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30/07/2024 | FRANCE | N°22PA04041

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 30 juillet 2024, 22PA04041


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler d'une part la délibération modifiée n° 2021-43/API du 22 avril 2021 de l'assemblée de la province des Iles Loyauté relative à l'arrêt de la prise en charge du financement des compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière d'aide médicale, et d'autre part la dél

ibération n° 2021-44/API du 22 avril 2021 de l'assemblée de la province des Iles Loyauté re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler d'une part la délibération modifiée n° 2021-43/API du 22 avril 2021 de l'assemblée de la province des Iles Loyauté relative à l'arrêt de la prise en charge du financement des compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière d'aide médicale, et d'autre part la délibération n° 2021-44/API du 22 avril 2021 de l'assemblée de la province des Iles Loyauté relative à l'arrêt de la participation au fonds autonome de compensation des transports sanitaires terrestres et des urgences ambulancières et au fonds autonome de compensation en santé publique.

Par un jugement n° 2100210, 2100211 du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé, à la demande de la CAFAT, les deux délibérations du 22 avril 2021 de l'assemblée de la province des Iles Loyauté.

Procédure devant la Cour :

I/ Par une requête et des mémoires en réplique, enregistrés respectivement le 2 septembre 2022, le 3 avril 2023, et le 7 juillet 2023 sous le n° 22PA04041, l'assemblée de la province des Iles Loyauté, représentée par Me Claveleau, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100210, 2100211 du 9 juin 2022 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie en tant qu'il a annulé la délibération modifiée n° 2021-43/API du 22 avril 2021 de l'assemblée de la province des Iles Loyauté relative à l'arrêt de la prise en charge du financement des compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière d'aide médicale ;

2°) de rejeter la demande présentée par la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

3°) de mettre à la charge de la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) le versement de la somme de 600 000 F CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a procédé à une requalification d'un moyen soulevé par la CAFAT en estimant que celle-ci soutenait que la province des Iles Loyauté aurait commis une erreur de droit en se fondant sur la " compétence exclusive " de la Nouvelle-Calédonie en matière de santé et d'aide médicale afin de justifier de l'arrêt du financement du dispositif visé par la délibération litigeuse ; or, il ne ressort pas de la requête de la CAFAT, ni de son mémoire en réplique, qu'un tel moyen ait été expressément invoqué à l'encontre de la délibération contestée ; en statuant ainsi, et en procédant à une requalification de ce moyen, le tribunal a substitué sa propre appréciation des moyens soulevés et statué ultra petita en modifiant les prétentions de la requérante ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, la demande introductive de première instance de la CAFAT était irrecevable à un double titre : le défaut de qualité à agir du directeur de la CAFAT et l'absence d'intérêt à agir de la CAFAT ;

- il ressort des termes de la délibération contestée que l'assemblée de la province des Iles Loyauté a décidé de cesser de financer les seules compétences visées par la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 et la délibération n° 2001-12/API du 29 août 2001 ; ne sont visées que les compétences déléguées par la Nouvelle-Calédonie, lesquelles en l'absence de convention, correspondent à des compétences déléguées de fait en application de l'article 47 de la loi organique, comme le confirme l'article 4 de la délibération contestée ; il ne s'agit donc pas, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, du renoncement par la province des Iles Loyauté du financement de toutes les compétences relatives à l'aide médicale mais bien de celles qui ont été déléguées ;

- contrairement à ce que soutient la CAFAT, l'adoption de la loi organique n° 99-209 du

19 mars 1999 a changé la répartition des compétences en la matière, dans la mesure où la Nouvelle-Calédonie est devenue pleinement compétente en matière de protection sociale, et non plus seulement s'agissant de sa règlementation ; dans un avis rendu le 28 mars 2000, le Conseil d'Etat a confirmé que les provinces n'ont pas de compétence de droit commun en matière de protection sociale et que celle-ci appartient de manière pleine et entière à la Nouvelle-Calédonie ; c'est à tort que la CAFAT soutient que le dernier alinéa de l'article 181 III de la loi organique confirmerait la volonté du législateur organique, par l'attribution d'une fraction de la dotation globale de fonctionnement, de lui confier la compétence de gestion de l'aide médicale et d'assurer le financement de l'aide médicale, dès lors que cette quote-part de la dotation globale de fonctionnement, qui s'élève en moyenne à 1,4 milliard par an, ne couvre pas le coût réel de l'aide médicale supporté par la province des Iles Loyauté (3 milliards hors masse salariale), que la dotation globale de fonctionnement ne sert pas uniquement à financer l'aide médicale et, enfin, que cette disposition de la loi organique a été adoptée sans préjudice de la répartition des compétences en la matière ; la seule formulation d'une demande de délégation de compétence par une province ne suffit pas à entraîner de droit cette délégation et à la rendre compétente pour assurer la gestion et le financement de l'aide médicale ; celle-ci doit donner lieu à une convention entre la Nouvelle-Calédonie et la province concernée, laquelle doit comprendre les transferts des moyens permettant leur exercice normal ; si la province des Iles Loyauté a formulé une demande de délégation de compétence en 2001, aucune convention n'a toutefois été signée et, en conséquence, les transferts des moyens permettant l'exercice de cette compétence n'ont pas été prévus ;

