Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions exceptionnelles sur les hauts revenus et de contributions sociales supplémentaires auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009 à 2011.
Par un jugement n° 2004010 du 30 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a accordé à Mme A... la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre des années 2009 à 2011.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 juillet 2022 et le 4 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2004010 du tribunal administratif de Paris en date du 30 mars 2022 ;
2°) d'ordonner que Mme A... soit rétablie au rôle de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales au titre des années 2009 à 2011 et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus au titre de l'année 2011, à raison des droits et pénalités dégrevés à tort en première instance.
Il fait valoir que :
- Mme A... supporte la charge de la preuve de la nature de distribution de capital ou de produits du trust Loughrea de droit canadien dont elle est l'unique bénéficiaire ;
- la solution du litige ne peut se fonder sur la réponse partielle des autorités fiscales canadiennes qui ont repris sans vérification les données fournies par le trust ;
- les documents fournis par les organismes bancaires canadiens teneurs des comptes du trust ne sont ni probants ni lisibles ;
- le trust a déguisé les intérêts des placements à court terme qu'il a réalisés, tout en prétendant être en situation déficitaire, en transferts de capitaux en vue de leur exonération d'impôt en France ;
- les éléments versés au dossier ne font pas apparaître d'éléments réels d'exploitation du trust.
Par mémoires enregistrés le 16 septembre 2022 et le 5 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Schakowskoy, avocat, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier, notamment celles fournies les 14 juin et 10 juillet 2024 à la suite de mesures d'instruction des 12 juin et 9 juillet 2024 ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Soyez ;
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public ;
- les observations de Me Schakowskoy, pour Mme A....
Une note en délibéré, enregistrée le 17 septembre 2024, a été présentée pour Mme A... par Me Schakowskoy.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'un examen contradictoire, portant sur les années 2009 à 2011, de la situation fiscale personnelle de Mme A..., l'administration lui a adressé une demande d'éclaircissement et de justification, suivie d'une mise en demeure, relative aux sommes inscrites sur son compte ouvert à la banque OBC Neuflize en provenance d'un trust de droit canadien dénommé " Loughrea ", dont l'intimée est l'unique bénéficiaire en revenu et en capital. Estimant malgré les réponses obtenues que ces sommes s'analysaient comme des revenus du trust, l'administration les a réintégrées dans le revenu imposable de l'intéressée au titre des années vérifiées. Les observations et la réclamation de Mme A... ayant été rejetées, elle a saisi le tribunal administratif de Paris et obtenu la décharge de ce supplément d'imposition par un jugement du 30 mars 2022, dont le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève régulièrement appel.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Aux termes de l'article 792-0 bis du code général des impôts : " I. 1. Pour l'application du présent code, on entend par trust l'ensemble des relations juridiques créées dans le droit d'un Etat autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d'y placer des biens ou droits, sous le contrôle d'un administrateur, dans l'intérêt d'un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d'un objectif déterminé. (...) ". Aux termes des dispositions de l'article 120 du même code, dans sa rédaction applicable à l'impôt sur le revenu des années 2009 et 2010 : " Sont considérés comme revenus au sens du présent article : " (...) 9° Les produits des " trusts ", quelle que soit la consistance des biens composant ces trusts ; (...). ". Aux termes de ces dispositions, issues du 1° de l'article 14-I de la loi du 29 juillet 2011 visée ci-dessus, dans leur rédaction applicable à l'impôt sur le revenu de l'année 2011 : " Sont considérés comme revenus au sens du présent article : (...) 9° Les produits distribués par un trust défini à l'article 792-0 bis, quelle que soit la consistance des biens ou droits placés dans le trust ; (...). ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération. En conséquence, il appartient au contribuable qui soutient avoir perçu d'un trust des distributions ne constituant pas des revenus imposables, d'établir, notamment à partir de la comptabilité du trust, l'existence d'une ou plusieurs opérations ayant affecté le capital de ce trust, situées en conséquence en dehors du champ de l'impôt sur le revenu, à l'origine de la distribution en cause. Faute d'apporter de tels éléments, le contribuable doit être regardé comme ayant perçu un revenu taxable à raison de cette distribution.
