Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Enlèvement sur demande a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 60 384,56 euros TTC, assortie des intérêts de retard à compter du 14 juin 2018.
Par un jugement n° 2004295 du 6 décembre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 3 avril 2023, 6 décembre 2023 et 21 janvier 2024, la société Enlèvement sur demande, représentée par la SCP Lussan, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 60 430,26 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2018 et de la capitalisation des intérêts ou, à titre subsidiaire, une somme de 48 344,20 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2018 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce que les éléments produits permettaient au tribunal de rattacher les factures au " périmètre de la concession " ;
- il est irrégulier en ce que le tribunal n'a pas mis en œuvre ses pouvoirs d'instruction pour déterminer sa marge bénéficiaire ;
- elle est fondée à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de l'Etat ou à tout le moins sa responsabilité quasi-contractuelle, le préfet de la Seine-Saint-Denis ayant admis que les forces de l'ordre ne peuvent pas faire appel aux opérateurs de fourrières pour des enlèvements de véhicules vers des commissariats sur réquisitions judiciaires ;
- elle n'a commis aucune faute dès lors qu'elle ne pouvait refuser de répondre aux demandes de l'administration sous peine de perdre son agrément ;
- les opérations de déplacement de véhicules vers des commissariats n'entrent pas dans le champ d'application des contrats de concession de service public des fourrières automobiles dont elle est titulaire ;
- elle a le droit au paiement des montants facturés à l'Etat, par référence aux tarifs d'enlèvement prévus par l'arrêté interministériel du 14 novembre 2001 fixant les tarifs maxima des frais de fourrière pour automobiles, soit un total de 60 430,26 euros ;
- subsidiairement, si elle devait être indemnisée sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle de l'Etat, il conviendrait de déduire du montant facturé une marge nette de 25 % et elle pourrait prétendre à la somme de 48 344,20 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande d'exécution de prestations extra-contractuelles sur réquisitions judiciaires ne constitue pas une faute ;
- la société Enlèvement sur demande s'est montrée imprudente dès lors qu'elle ne pouvait ignorer que les prestations demandées ne relevaient pas de ses contrats et qu'elle ne s'exposait pas à un retrait de son agrément en cas de refus ;
- elle ne démontre pas qu'il existerait un lien de causalité direct entre la faute alléguée de l'Etat et son préjudice qu'elle ne chiffre que par rapport à des tarifs maxima de frais de fourrière ;
- elle ne produit pas de justifications permettant de déterminer le montant des dépenses utiles à l'Etat qu'elle a engagées.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître du litige, lequel relève d'une opération de police judiciaire.
Par un mémoire enregistré le 10 septembre 2024, la société Enlèvement sur demande soutient que ce moyen n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la route ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Job, représentant la société Enlèvement sur demande.
Considérant ce qui suit :
1. Par quatre conventions signées en 2014 et 2015, qui ont pris fin le 27 avril 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a délégué à la société Enlèvement sur demande le service public de fourrières sur quatre secteurs du département de la Seine-Saint-Denis. Par un courrier réceptionné le 14 juin 2018, cette société lui a demandé le paiement d'une somme de 52 950,94 euros au titre de prestations d'enlèvement de véhicules en vue de leur parcage sur des parkings de commissariats de police, réalisées à la demande des services de police et non comprises dans le champ des délégations de service public. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 60 384,56 euros TTC, sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle ou
quasi-contractuelle, en réparation du préjudice causé par la réalisation de ces prestations sans contrepartie financière.
2. D'une part, aux termes du I de l'article R. 325-12 I du code de la route : " La mise en fourrière est le transfert d'un véhicule en un lieu désigné par l'autorité administrative ou judiciaire en vue d'y être retenu jusqu'à décision de celle-ci, aux frais du propriétaire de ce véhicule ". Aux termes de l'article R. 325-21 du même code : " A défaut d'institution d'un service public local de fourrière pour véhicules par l'une des autorités précitées, ou en cas de refus de leur part d'enlever, faire enlever, garder ou faire garder un véhicule faisant l'objet d'une prescription de mise en fourrière, l'Etat est substitué à ces autorités (...) ". Aux termes de l'article R. 325-24 de ce même code : " Le préfet agrée les gardiens de fourrière et les installations de celle-ci (...) ". Aux termes de l'article R. 325-28 de ce code : " Peuvent procéder au transfert d'un véhicule du lieu de son stationnement à celui de sa garde en fourrière : / 1° Les personnels habilités mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 325-2 ; / 2° Le professionnel agréé, ou son préposé, désigné pour l'enlèvement du véhicule dont la mise en fourrière a été prescrite ; / 3° Un tiers en vertu d'une réquisition ; / 4° Le propriétaire ou le conducteur du véhicule en vertu d'une réquisition ".
3. Il résulte de l'instruction que, par les conventions de délégation de service public signées en 2014 et 2015, le préfet de la Seine-Saint-Denis a délégué à la société Enlèvement sur demande le service public de fourrières, sur le fondement des dispositions précitées du 2° de l'article R. 325-28 du code de la route. Il est constant que les prestations dont la société Enlèvement sur demande a sollicité le paiement, qui consistent en l'enlèvement et le transport de véhicules vers des commissariats de police, des garages pour expertise, ou d'autres lieux désignés par les services de police, pour les besoins de ces derniers, sont étrangères au champ d'application de ces conventions.
4. D'autre part, selon l'article 14 du code de procédure pénale, la police judiciaire est " chargée (...) de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte ".
5. Il résulte de l'instruction, en particulier des actes de réquisition produits par la société requérante, que les prestations de déplacement de véhicules dont elle sollicite l'indemnisation sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle ou quasi-contractuelle de l'Etat, ont été réalisées sur réquisition judiciaire émanant d'officiers de police judiciaire, dans le but de procéder, notamment dans le cadre d'enquêtes de flagrance, à des constats ou examens techniques ou scientifiques, à la suite d'infractions à la loi pénale telles qu'enlèvement, séquestration, vol, port d'arme ou délit de fuite. Ces prestations sont donc rattachables à des opérations de police judiciaire. Les demandes de la société Enlèvement sur demande, qui a ainsi agi en qualité de collaborateur occasionnel du service public de la police judiciaire, impliquent dès lors nécessairement de porter une appréciation sur le fonctionnement des services judiciaires. Dans ces conditions, il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires de connaître du litige ainsi soulevé. Par suite, il y a lieu d'annuler le jugement n° 2004295 du 6 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montreuil s'est reconnu compétent pour connaître de la demande de la société requérante et, statuant par voie d'évocation, de rejeter cette demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétente pour en connaître.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante, la somme que demande la société Enlèvement sur demande sur ce fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2004295 du 6 décembre 2022 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Enlèvement sur demande devant le tribunal administratif de Montreuil est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : Les conclusions de la société Enlèvement sur demande présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Enlèvement sur demande et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA01339