Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Les communes de Stains, de Saint-Denis, de l'Ile-Saint-Denis, d'Aubervilliers et de Bondy ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le Premier ministre, le garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre de l'intérieur, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur leurs demandes, réceptionnées les 10 et 11 septembre 2019, tendant à la réparation des préjudices qu'elles disent avoir subis du fait de la carence de l'État dans le calcul de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et des dépenses qu'elles ont supportées en matière de sécurité, d'éducation et de justice.
Par un jugement n° 2000173 du 3 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a donné acte du désistement de la commune de Bondy de sa requête et a rejeté la demande des autres communes.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 3 avril 2023, les communes de Stains et de
l'Ile-Saint-Denis, représentées par la SELARLU Arie Alimi avocats, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler les décisions implicites de rejet de leur demande ;
3°) de nommer un expert aux fins d'évaluer le coût et les causes du dommage subi ;
4°) d'enjoindre aux ministres compétents de mettre un terme aux manquements de l'État à ses obligations en matière de calcul des dotations ou d'en pallier les effets ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme d'un euro symbolique à verser à chacune des communes requérantes en réparation du préjudice subi ;
6°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les modalités de calcul de la dotation forfaitaire et de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale relèvent du pouvoir réglementaire ;
- les dépenses qu'elles ont engagées en matière de sécurité ne relèvent pas des dépenses obligatoires et il n'existe aucun fondement ni aucun titre juridique de nature à établir un droit de créance ;
- la mauvaise répartition des effectifs d'enseignants due à une mauvaise application de l'article L. 212-3 du code de l'éducation fait peser sur elles des dépenses qui ne sont pas prévues par un texte législatif ;
- en l'absence de texte législatif, elles n'ont pas à supporter de dépenses pour assurer l'égal accès à la justice.
Par un mémoire enregistré le 19 janvier 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les communes requérantes ne sont pas fondés.
II. Par un mémoire distinct, enregistré le 14 juin 2024, les communes de Stains et de l'Ile-Saint-Denis, représentées par Me Alimi, demandent à la Cour, en application des
articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État, aux fins de renvoi au Conseil constitutionnel, la question de la conformité à la Constitution des articles L. 2334-15, L. 2334-17 et L. 2334-18 du code général des collectivités territoriales.
Elles soutiennent que :
- les dispositions en cause sont applicables au litige ;
- elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;
- la question prioritaire de constitutionnalité invoquée n'est pas dépourvue de caractère sérieux dès lors que les dispositions contestées sont contraires aux principes constitutionnels d'égalité devant les charges publiques et de libre administration des collectivités territoriales, en ce que les critères utilisés pour le calcul de l'indice synthétique de ressources et de charges relatifs, d'une part, à la population, d'autre part, au nombre de logements sociaux, ne présentent pas un caractère objectif et rationnel.
Le mémoire distinct a été communiqué au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires qui n'ont pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule, son article 72 et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Alimi, représentant les communes de Stains et de l'Ile-Saint-Denis.
Considérant ce qui suit :
1. Les communes de Stains, de Saint-Denis, de l'Ile-Saint-Denis, d'Aubervilliers et de Bondy ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le Premier ministre, le garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre de l'intérieur, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur leurs demandes, réceptionnées les 10 et 11 septembre 2019, tendant à la réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis du fait de la carence de l'État dans le calcul de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et des dépenses qu'elles ont supportées en matière de sécurité, d'éducation et de justice. Les communes de Stains et de l'Ile-Saint-Denis relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté
leur demande d'annulation de ces décisions implicites et d'indemnisation de leurs préjudices, et, à l'occasion de cet appel, présentent une question prioritaire de constitutionnalité.
2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce
dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". L'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat, (...)