- c'est à tort que la CAFAT considère que la délibération litigieuse serait contraire à la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et à l'aide sociale, ainsi qu'à la loi du pays du 11 janvier 2002 ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que la province des Iles Loyauté, pour justifier la légalité de la délibération litigieuse, ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'une délibération n° 92-2020 du 3 décembre 2020 de l'assemblée de la province Sud, ayant un objet similaire à celui des délibérations attaquées, n'a pas été contestée par la CAFAT alors, au demeurant, que cette délibération ne porte que sur les compétences expressément déléguées par la Nouvelle-Calédonie et non sur celles directement dévolues à cette province par la loi organique, dès lors qu'aucune compétence n'est directement dévolue à la province des Iles Loyauté ;

- la province des Iles Loyauté n'est pas opposée au fait d'exercer une compétence dans les conditions règlementaires prévues par la délibération cadre et à signer une convention en ce sens avec la Nouvelle-Calédonie, comme l'indique les articles 3 et 4 de la délibération contestée.

Par des mémoires distincts enregistrés respectivement le 3 avril 2023 et le 30 juin 2023, l'assemblée de la province des Iles Loyauté, représentée par Me Claveleau, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article Lp. 1er de la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2001 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie et l'article 2 (2ème alinéa) de la délibération-cadre n° 49 du 28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et aux aides sociales qui font reposer le financement de l'aide médicale sur le budget des provinces.

Elle soutient que :

- les dispositions de valeur législative, et non pas de valeur réglementaire, de la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et à l'aide sociale et la loi du pays modifiée n° 2001-016 du 11 janvier 2001, qui mettent à sa charge exclusive le coût de l'aide médicale, alors qu'il devrait être supporté, ou à tout le moins compensé par la Nouvelle-Calédonie, sont contraires à des principes constitutionnellement garantis ; d'une part, l'ingérence de la Nouvelle-Calédonie et des choix du Congrès en matière budgétaire font supporter par le budget des provinces l'intégralité du coût de l'aide médicale, ce qui constitue une atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ; d'autre part, les dispositions de l'article Lp. 1er de la loi du pays modifiée n° 2001-016 du 11 janvier 2001 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie et de l'article 2 alinéa 2 de la délibération cadre n° 49 du 28 décembre 1989 portent atteinte à la répartition des compétences établies par la loi organique modifiée n° 99-209 du 19 mars 1999 entre la Nouvelle-Calédonie et les provinces, la Nouvelle-Calédonie détenant la compétence en matière de protection sociale et faisant ainsi supporter le coût de l'aide médicale sur les provinces qui n'interviennent que pour le compte de la Nouvelle-Calédonie ; enfin, les dispositions contestées de la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et à l'aide sociale et la loi du pays modifiée n° 2001-016 du 11 janvier 2001 sont également contraires aux principes constitutionnels qui se dégagent du document d'orientation de l'Accord de Nouméa du

5 mai 1998, dont la valeur constitutionnelle est consacrée par le titre XIII de la Constitution du

5 octobre 1958, et notamment de son point 4.3.2 qui dispose qu'" une couverture sociale généralisée sera mise en place ".

Par un mémoire en défense et des nouveaux mémoires, enregistrés respectivement le

15 novembre 2022 et le 9 juin 2023, la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT), représentée par Me Royanez, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement la somme de 600 000 F CFP soit mis à la charge de l'assemblée de la province des Iles Loyauté sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par l'assemblée de la province des Iles Loyauté ne sont pas fondés.

II/ Par une requête et des mémoires en réplique, enregistrés respectivement le 2 septembre 2022, le 3 avril 2023 et le 7 juillet 2023 sous le n° 22PA04042, l'assemblée de la province des Iles Loyauté, représentée par Me Claveleau, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100210, 2100211 du 9 juin 2022 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie en tant qu'il a annulé la délibération modifiée n° 2021-44/API du 22 avril 2021 de l'assemblée de la province des Iles Loyauté relative à l'arrêt de la participation au fonds autonome de compensation des transports sanitaires terrestres et des urgences ambulancières et au fonds autonome de compensation en santé publique ;

2°) de rejeter la demande présentée par la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

3°) de mettre à la charge de la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) le versement de la somme de 600 000 F CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a procédé à une requalification d'un moyen soulevé par la CAFAT en estimant que celle-ci soutenait que la province des Iles Loyauté aurait commis une erreur de droit en se fondant sur la " compétence exclusive " de la Nouvelle-Calédonie en matière de santé et d'aide médicale afin de justifier de l'arrêt du financement du dispositif visé par la délibération litigeuse ; or, il ne ressort pas de la requête de la CAFAT, ni de son mémoire en réplique, qu'un tel moyen ait été expressément invoqué à l'encontre de la délibération contestée ; en statuant ainsi, et en procédant à une requalification de ce moyen, le tribunal a substitué sa propre appréciation des moyens soulevés et statué ultra petita en modifiant les prétentions de la requérante ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, la demande introductive de première instance de la CAFAT était irrecevable à un double titre : le défaut de qualité à agir du directeur de la CAFAT et l'absence d'intérêt à agir de la CAFAT ;

