Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) Caisse d'épargne et de prévoyance Bourgogne Franche-Comté a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution partielle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, des taxes additionnelles à cette cotisation ainsi que des frais de gestion de cette cotisation, acquittés au titre de l'année 2020.
Par un jugement n° 2201588 du 5 octobre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés respectivement le 6 décembre 2023, le 24 mai 2024, et le 2 juillet 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SA Caisse d'épargne et de prévoyance Bourgogne Franche-Comté, représentée par Me Pichot, avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2201588 du 5 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à prononcer la restitution partielle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, des taxes additionnelles à cette cotisation, ainsi que des frais de gestion de cette cotisation, acquittées au titre de l'année 2020 ;
2°) de prononcer la restitution partielle de ces impositions pour un montant total de 41 660 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement entrepris est entaché d'erreur de droit.
Au regard du droit communautaire :
- ayant été pris au visa de l'article 114 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui exclut de son champ " les dispositions fiscales ", le mécanisme de règlement universel institué par la directive 2014/59 du 15 mai 2014 et le règlement n° 806/2014 du 15 juillet 2014 a mis à la charge des seuls établissements de crédit une contribution au fonds de résolution unique ; aucune compétence n'est reconnue aux institutions communautaires pour instituer un impôt ;
- la contribution n'est pas destinée à couvrir des charges publiques, mais à contribuer à un mécanisme assurantiel couvrant le risque de défaillance et de résolution des établissements de crédit ;
- cette contribution n'est pas versée exclusivement à fonds perdus ;
- ses conditions d'utilisation attestent de son caractère non fiscal, le tribunal de l'Union européenne ayant jugé, dans son arrêt du 23 septembre 2020, aff. T-411/17, que la Banque centrale européenne peut décider que les engagements pris ne viennent pas en diminution des fonds propres de l'établissement contributeur.
Sur l'application de la loi nationale :
- le principe de connexion fiscalo-comptable, qui s'impose au juge de l'impôt s'agissant de la détermination de l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, s'oppose à ce que, en l'absence de définition limitative de la notion de charge déductible, la contribution au fonds de résolution unique des banques soit exclue des charges déductibles de l'assiette de la cotisation ; le conseil national de la comptabilité, dans un avis de 2003 portant sur la contribution des banques au fonds de garantie des dépôts et de résolution, a retenu sa déductibilité de l'assiette de la valeur ajoutée pour la détermination du plafonnement de la taxe professionnelle ; le fonds de résolution unique des banques poursuit le même objectif que le fonds de garantie mentionné ;
- les travaux préparatoires des lois relatives à ce mécanisme mentionnent qu'il est destiné à éviter le renflouement des banques par le contribuable ;
- la contribution n'est mentionnée dans le code général des impôts qu'en ce qui concerne sa non-déductibilité de l'assiette de l'impôt sur les sociétés ;
- selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, une assurance reposant sur un prélèvement obligatoire ne s'apparente pas pour autant à un impôt ;
- une qualification d'impôt ou taxe de la contribution au fonds de résolution unique méconnaîtrait le principe de légalité de l'impôt tiré de l'ordre juridique communautaire comme de l'ordre juridique national.
Sur l'interprétation de la loi fiscale :
- l'administration a méconnu sa doctrine exprimée par le paragraphe n° 10 du BOI-CVAE-BASE-30-20131118.
Sur le droit européen :
- le refus de déduire la contribution litigieuse de la base de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises n'est pas non plus compatible avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 mars et le 3 juin 2024, le ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive n° 2014/59/UE du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d'investissement ;
- le règlement n° 806/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014 ;
- le règlement n° 2015/81 du Conseil et du parlement européen du 19 décembre 2014 ;
- la décision n° C-202/21 de la Cour de justice de l'Union européenne du 29 septembre 2022 ABLV Bank ;
- le code général des impôts, et notamment ses dispositions qui reprennent l'article 26 de la loi de finances rectificative n° 2014-1655 pour 2014, et le livre des procédures fiscales ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation bancaire ;
- le règlement n° 2014-03 du 5 juin 2014 de l'autorité des normes comptables relatif au plan comptable général de banques, instituant le plan comptable général ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Carrère ;
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public ;
- et les observations de Me Pichot pour la SA Caisse d'épargne et de prévoyance Bourgogne Franche-Comté.