4. Il résulte de l'instruction qu'au cours de chacune des années 2009 à 2011, Mme A... a déclaré comme revenus imposables les sommes respectives de 121 euros, de 504 460 euros, et de 1 136 824 euros. Au motif qu'elle les tenait pour des transferts de capitaux en provenance du trust, elle n'a pas mentionné dans ses déclarations les sommes suivantes, d'un montant de 1 399 916 euros, 1 699 948 euros et 499 966 euros, encaissées sur son compte à la banque OBC Neuflize. Il est constant que ces sommes correspondent, sous réserve de différences mineures résultant de frais bancaires ou de variations de change, à des versements en dollars canadiens effectués à son profit par le trust Loughrea, trust irrévocable discrétionnaire dont Mme A..., qui n'en est pas constituante, est bénéficiaire sous forme de revenus ou de capital. Si Mme A..., à l'appui de la qualification de transfert de capitaux résultant des versements en cause, se prévaut des intitulés en langue anglaise des documents bancaires canadiens mentionnant des " capital distributions ", ainsi que des résultats de l'assistance administrative internationale, aux termes de laquelle les autorités fiscales canadiennes ont confirmé l'absence de distribution de revenus et l'absence d'imposition du trust à ce titre, et de la situation déficitaire du trust, elle n'établit pas, notamment par la production de la comptabilité tenue par les administrateurs du trust, que ces flux correspondraient, soit, s'agissant des années 2009 et 2010, à une redistribution de produits du trust, eux-mêmes déjà soumis à l'impôt sur le revenu, soit, pour l'ensemble des années en litige, à une opération en capital au profit du trust, relevant du champ d'application des droits de mutation, dont elle aurait été bénéficiaire. Au demeurant, les autorités canadiennes spécifient ne pas avoir procédé à un contrôle des comptes du trust au cours des années en litige. Par suite, alors qu'elle ne justifie ni même n'allègue que ces sommes aient le caractère d'un remboursement ou de contrepartie d'une opération non taxable à l'impôt sur le revenu, Mme A... doit être regardée comme ayant perçu, à raison des distributions du trust en litige, des revenus imposables à l'impôt sur le revenu ainsi qu'aux contributions sur cet impôt et à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Enfin, la circonstance relevée par Mme A... que le résultat du trust au cours des années en litige était négatif, ainsi que cela ressort des déclarations fiscales du trust, en raison d'investissements réalisés supérieurs aux produits perçus, n'a pas fait obstacle à ce que des distributions, de montant substantiel, soient intervenues à son profit. Par suite, c'est à bon droit que l'administration l'a assujettie à ces impositions à raison de ces distributions.
Sur les pénalités :
5. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ".
6. En exposant l'écart très important entre les revenus déclarés par Mme A... et les revenus qu'elle a dissimulés sous la qualification de transfert de capitaux, d'une part, les liens étroits qui l'unissaient avec le trust Loughrea, d'autre part, l'administration doit être regardée comme démontrant le caractère délibéré de la minoration de ses revenus. Pour combattre l'absence de bonne foi qui lui reprochait, Mme A... qui, au surplus, était l'unique bénéficiaire des revenus distribués par le trust, ne saurait utilement soutenir que, ainsi qu'il a été dit, les actifs eux-mêmes n'étaient plus juridiquement dans son patrimoine.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, de finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge, en droits et pénalités des impositions litigieuses, et à obtenir après annulation du jugement leur rétablissement à la charge de Mme A....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2004010 du tribunal administratif de Paris en date du 30 mars 2022 est annulé.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales, ainsi que les pénalités dont elles ont été assorties, auxquelles Mme A... a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, sont remises à la charge de Mme A....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à Mme A....
Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président de chambre,
- M. Soyez, président assesseur,
- Mme Boizot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 11 octobre 2024.
Le rapporteur,
J.-E. SOYEZLe président,
S. CARRERE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA03139