- il ressort des termes de la délibération contestée que l'assemblée de la province des Iles Loyauté a décidé de cesser de financer les seules compétences visées par la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 et la délibération n° 2001-12/API du 29 août 2001 ; ne sont visées que les compétences déléguées par la Nouvelle-Calédonie, lesquelles en l'absence de convention, correspondent à des compétences déléguées de fait en application de l'article 47 de la loi organique, comme le confirme l'article 4 de la délibération contestée ; il ne s'agit donc pas, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, du renoncement par la province des Iles Loyauté du financement de toutes les compétences relatives à l'aide médicale mais bien de celles qui ont été déléguées ;

- contrairement à ce que soutient la CAFAT, l'adoption de la loi organique n° 99-209 du

19 mars 1999 a changé la répartition des compétences en la matière, dans la mesure où la Nouvelle-Calédonie est devenue pleinement compétente en matière de protection sociale, et non plus seulement s'agissant de sa règlementation ; dans un avis rendu le 28 mars 2000, le Conseil d'Etat a confirmé que les provinces n'ont pas de compétence de droit commun en matière de protection sociale et que celle-ci appartient de manière pleine et entière à la Nouvelle-Calédonie ; c'est à tort que la CAFAT soutient que le dernier alinéa de l'article 181 III de la loi organique confirmerait la volonté du législateur organique, par l'attribution d'une fraction de la dotation globale de fonctionnement, de lui confier la compétence de gestion de l'aide médicale et d'assurer le financement de l'aide médicale, dès lors que cette quote-part de la dotation globale de fonctionnement, qui s'élève en moyenne à 1,4 milliard par an, ne couvre pas le coût réel de l'aide médicale supporté par la province des Iles Loyauté (3 milliards hors masse salariale), que la dotation globale de fonctionnement ne sert pas uniquement à financer l'aide médicale et, enfin, que cette disposition de la loi organique a été adoptée sans préjudice de la répartition des compétences en la matière ; la seule formulation d'une demande de délégation de compétence par une province ne suffit pas à entraîner de droit cette délégation et à la rendre compétente pour assurer la gestion et le financement de l'aide médicale ; celle-ci doit donner lieu à une convention entre la Nouvelle-Calédonie et la province concernée, laquelle doit comprendre les transferts des moyens permettant leur exercice normal ; si la province des Iles Loyauté a formulé une demande de délégation de compétence en 2001, aucune convention n'a toutefois été signée et, en conséquence, les transferts des moyens permettant l'exercice de cette compétence n'ont pas été prévus ;

- c'est à tort que la CAFAT considère que la délibération litigieuse serait contraire à la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et à l'aide sociale, ainsi qu'à la loi du pays du 11 janvier 2002 ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que la province des Iles Loyauté, pour justifier la légalité de la délibération litigieuse, ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'une délibération n° 92-2020 du 3 décembre 2020 de l'assemblée de la province Sud, ayant un objet similaire à celui des délibérations attaquées, n'a pas été contestée par la CAFAT alors, au demeurant, que cette délibération ne porte que sur les compétences expressément déléguées par la Nouvelle-Calédonie et non sur celles directement dévolues à cette province par la loi organique, dès lors qu'aucune compétence n'est directement dévolue à la province des Iles Loyauté ;

- la province des Iles Loyauté n'est pas opposée au fait d'exercer une compétence dans les conditions règlementaires prévues par la délibération cadre et à signer une convention en ce sens avec la Nouvelle-Calédonie, comme l'indique les articles 3 et 4 de la délibération contestée.

Par des mémoires distincts enregistrés respectivement le 3 avril 2023 et le 30 juin 2023, l'assemblée de la province des Iles Loyauté, représentée par Me Claveleau, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article Lp. 1er de la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2001 relative à la Sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie et de l'article 2 (2ème alinéa) de la délibération-cadre n° 49 du 28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et aux aides sociales qui font reposer le financement de l'aide médicale sur le budget des provinces.

Elle soutient que :

- les dispositions de valeur législative, et non pas de valeur réglementaire, de la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et à l'aide sociale et la loi du pays modifiée n° 2001-016 du 11 janvier 2001, qui mettent à sa charge exclusive le coût de l'aide médicale, alors qu'il devrait être supporté, ou à tout le moins compensé par la Nouvelle-Calédonie, sont contraires à des principes constitutionnellement garantis ; d'une part, l'ingérence de la Nouvelle-Calédonie et des choix du Congrès en matière budgétaire font supporter par le budget des provinces l'intégralité du coût de l'aide médicale, ce qui constitue une atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ; d'autre part, les dispositions de l'article Lp. 1er de la loi du pays modifiée n° 2001-016 du 11 janvier 2001 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie et de l'article 2 alinéa 2 de la délibération cadre n° 49 du 28 décembre 1989 portent atteinte à la répartition des compétences établies par la loi organique modifiée n° 99-209 du 19 mars 1999 entre la Nouvelle-Calédonie et les provinces, la Nouvelle-Calédonie détenant la compétence en matière de protection sociale et faisant ainsi supporter le coût de l'aide médicale sur les provinces qui n'interviennent que pour le compte de la Nouvelle-Calédonie ; enfin, les dispositions contestées de la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et à l'aide sociale et la loi du pays modifiée n° 2001-016 du 11 janvier 2001 sont également contraires aux principes constitutionnels qui se dégagent du document d'orientation de l'Accord de Nouméa du

5 mai 1998, dont la valeur constitutionnelle est consacrée par le titre XIII de la Constitution du

5 octobre 1958, et notamment de son point 4.3.2 qui dispose qu'" une couverture sociale généralisée sera mise en place ".

