alors même qu'elle a vécu en Tunisie jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans, qu'elle est célibataire et qu'elle a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement en date du 11 septembre 2018, le préfet de la Seine-Saint-Denis, en refusant, par son arrêté du 4 novembre 2021, de régulariser sa situation au regard du séjour, doit être regardé comme ayant commis une erreur manifeste dans son appréciation de la situation de l'intéressée. Il suit de là que la requérante est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision attaquée portant refus de titre de séjour et, par voie de conséquence, de celles portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français qui l'assortissent.

4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par la requérante, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 novembre 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

6. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 3, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Seine-Saint-Denis ou tout préfet territorialement compétent délivre à Mme A..., en application de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Ainsi et en l'absence d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait propres à la présente espèce invoqué par l'autorité préfectorale, il y a lieu d'ordonner au préfet de la Seine-Saint-Denis ou à tout préfet territorialement compétent de procéder à la délivrance de ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2117027 du 29 juin 2023 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du 4 novembre 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou à tout préfet territorialement compétent de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseure la plus ancienne,

L. d'ARGENLIEU

La greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA03486 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03486
Date de la décision : 02/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : MILEO

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;23pa03486 ?
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