le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (...) ". Enfin, aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies: / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 2334-15 du code général des collectivités territoriales :
" La dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale a pour objet de contribuer à l'amélioration des conditions de vie dans les communes urbaines confrontées à une insuffisance de leurs ressources et supportant des charges élevées ". Aux termes de l'article L. 2334-17 du même code : " L'indice synthétique de ressources et de charges mentionné à l'article L. 2334-16 pour les communes de 10 000 habitants et plus est constitué : / 1° Du rapport entre le potentiel financier par habitant des communes de 10 000 habitants et plus et le potentiel financier par habitant de la commune, tel que défini à l'article L. 2334-4 ; / 2° Du rapport entre la proportion de logements sociaux dans le total des logements de la commune et la proportion de logements sociaux dans le total des logements des communes de 10 000 habitants et plus (...) / Les logements sociaux retenus pour l'application du présent article sont les logements locatifs appartenant aux organismes d'habitations à loyer modéré, aux sociétés d'économie mixte locales et aux filiales de la société ICADE, à l'exclusion des logements-foyers mentionnés au 5° de l'article L. 831-1 du code de la construction et de l'habitation. Sont aussi retenus comme des logements sociaux pour l'application du présent article les logements de la Société nationale immobilière ou de ses filiales qui appartenaient au 1er janvier 2006 à la société ICADE et qui sont financés dans les conditions fixées par le troisième alinéa de l'article L. 2335-3 et le dernier alinéa des articles L. 5214-23-2, L. 5215-35 et L. 5216-8-1 du présent code. Sont également considérés comme des logements sociaux pour l'application du présent article les logements faisant l'objet d'une opération de requalification de copropriétés dégradées reconnue d'intérêt national selon les modalités définies à l'article L. 741-2 du code de la construction et de l'habitation. Sont également considérés comme des logements sociaux pour l'application du présent article les logements appartenant à l'Entreprise minière et chimique et aux sociétés à participation majoritaire de l'Entreprise minière et chimique, les logements appartenant aux houillères de bassin, aux sociétés à participation majoritaire des houillères de bassin ainsi qu'aux sociétés à participation majoritaire des Charbonnages de France, les logements de la Société nationale immobilière qui appartenaient au
1er janvier 2001 aux Houillères du bassin de Lorraine et aux sociétés à participation majoritaire des Houillères du bassin de Lorraine et les logements appartenant à l'Etablissement public de gestion immobilière du Nord-Pas-de-Calais et les logements locatifs ayant bénéficié de prêts spéciaux consentis par le Crédit foncier de France appartenant à des personnes morales autres que celles citées ci-dessus à la condition qu'ils constituent sur le territoire d'une commune un ensemble d'au moins 2 000 logements (...) ". Aux termes de l'article L. 2334-18 de ce même code : " Les dispositions de l'article L. 2334-17 s'appliquent pour le calcul de l'indice synthétique de ressources et de charges des communes de 5 000 à 9 999 habitants, sous réserve de la substitution des moyennes nationales constatées pour ces communes à celles constatées pour les communes de 10 000 habitants et plus. / Les communes sont classées en fonction de la valeur décroissante de leur indice synthétique ".
4. En premier lieu, les dispositions précitées des articles L. 2334-15, L. 2334-17 et L. 2334-18 du code général des collectivités territoriales, sur la base desquelles est calculé le montant contesté de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale versée aux
communes requérantes, sont applicables au présent litige au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
5. En deuxième lieu, ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de l'une de ses décisions.
6. En dernier lieu, d'une part, aux termes de l'article 72 de la Constitution : " (...) Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences (...) ".
7. Les communes de Stains et de l'Ile-Saint-Denis ne précisent pas en quoi les dispositions précitées des articles L. 2334-15, L. 2334-17 et L. 2334-18 du code général des collectivités territoriales porteraient atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.
8. D'autre part, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses de l'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
9. Les communes de Stains et de l'Ile-Saint-Denis soutiennent que les dispositions précitées des articles L. 2334-15, L. 2334-17 et L. 2334-18 du code général des collectivités territoriales portent atteinte à l'égalité devant les charges publiques, dès lors que les critères constituant l'indice synthétique des ressources et de charges prévues aux 1° et 2° et au sixième alinéa de l'article L. 2334-17 du code général des collectivités territoriales ne seraient ni objectifs et rationnels.
10. Le critère constituant l'indice synthétique de ressources et de charges prévu par le 1° de l'article L. 2334-17 du code général des collectivités territoriales est relatif au rapport entre le potentiel financier par habitant des communes de 10 000 habitants et plus et le potentiel
financier par habitant de la commune. Il n'est pas contesté que l'utilisation d'un tel critère tiré du nombre d'habitants pour calculer le potentiel financier des communes présente un caractère objectif et rationnel. Par ailleurs, le 1° de l'article L. 2334-17 du code général des collectivités territoriales n'a pas pour objet de préciser les modalités d'évaluation du nombre d'habitants.
Dans ces conditions, les communes requérantes ne peuvent utilement soutenir à son encontre
que les modalités d'établissement du recensement ne permettraient pas d'appréhender l'ensemble de la population en situation irrégulière présente sur un territoire donné. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, en ce qui concerne le premier critère défini au 1° de l'article L. 2334-17 du code général des collectivités territoriales, est dépourvue de caractère sérieux.
11. Le critère constituant l'indice synthétique de ressources et de charges prévu par le 2° de l'article L. 2334-17 du code général des collectivités territoriales est relatif au rapport entre la proportion de logements sociaux dans le total des logements de la commune et celle dans le total des logements des communes de 10 000 habitants et plus. Si la prise en compte des logements sociaux permet objectivement d'appréhender les revenus des habitants d'une commune, l'énumération de ces logements par le sixième alinéa l'article L. 2334-17 du code général des collectivités territoriales, en ce qu'elle en retient une définition limitée aux seuls logement détenus par des bailleurs publics sans aucune justification rationnelle et objective à cette limitation, pose une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux. Dès lors, il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée à l'encontre de cette disposition.
DECIDE :
Article 1er : La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° et du sixième alinéa de l'article L. 2334-17 du code général des collectivités territoriales est transmise au Conseil d'État.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête des communes de Stains et de l'Ile-Saint-Denis jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux communes de Stains et de l'Ile-Saint-Denis, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'intérieur, à la ministre de l'éducation nationale, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA01361