Par un mémoire en défense et des nouveaux mémoires, enregistrés respectivement le

15 novembre 2022 et le 9 juin 2023, la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT), représentée par Me Royanez, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement la somme de 600 000 F CFP soit mis à la charge de l'assemblée de la province des Iles Loyauté sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par l'assemblée de la province des Iles Loyauté ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;

- la délibération-cadre n° 49 du 28 décembre 1989 ;

- la délibération n° 90-16/API du 31 janvier 1990 ;

- la délibération n° 459 du 27 janvier 1994 ;

- l'avis n° 364687 du 28 mars 2000 ;

- l'avis n° 402003 du 27 avril 2021 ;

- la délibération n° 280 du 19 décembre 2001 ;

- la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2002 ;

- la délibération n° 10 du 8 septembre 2004 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Kukuryka, représentant l'assemblée de la province des Iles Loyauté.

Considérant ce qui suit :

1. Par la première délibération litigieuse n° 2021-43/API du 22 avril 2021, modifiée par la délibération du 20 juillet 2021 du bureau de l'assemblée de la province, l'assemblée de la province des Iles Loyauté a décidé, dans son article 1er, " à compter du 1er janvier 2022, [qu'elle] cesse de financer les compétences visées par la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 et la délibération n° 2001-12/API du 29 août 2001 ", dans son article 2, que " le bureau de l'assemblée de province est habilité à différer la date fixée à l'article 1er au plus tard au 1er janvier 2022 ", dans son article 3 que, " toutefois, si la province des Iles Loyauté et la Nouvelle-Calédonie décident d'encadrer la délégation de la compétence en matière d'aide médicale comprenant le transfert de moyens permettant son exercice normal, le président de l'assemblée de province est habilité à signer toutes conventions en ce sens " et, dans son article 4, qu' " en cas de fin de délégation de compétence en matière d'aide médicale, prévue à l'article 47 de la loi organique modifiée 99-209 du 19 mars 1999, le président de l'assemblée de province est habilité à signer les conventions de mise à disposition de personnels provinciaux pour une durée maximale d'un an et ce, afin d'assurer la continuité du service public ". Cette délibération est ainsi motivée : " Considérant que la Nouvelle-Calédonie détient une compétence intégrale en matière de santé et de protection sociale, que l'aide médicale est une aide sociale constituant un des volets essentiels de la protection sociale, que les provinces ont continué à gérer l'aide médicale par délégation de fait en l'absence de convention de délégation de compétence lors de son transfert à la Nouvelle-Calédonie, que la fraction de la dotation globale de financement versée par l'État à ce titre ne suffit pas à couvrir le coût réel de ce dispositif, et que la Nouvelle-Calédonie n'a jamais transféré de moyens permettant son exercice normal. ".

2. Par la seconde délibération litigieuse n° 2021-44/API du 22 avril 2021, l'assemblée de la province des Iles Loyauté a décidé, " à compter de l'exercice 2021, (...) de cesser de participer au fonds autonome de compensation des transports sanitaires terrestres et des urgences ambulancières (FACTUR) et au fonds autonome de compensation en santé public (FASCP) ". Cette délibération est ainsi motivée : " Considérant que la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière d'aide médicale, que les provinces ont participé au fonds autonome de compensation des transports sanitaires terrestres et des urgences ambulancières (FACTUR) et au fonds autonome de compensation en santé public (FASCP) au seul titre de l'aide médicale, que la Nouvelle-Calédonie doit donc participer seule au FACTUR et au FACSP, d'autant que la province n'est toujours pas dotée d'un hôpital territorial répondant aux besoins de sa population qui subit déjà l'insularité géographique, alors que le CMS de Wé devrait être structuré en ce sens, et qu'ainsi la province n'a pas inscrit ces dépenses à son budget primitif pour l'exercice 2021. ".

3. Par le jugement attaqué n° 2100210 du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé, à la demande de la CAFAT, les deux délibérations du 22 avril 2021 de l'assemblée de la province des Iles Loyauté.

4. Les requêtes de l'assemblée de la province des Iles Loyauté, enregistrées sous les numéros 22PA04041 et 22PA04042, sont dirigées contre le même jugement, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :

5. Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance susvisée du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, auquel renvoie l'article LO 771-1 du code de justice administrative : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : /1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. (...) ".

6. La province des Iles Loyauté demande à la Cour de transmettre au Conseil d'État, sur le fondement des dispositions précitées, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article Lp. 1er de la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2001 relative à la Sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie et de l'article 2 (2ème alinéa) de la délibération-cadre n° 49 du 28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et aux aides sociales qui font reposer le financement de l'aide médicale sur le budget des provinces.