Considérant ce qui suit :
1. Après avoir acquitté la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (ci-après CVAE) relative à l'année 2020, la SA Caisse d'épargne et de prévoyance Bourgogne Franche-Comté
(ci-après SA CEP Bourgogne Franche-Comté) a présenté en vain le 25 juin 2021 une réclamation tendant à la restitution partielle de ces cotisations pour un montant de 41 660 euros, motif pris d'une exagération de la valeur ajoutée servant d'assiette à ces cotisations résultant de l'exclusion des contributions acquittées au fonds de résolution unique européen (FRU) des charges d'exploitation bancaire ou des charges diverses d'exploitation venant en déduction de l'assiette de la CVAE. Le refus de l'administration a été confirmé par le tribunal administratif de Montreuil, par un jugement n° 2201588 du 5 octobre 2023, dont appel.
2. Dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé des impositions en litige. Par suite, la SA CEP Bourgogne Franche-Comté ne peut utilement soutenir que le jugement entrepris est entaché d'erreur de droit en se référant à des critères inédits de définition de la notion comptable de " charge d'exploitation ", en persistant à rattacher la cotisation au FRU à la catégorie comptable des " impôts et taxes " sans prendre en compte l'avis du Comité d'urgence du Conseil National de la Comptabilité en présence d'une cotisation très similaire, et, plus généralement, en ignorant la méthodologie jurisprudentielle de rattachement des charges à l'une des catégories comptables visées à l'article 1586 sexies du code général des impôts pour déterminer l'assiette de la CVAE.
En ce qui concerne la qualification de la contribution au FRU :
3. D'une part, aux termes de l'article 1586 ter du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " Les personnes physiques ou morales (...) qui exercent une activité dans les conditions fixées aux articles 1447 et 1447 bis et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 euros sont soumises à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. / II.-1. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est égale à une fraction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie à l'article 1586 sexies. (...) ". Aux termes de ce dernier article : " I- (...) 4. La valeur ajoutée est égale à la différence entre : / a) D'une part, le chiffre d'affaires tel qu'il est défini au 1, majoré : (...) / - des subventions d'exploitation (...) ; III- Pour les établissements de crédit (...) : (...) 2. La valeur ajoutée est égale à la différence entre : (...) b. et, d'autre part, les charges d'exploitation bancaire (...) ; les charges diverses d'exploitation, (...) ". Les dispositions de l'article 1586 sexies du code général des impôts fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Il y a lieu, pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories, de se reporter aux normes comptables, dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée, dont l'application est obligatoire pour l'entreprise en cause. L'article 514-1 du règlement n° 2014-03 du 5 juin 2014 de l'autorité des normes comptables relatif au plan comptable général de banques, instituant le plan comptable général, concernant le compte 63 de ce plan intitulé " impôts, taxes et versements assimilés ", prévoit que : " Les impôts, taxes et versements assimilés sont des charges correspondant : d'une part, à des versements obligatoires à l'État et aux collectivités locales pour subvenir aux dépenses publiques ; d'autre part, à des versements institués par l'autorité publique, notamment pour le financement d'actions d'intérêt économique ou social ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 312-7 du code monétaire et financier : " I. - Les adhérents au fonds de garantie des dépôts et de résolution lui procurent les ressources financières nécessaires à l'accomplissement de ses missions mentionnées à l'article L. 312-4, tant pour les mécanismes dont il a la charge que pour son fonctionnement. Ces contributions sont annuelles. En cas de nécessité, le fonds de garantie des dépôts et de résolution peut également lever des contributions exceptionnelles. Les contributions sont dues par les adhérents au fonds agréés ou exerçant leur activité au 1er janvier de l'année au titre de laquelle les contributions sont appelées. Elles peuvent être acquittées par les adhérents en souscrivant des certificats d'associés propres à chaque mécanisme, émis par le fonds de garantie des dépôts et de résolution. (...) ". Aux termes de l'article L. 312-4 du même code : " (...). IV - Pour la mise en œuvre du mécanisme de résolution unique institué par le règlement (UE) n° 806/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014, le fonds de garantie des dépôts et de résolution mentionné au II est le fonds prévu au sein du système de garantie des dépôts pour la France ".