7. En premier lieu, si, aux termes du deuxième alinéa de l'article 107 de la loi organique susvisée du 19 mars 1999, " les dispositions d'une loi du pays peuvent faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-12 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ", les dispositions contestées de l'article 2 de la délibération-cadre n° 49 du 28 décembre 1989 susvisée, qui disposent que " les aides servies dans le cadre des présentes dispositions sont imputées sur le budget de la province de rattachement du bénéficiaire ", sont antérieures à la loi organique du 19 mars 1999, qui a créé la catégorie des lois du pays, et ne sont, par définition, pas issues d'une telle loi. Ces dispositions, qui ont un caractère règlementaire, ne sont donc pas au nombre des dispositions législatives visées par l'article 61-1 de la Constitution et l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Elles ne sont, en conséquence, pas susceptibles de faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité.

8. En second lieu, aux termes du 3ème alinéa de l'article Lp. 1er de la loi du pays du

11 janvier 2002 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie : " Les mutuelles, les provinces et la Nouvelle-Calédonie au titre de l'aide médicale, participent à la gestion du risque maladie ". D'une part, ces dispositions se bornent à mettre en œuvre la répartition des compétences issues de la loi organique du 19 mars 1999, qui a été déclarée conforme à la Constitution, hormis le 5 ° du I de l'article 195 et le quatrième alinéa de l'article 217 et sous certaines réserves d'interprétation, par la décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999. D'autre part, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de faire peser les dépenses afférentes à l'aide médicale sur les provinces. Enfin, la loi organique du 19 mars 1999 ayant été adoptée sur le fondement de l'article 76 de la Constitution, elle ne saurait être regardée comme étant au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit au sens de l'article 61-1 de la Constitution.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question de constitutionnalité soulevée par la province des Iles Loyauté est dépourvue de caractère sérieux et qu'il n'y a dès lors pas lieu de la transmettre au Conseil d'État.

Sur la régularité du jugement attaqué :

10. L'assemblée de la province des Iles Loyauté soutient que le tribunal administratif aurait procédé à une requalification d'un moyen soulevé par la CAFAT en estimant que celle-ci soutenait que la province des Iles Loyauté aurait commis une erreur de droit en se fondant sur la " compétence exclusive " ou " compétence intégrale " de la Nouvelle-Calédonie en matière de santé et d'aide médicale afin de justifier de l'arrêt du financement du dispositif visé par la délibération contestée et aurait ainsi substitué sa propre appréciation des moyens soulevés à celle de la requérante et statué ultra petita. Toutefois, d'une part, l'expression de " compétence intégrale " ressort de la motivation elle-même de la première délibération contestée, citée ci-dessus. D'autre part, le moyen tiré de l'erreur de droit qui entachait les délibérations querellées, relative aux compétences respectives de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, avait été soulevé par la CAFAT dès sa requête introductive de première instance et avait été réitéré dans son mémoire en réplique enregistré le 21 janvier 2022, dans lequel la CAFAT soutenait notamment que " contrairement à ce qu'affirme la province des Iles Loyauté, la CAFAT ne reconnaît pas que la compétence de l'aide médicale relève de la compétence pleine et entière de la Nouvelle-Calédonie lorsqu'il s'agit d'appliquer la règlementation en vigueur ".

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

S'agissant de la qualité pour agir en première instance du directeur de la CAFAT :

11. Aux termes de l'article Lp. 108 de la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2002 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie : " Le conseil d'administration désigne en son sein un président, un vice-président et un secrétaire qui composent le bureau, selon des modalités fixées par délibération du congrès de la Nouvelle-Calédonie. Les prérogatives du président du conseil d'administration sont précisées par une délibération du congrès de la Nouvelle-Calédonie. ". Aux termes de l'article 52 de la délibération n° 280 du 19 décembre 2001 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie : " Les dispositions suivantes sont prises en application de l'article Lp. 108 de la loi du pays relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie / (...) / Sans préjudice des dispositions de l'article Lp. 114 de la loi du pays relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie, [le président] représente la caisse en justice et dans tous les actes de la vie civile. Pour l'accomplissement de ces dernières attributions, il peut donner, sous son contrôle et sous sa responsabilité, délégation au directeur de la caisse par mandat spécial ou général. ". Aux termes de l'acte du 14 juin 2021, M. Jean-Pierre Kabar, président du conseil d'administration de la CAFAT, a donné mandat à M. C... B..., directeur de la CAFAT, " pour représenter cette dernière dans le cadre de son recours pour excès de pouvoir contre les délibérations

n° 2021-44/API et n° 2021-43/API ". Enfin, aux termes de l'article Lp. 114 de la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2002 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie : " Les services de la caisse sont placés sous l'autorité d'un directeur. / Le directeur décide des actions en justice à intenter au nom de la caisse dans les matières concernant les rapports de ladite caisse avec les bénéficiaires des prestations, les cotisants, les producteurs de biens et services médicaux et les établissements de santé ainsi qu'avec son personnel, à l'exception du directeur lui-même. / Dans ces matières, il représente la caisse en justice et dans tous les actes de la vie civile. Il peut donner mandat à cet effet à certains agents de la caisse. / Il informe périodiquement le conseil d'administration des actions qu'il a engagées, de leur déroulement et de leurs suites. ".

12. D'une part, il ressort des pièces des dossiers en litige que, par un acte du 14 juin 2021, M. Jean-Pierre Kabar, président du conseil d'administration de la CAFAT, a donné mandat, comme il pouvait régulièrement le faire sur le fondement des dispositions précitées de l'article 52 de la délibération n° 280 du 19 décembre 2001, à M. C... B..., directeur de la CAFAT, pour représenter cette dernière dans son recours pour excès de pouvoir dirigé contre les délibérations n° 2021-44/API et n° 2021-43/API. La circonstance que les dispositions de l'article Lp. 114 de la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2002, citées au demeurant à titre surabondant, précise que " Le directeur décide des actions en justice à intenter au nom de la caisse dans les matières concernant les rapports de ladite caisse avec les bénéficiaires des prestations, les cotisants, les producteurs de biens et services médicaux et les établissements de santé ainsi qu'avec son personnel, à l'exception du directeur lui-même. / Dans ces matières, il représente la caisse en justice et dans tous les actes de la vie civile. ", est sans incidence sur la délégation donnée par le président du conseil d'administration au directeur de la caisse par mandat spécial du 14 juin 2021.

13. D'autre part, si l'assemblée de la province des Iles Loyauté soutient que le mandat spécial du 14 juin 2021 donné par le président du conseil d'administration au directeur de la CAFAT pour représenter cette dernière dans le cadre du recours pour excès de pouvoir initial vise la délibération du conseil d'administration n° CA 19/2021 du 4 juin 2021 sans que celle-ci n'ait été produite dans ces instances, le visa, dans l'acte du 14 juin 2021, de cette délibération du conseil d'administration n° CA 19/2021 du 4 juin 2021, est surabondant, la délégation pouvant être donnée sur le seul fondement des dispositions précitées de l'article 52 de la délibération n° 280 du

19 décembre 2001.

14. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que M. C... B... avait qualité pour représenter la CAFAT dans le cadre de ces instances.

S'agissant de l'intérêt pour agir en première instance de la CAFAT :

15. Aux termes de l'article Lp. 1er de la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2001 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie : " Le régime général de sécurité sociale de Nouvelle-Calédonie comprend cinq branches : / 1) maladie, maternité, invalidité et décès ; / 2) accidents du travail et maladies professionnelles ; / 3) vieillesse et veuvage ; / 4) famille ; / 5) chômage. / Ces cinq branches sont gérées par la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de la Nouvelle-Calédonie. Les mutuelles, les provinces et la Nouvelle-Calédonie au titre de l'aide médicale, participent à la gestion du risque maladie. ". Aux termes de l'article 2 de la délibération cadre n° 49 du 28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et aux aides sociales : " L'admission à l'aide médicale et aux aides sociales susvisées est prononcée par l'exécutif de la province, le postulant devant faite la preuve de ses ressources et de sa résidence. Les aides servies dans le cadre des présentes dispositions sont imputées sur le budget de la province de rattachement du bénéficiaire. / (...) ". Aux termes, par ailleurs, de l'article 1er de la délibération n° 459 du 27 janvier 1994 relative à la création d'un Fonds Autonome de compensation des transports sanitaires terrestres et des urgences ambulancières : " Il est créé, à compter du 1er janvier 1994, un Fonds Autonome de compensation des transports sanitaires terrestres d'urgence à l'intérieur du Territoire et des urgences dites ambulancières (pour Nouméa et le Grand Nouméa), financé par les principaux débiteurs institutionnels suivants : / - la caisse de compensation des prestations familiales et des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances (C.A.F.A.T.), / - les Provinces en ce qui concerne l'aide médicale. ". Aux termes de l'article 3 de cette même délibération : " Ce Fonds est administré par un comité de gestion composé d'un représentant de chacun des organismes cités à l'article 1er de la présente délibération, désigné par les autorités responsables. / (...) ". Aux termes enfin de l'article 1er de la délibération n° 10 du 8 septembre 2004 portant création d'un fonds autonome de compensation en santé publique : " Il est créé un fonds autonome de compensation en santé publique. Ce fonds est géré par la CAFAT. / Il est financé par : / - la CAFAT au titre du régime unifié d'assurance maladie maternité ; / - la Nouvelle-Calédonie, directement ou par l'intermédiaire de son agence sanitaire et sociale, et les provinces au titre de l'aide médicale. ".

16. La CAFAT, en sa qualité, d'une part, de gestionnaire du régime général de sécurité sociale de Nouvelle-Calédonie et notamment de la branche afférente au risque maladie, d'autre part, de personne chargée tant de la gestion que du co-financement du fonds autonome de compensation en santé publique et du fonds autonome de compensation des transports sanitaires terrestres d'urgence à l'intérieur du territoire et des urgences dites ambulancière, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre les délibérations attaquées de la province des Iles Loyauté, lesquelles, en réduisant les dotations allouées par la province à l'aide médicale et aux deux fonds susmentionnés sans prévoir aucune mesure de compensation, sont de nature à l'affecter de manière suffisamment directe et certaine, quand bien même il convient de distinguer la gestion, exercée par la CAFAT, du financement de l'aide médicale et des deux fonds autonomes, et quand bien même l'entrée en vigueur effective de l'arrêt de la prise en charge du financement en matière d'aide médicale serait différée au 1er juillet 2022 et qu'est réservée, par l'article 3 de la délibération n° 2021-43/API du 22 avril 2021, la possibilité de la conclusion d'une convention entre la Nouvelle-Calédonie et la province des Iles Loyauté visant à encadrer la délégation de compétence en matière d'aide médicale, comprenant le transfert de moyens permettant son exercice normal. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la CAFAT avait intérêt à agir.

17. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté les deux fins de non-recevoir, tirées du défaut de qualité de M. B... pour représenter la CAFAT et du défaut d'intérêt de cette dernière à contester les délibérations en litige.

S'agissant de la légalité des délibérations contestées :

18. En premier lieu, la province des Iles Loyauté soutient que, par la délibération litigieuse n° 2021-43/API du 22 avril 2021, elle a décidé de cesser de financer les seules compétences visées par la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 et la délibération n° 2001-12/API du 29 août 2001, c'est-à-dire les compétences déléguées par la Nouvelle-Calédonie, lesquelles, en l'absence de convention, correspondent à des compétences déléguées de fait en application de l'article 47 de la loi organique, et qu'il ne s'agirait donc pas, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, du renoncement par la province des Iles Loyauté du financement de toutes les compétences relatives à l'aide médicale mais bien de celles seules qui ont été déléguées. Il ressort toutefois des articles du dispositif de cette délibération n° 2001-12/API du 29 août 2001, cités ci-dessus, et notamment de l'article 1er, qui dispose qu'" à compter du 1er janvier 2022, [elle] cesse de financer les compétences visées par la délibération-cadre modifiée n° 49 du 28 décembre 1989 et la délibération n° 2001-12/API du 29 août 2001 " (la délibération-cadre modifiée n° 49 du

28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et aux aides sociales concernant toute l'ensemble de l'aide médicale, comme il ressort de son article 1er, qui dispose que, " sans préjudice des dispositions relatives aux régimes contributifs de protection sociale et à leur éventuelle réforme, la présente délibération a pour objet de fixer le cadre réglementaire applicable à l'ensemble de la population de la Nouvelle-Calédonie en matière : - d'aide médicale (...) " et de son article 2, qui dispose que " L'admission à l'aide médicale et aux aides sociales susvisées est prononcée par l'exécutif de la province, le postulant devant faire preuve de ses ressources et de sa résidence. Les aides servies dans le cadre des présentes dispositions sont imputées sur le budget de la province de rattachement du bénéficiaire (...) la prise en charge des personnes sans résidence de rattachement est assurée par la Nouvelle-Calédonie. "), comme de la motivation de la délibération querellée, aux termes de laquelle " la Nouvelle-Calédonie détient une compétence intégrale en matière de santé et de protection sociale, que l'aide médicale est une aide sociale constituant un des volets essentiels de la protection sociale, que les provinces ont continué à gérer l'aide médicale par délégation de fait en l'absence de convention de délégation de compétence lors de son transfert à la Nouvelle-Calédonie, que la fraction de la dotation globale de financement versée par l'État à ce titre ne suffit pas à couvrir le coût réel de ce dispositif, et que la Nouvelle-Calédonie n'a jamais transféré de moyens permettant son exercice normal. ", que le champ d'application de la délibération contestée concernait l'ensemble de l'aide médicale, comme l'ont justement estimé les premiers juges.

19. En deuxième lieu, d'une part, la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie dispose au 4° de son article 22 que la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de : " Protection sociale, hygiène publique et santé, contrôle sanitaire aux frontières " et en son article 20 que : " Chaque province est compétente dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat ou à la Nouvelle-Calédonie par la présente loi, ou aux communes par la législation applicable en Nouvelle-Calédonie. ". Il en résulte, ainsi que l'a d'ailleurs constaté la section sociale du Conseil d'Etat dans ses avis n° 364687 du 28 mars 2000 et n° 402003 du 27 avril 2021, que les provinces n'ont pas de compétence de droit commun en matière de protection sociale, la compétence en cette matière étant réservée à la Nouvelle-Calédonie.

20. D'autre part, la loi organique du 19 mars 1999 prévoit, aux termes des deux premiers alinéas du III de son article 181, que : " L'Etat verse annuellement aux provinces, hors contrats de développement, une dotation globale de fonctionnement. / La dotation globale de fonctionnement correspond aux sommes reçues de l'Etat, hors contrats de développement, soit directement, au titre de l'aide médicale gratuite, des personnes âgées, des enfants secourus, des handicapés, de l'enseignement primaire public et du fonctionnement des collèges, soit indirectement, par l'intermédiaire du budget de la Nouvelle-Calédonie, au titre de la santé et de l'enseignement primaire public. ". La même loi organique dispose également en son article 47 que : " I. Le congrès peut, à la demande d'une assemblée de province, donner compétence aux autorités de la province pour adapter et appliquer : / 1° La réglementation en matière d'hygiène publique et de santé ainsi que de protection sociale. / (...) / IV. - Ces délégations de compétences sont prévues par des conventions qui doivent comprendre, le cas échéant, les transferts des moyens permettant leur exercice normal. ". Il résulte de ces dispositions du III de l'article 181 de la loi organique du