5. Enfin, eu égard à son considérant 15, le règlement communautaire du 15 juillet 2014 visé ci-dessus a pour objet une politique de surveillance prudentielle des établissements de crédit afin de contribuer à leur sécurité et à leur solidité, et à la stabilité du système financier au sein de l'Union européenne. A cet effet, ce règlement institue un mécanisme de résolution unique permettant à la banque centrale européenne d'intervenir ponctuellement au soutien d'établissements bancaires peu solides ou défaillants, en vue d'assurer la continuité de leurs fonctions critiques, de protéger les intérêts des déposants et de limiter l'impact de leurs difficultés sur le système financier. Selon l'article 22 du règlement, les actions de résolution bancaire consistent en des cessations d'activité, des séparations d'actifs, des recours à des établissements-relais, ou en des mesures de renflouement interne des établissements concernés. Selon l'article 67 de ce règlement est institué un fonds de résolution unique (FRU), financé par les contributions obligatoires de chaque établissement, qui intervient, sous conditions, en cas de résolution bancaire d'un établissement placé en situation de défaillance avérée ou prévisible, décidée par le conseil de la résolution unique, afin d'éviter sa liquidation pour insolvabilité. Selon l'article 76 du règlement, l'intervention du fonds prend la forme de garantie d'actifs ou de passifs, d'acquisition d'actifs ou de contributions à des établissements-relais, ou de dédommagement des actionnaires ou des créanciers en cas de perte supérieure à celle subie si une liquidation était intervenue. Pour financer ce fonds, doté au terme d'une période de huit ans débutant en 2016, selon l'article 69 du règlement, d'un montant égal à au moins 1 % du total des dépôts des établissements de crédit, le règlement prévoit en son article 70 deux types de contribution à la charge de chaque banque ; d'une part, une contribution dite " ex ante ", composée d'une part forfaitaire, déterminée chaque année à partir d'une projection, à l'horizon prévu pour la constitution du fonds, de la masse des dépôts bancaires de l'Union européenne au 31 décembre de l'année précédente à laquelle est appliquée un taux d'équilibre proche de 1 %, divisée par huitième, la contribution " ex ante " de chaque établissement étant déterminée proportionnellement au montant de son passif, hors fonds propres et dépôts couverts, rapporté au total du passif, hors fonds propres et dépôts couverts, de l'ensemble des établissements agréés sur le territoire des Etats membres participants, et d'une part variable selon le profil de risque de l'établissement dans des conditions déterminées à l'article 7 du règlement d'application 2015/81 du 19 décembre 2014 visé ci-dessus ; d'autre part, des " contributions ex post " extraordinaires lorsque les moyens financiers disponibles ne suffisent pas à couvrir les pertes, coûts ou autres frais liés au recours au fonds.
6. Il résulte de l'instruction que l'administration a rejeté la restitution partielle réclamée par la SA CEP Bourgogne Franche-Comté en vue de déduire de sa valeur ajoutée les contributions versées au FRU, pour le calcul des CVAE en litige, au motif que ces contributions constitueraient, non pas des charges d'exploitation bancaire ou des charges diverses d'exploitation, au sens des dispositions précitées du III de l'article 1586 sexies du code général des impôts, mais des versements institués par l'autorité publique, notamment pour le financement d'actions d'intérêt économique ou social, au sens de l'article 514-1 du plan comptable général des établissements de crédit, soit des impositions, ou taxes ou versements assimilés.
7. Pour contester ce refus, la SA CEP Bourgogne Franche-Comté soutient en premier lieu que les contributions au FRU ne peuvent être qualifiées d'imposition en ce que le fonctionnement du fonds obéit à une logique assurantielle. Elle se prévaut de l'absence de compétence des institutions de l'Union européenne pour instituer un impôt, des travaux préparatoires des règlements mentionnés ci-dessus selon lequel l'objet de ce fonds est d'éviter le financement par des fonds publics des actions de soutien aux banques, et de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne relevant que cette contribution n'est pas versée exclusivement à fonds perdus. Pour autant, le financement par des contributions des seules banques n'emporte la qualification ni de cette ressource, ni des fonds ainsi versés. A cet égard, il ressort des objectifs et dispositions mentionnés du règlement n° 806/2014 du 15 juillet 2014 que la contribution au FRU qu'il prévoit a pour objet, sur une période limitée dans le temps, de doter le fonds de moyens d'intervention destinés à alimenter des mécanismes d'intervention qui ne revêtent pas un caractère systématique en cas de faillite d'un établissement bancaire, mais dont la mise en œuvre, aux termes de l'article 18 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014 visé ci-dessus, est subordonnée au caractère d'intérêt public de l'intervention et à la circonstance