19 mars 1999, éclairées par les travaux préparatoires de cette loi, ainsi que l'a d'ailleurs estimé la section sociale du Conseil d'Etat dans son avis n° 402003 du 27 avril 2021, qu'il appartient aux provinces d'exercer, pour le compte de la Nouvelle-Calédonie, les missions d'attribution de l'aide médicale gratuite, de l'aide sociale à l'enfance et des aides à destination des personnes âgées et des personnes handicapées, au titre desquelles elles perçoivent une fraction de la dotation globale de fonctionnement qui leur est versée directement par l'Etat. Il s'en déduit, d'une part, qu'il est loisible au congrès de Nouvelle-Calédonie de donner compétence aux autorités de province, dans les conditions prévues par l'article 47 de la même loi, pour adapter la réglementation dans ces matières, et, d'autre part, que la compétence pour appliquer cette réglementation résulte de la loi organique et n'entre, par conséquent, pas dans le champ des délégations qui peuvent être données sur le fondement de cet article 47.

21. Il ressort des termes mêmes des délibérations contestées que, pour décider d'arrêter tout financement des dispositifs relatifs à l'aide médicale et aux deux fonds en litige, la province des Iles Loyauté s'est fondée sur le fait que " la Nouvelle-Calédonie détient une compétence intégrale en matière de santé et de protection sociale " dans la délibération n° 2021-43/API du 22 avril 2021 et sur la circonstance que " le financement de l'aide médicale relève de la compétence exclusive de la Nouvelle-Calédonie " dans la délibération n° 2021-44/API du 22 avril 2021. Toutefois, et ainsi qu'il vient d'être dit au point précédent, les provinces tiennent de la loi organique elle-même la compétence pour appliquer la réglementation relative à l'aide médicale et en assurer l'attribution. Il découle également de cette même loi organique que, sans préjudice des délégations de compétences et transferts de moyens qui peuvent leur être accordés par le biais des conventions prévues à l'article 47 de cette loi, les provinces doivent, à tout le moins, consacrer au financement de l'aide médicale une partie de la dotation globale de fonctionnement qui leur est versée à cet effet par l'Etat. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la CAFAT était fondée à soutenir qu'en se fondant sur la compétence exclusive de la Nouvelle-Calédonie en matière de santé et d'aide médicale pour arrêter par principe tout financement des dispositifs en litige et en méconnaissant ainsi l'étendue de sa propre compétence en matière d'aide médicale, la province des Iles Loyauté avait commis une erreur de droit.

22. En troisième lieu, la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2002 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie évoque le régime de l'aide médicale mais ne le réglemente pas, l'article Lp. 29 disposant que " les personnes admises à l'aide médicale totale gérée par la Nouvelle-Calédonie et les provinces bénéficient de prestations en nature distinctes de celles prévues par la présente loi. ". Enfin, si l'article 2 de la délibération-cadre modifiée susvisée n° 49 du

28 décembre 1989 relative à l'aide médicale et à l'aide sociale dispose notamment que " les aides servies dans le cadre des présentes dispositions sont imputées sur le budget de la province de rattachement du bénéficiaire ", ces dispositions ne s'appliquent que pour autant qu'elles ne méconnaissent pas les règles précitées de valeur juridique supérieure, et de surcroît chronologiquement postérieures, posées par la loi organique du 19 mars 1999.

23. En quatrième lieu, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, la province des Iles Loyauté, pour justifier la légalité des décisions attaquées, ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'une délibération n° 92-2020 du 3 décembre 2020 de l'assemblée de la province Sud, ayant un objet similaire à celui des délibérations attaquées, n'a pas été contestée par la CAFAT alors, au demeurant, que cette délibération ne porte que sur les compétences expressément déléguées par la Nouvelle-Calédonie sur le fondement des dispositions précitées de l'article 47 de loi organique

n° 99-209 du 19 mars 1999 et non sur celles directement dévolues à cette province par cette même loi organique.

24. En cinquième lieu, si la province des Iles Loyauté fait valoir qu'elle n'est pas opposée au fait d'exercer une compétence dans les conditions règlementaires prévues par la délibération cadre et à signer une convention en ce sens avec la Nouvelle-Calédonie, comme l'indique les articles 3 et 4 de la délibération contestée, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de cette délibération.

25. Il résulte de tout ce qui précède que la province des Iles Loyauté n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie a annulé les deux délibérations du 22 avril 2021 de l'assemblée de la province des Iles Loyauté.

Sur les frais liés à l'instance :

26. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre par la province des Iles Loyauté doivent être rejetées.

27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la province des Iles Loyauté le paiement à la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie de la somme de 2 000 euros au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de l'assemblée de la province des Iles Loyauté sont rejetées.

Article 2 : L'assemblée de la province des Iles Loyauté versera à la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'assemblée de la province des Iles Loyauté, à la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie, au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et au ministre de l'intérieur et des outre-mer

Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère.

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juillet 2024.

Le président-rapporteur,

I. A...L'assesseure la plus ancienne,

M-I. LABETOULLE

Le greffier,

E. MOULINLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04041

N° 22PA04042


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04041
Date de la décision : 30/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : SELARL D'AVOCATS ROYANEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-30;22pa04041 ?
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