qu'aucune mesure similaire ne peut être adoptée par les actionnaires ou créanciers de l'établissement en cause. En particulier, il ressort de l'article 76 du règlement mentionné que les mesures de recapitalisation ou d'annulation de pertes (renflouement) sont subordonnées à une contribution des actionnaires de la banque concernée égale à au moins 8 % du total des passifs, fonds propres compris, la contribution du fonds ne pouvant alors excéder 5 % de ce total. Enfin, ainsi qu'il ressort des points 68 à 72 de l'arrêt du tribunal de l'Union européenne du 20 janvier 2021, ABLV Bank AS, aff. T-758/18, dont la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt sur pourvoi du 29 septembre 2022, aff. C-202/21, au point 65, a retenu le caractère pertinent, le montant de la contribution due annuellement par chaque établissement dépend en définitive d'un niveau de fonds propres devant être atteint au terme de la période de constitution du fonds et ne dépend qu'accessoirement du profil de risque de l'établissement. Par suite, il résulte du caractère limité dans le temps du versement des contributions au FRU, d'ailleurs non appelées pour la première fois en 2024, des caractéristiques susmentionnées de leur calcul, qui reposent principalement sur la prise en compte de données macro-économiques en vue d'atteindre un objectif d'intérêt public au niveau communautaire à l'horizon 2024, et des modalités d'intervention du fonds, qui ne prévoient ni le déclenchement automatique de mécanismes de résolution, ni l'indemnisation systématique des établissements de crédit contributeurs en difficulté en rapport même indirect avec l'ampleur de leur contribution, même en cas de perte subie, que les contributions en litige ne peuvent pas être assimilées à des charges courantes d'exploitation, telles des cotisations d'assurance, acquittées au titre d'une année et de manière pérenne, et déterminées selon des paramètres techniques tenant compte de l'exposition à un facteur de risque constaté afin de garantir une indemnisation en cas de survenance d'un dommage. Est à cet égard sans incidence la circonstance que le règlement d'exécution n° 2015/81 du Conseil et du parlement européen du 19 décembre 2014, visé ci-dessus, énumère, s'agissant de l'alimentation du FRU, les contributions en litige au même titre que les prélèvements bancaires ou les taxes.
8. Par ailleurs, si la SA CEP Bourgogne Franche-Comté se prévaut de ce que l'article 7,3 du règlement d'exécution du 19 décembre 2014 mentionné ci-dessus prévoit la restitution des garanties souscrites en vue du paiement partiel des contributions, lorsque l'établissement concerné ne relève plus du champ du règlement n° 806/2014 du 15 juillet 2014, ou de ce que, par jugement du tribunal de l'Union européenne du 23 septembre 2020, aff. T-411/17, le tribunal de l'Union européenne a retenu que la Banque centrale européenne peut, à la faveur d'un examen au cas par cas de la solidité des garanties fournies à l'appui d'un engagement de paiement irrévocable, mode de règlement de la contribution au FRU alternatif à son paiement immédiat dans la limite de 15 % de la contribution due, décider que les engagements pris ne viennent pas en diminution des fonds propres de l'établissement en cause, la Cour de justice de l'Union européenne, dans sa décision du 29 septembre 2022, ABLV Bank, mentionnée ci-dessus, a relevé qu'un tel engagement, relatif à une composante minoritaire de la contribution en litige, est sans incidence sur le principe mentionné à l'article 4 de l'article 70 du même règlement selon lequel le versement d'une contribution par un établissement de crédit ne lui ouvre aucun droit à bénéficier du FRU, ainsi qu'il est dit au point 64 de cette décision, entraînant le caractère définitif de la fraction déjà acquittée de la contribution " ex ante ".
9. En second lieu, s'agissant du droit national, la SA CEP Bourgogne Franche-Comté se prévaut des travaux préparatoires à l'article 26 de la loi de finances rectificative susvisée pour 2014, aux termes desquels, pour éviter de faire supporter aux contribuables français, et dans une logique assurantielle, le financement du mécanisme européen de résolution bancaire, la contribution au fonds de résolution unique a été exclue de l'assiette de l'impôt sur les sociétés.
10. A cet égard, il ressort des travaux préparatoires ayant conduit à l'adoption de l'article 26 de la loi de finances rectificative pour 2014, codifié notamment à l'article 209, X du code général des impôts, proscrivant la déduction de la cotisation au fonds de résolution unique de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, que le législateur, aux fins de ne pas faire supporter aux contribuables particuliers le coût de la contribution bancaire au mécanisme européen de résolution bancaire, laquelle relève d'une logique assurantielle, n'a pas entendu traiter la contribution comme une charge d'exploitation déductible de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, mais comme une dotation à un fonds de garantie devant être fixée, au terme d'une certaine période, à un niveau suffisant.
11. De même, si la SA CEP Bourgogne Franche-Comté soutient que la déductibilité, comme charge d'exploitation de l'assiette de la valeur ajoutée aux fins de la détermination du plafonnement de la taxe professionnelle, des cotisations au fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), créé en 1999 aux fins de garantir a minima les dépôts bancaires des épargnants en cas de faillite d'un établissement, a été retenue par l'avis n° 2003-B du 9 avril 2003 du comité d'urgence du conseil national de la comptabilité, et que par suite la contribution en litige doit suivre le régime de la contribution au fonds mentionné, il ressort des termes de l'article 209, X du code général des impôts mentionné qu'il vise les contributions au FGDR destinées à financer les interventions du fonds prévues aux III et IV de l'article L. 312-5 du code monétaire et financier, issu de la loi susvisée du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation bancaire ayant introduit, dans un cadre proprement français, un mécanisme de résolution en cas de faillite bancaire. A cet égard, si les dispositions de l'article 39-4 du code général des impôts excluent nommément certaines impositions de l'assiette de l'impôt, sans toutefois inclure la contribution au fonds de résolution unique, ces dispositions posent une exception au principe de déduction des charges, y compris fiscales, nécessitées par l'exploitation de l'entreprise, auxquelles la contribution en litige ne peut dès lors être assimilée. Au demeurant, alors que le fonds de garantie des dépôts ne comportait initialement aucun mécanisme de résolution, le 1° de l'article 209, X du code général des impôts exclut également de l'assiette de l'impôt sur les sociétés les cotisations versées au FGDR destinées à alimenter les interventions prévues au III et au IV de l'article L. 312-5 du code monétaire et financier, lesquelles visent, précisément, les interventions au titre du mécanisme national de résolution.
12. Enfin, si la SA CEP Bourgogne Franche-Comté soutient que l'assimilation de la contribution au FRU méconnaît le principe de connexion fiscalo-comptable, et qu'elle a traité la contribution en litige en " autres charges générales d'exploitation ", d'une part, ni l'article 1586 sexies du code général des impôts, ni la réglementation comptable applicable à une entreprise du secteur bancaire, qui s'impose à l'administration pour déterminer le caractère déductible d'une charge de l'assiette de la CVAE, ne qualifient la contribution de charge ou d'impôt. D'autre part, l'administration s'est bornée, pour réintégrer la contribution en litige à l'assiette de la cotisation, sans remettre en cause la référence aux dispositions du plan comptable bancaire en vigueur, à exclure la contribution des charges ouvrant droit à déduction en tant qu'elle ne constitue pas une charge d'exploitation, mais un impôt.
13. Il résulte de ce qui précède que la contribution au FRU ne peut être regardée comme une charge d'exploitation bancaire, ou une charge diverse d'exploitation au sens du b. précité du III de l'article 1586 sexies du code général des impôts et, par suite, ne peut être admise en déduction de l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
En ce qui concerne la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
14. En vertu des stipulations de cet article, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens, et elle ne peut être privée de leur propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Une personne ne peut toutefois prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte disproportionnée. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations. Cette espérance est fondée lorsqu'elle a une base suffisante en droit interne, par exemple lorsqu'elle est confirmée par une jurisprudence ancienne.
15. D'une part, ainsi que le fait valoir l'administration, la contribution au FRU et le mécanisme qu'elle finance ont pour objet d'inciter au développement transfrontalier des établissements de crédit, en maintenant la stabilité et la crédibilité du système bancaire, objet qui constitue à l'évidence un motif d'intérêt général de nature à justifier une atteinte éventuelle aux biens des banques. D'autre part, la SA CEP Bourgogne Franche-Comté ne pouvait légitimement s'attendre à déduire ces contributions de l'assiette de la CVAE, dès lors qu'aucune norme ni aucune jurisprudence n'existait en ce sens, et qu'elle avait dans un premier temps acquitté cette cotisation sans en déduire ces contributions. Enfin et en tout état de cause, la société requérante n'établit pas le caractère disproportionné que revêtirait la non-déductibilité de ces contributions de l'assiette de la CVAE.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
16. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. Il en est de même lorsque, dans le cadre d'un examen ou d'une vérification de comptabilité ou d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, et dès lors qu'elle a pu se prononcer en toute connaissance de cause, l'administration a pris position sur les points du contrôle, y compris tacitement par une absence de rectification. Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ".
17. La SA CEP Bourgogne Franche-Comté réclame le bénéfice de la doctrine exprimée par le paragraphe n° 10 du BOI-CVAE-BASE-30-20131118, selon lequel : " Les éléments constituant le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée des entreprises relevant des établissements de crédit et entreprises assimilées s'obtiennent à partir des règles du plan comptable des établissements de crédit (PCEC). Le chiffre d'affaires des entreprises relevant du régime des établissements de crédit et entreprises assimilées comprend l'ensemble des produits d'exploitation bancaire et des produits divers d'exploitation, à l'exception de certains produits (...) La valeur ajoutée est égale au chiffre d'affaires tel que défini au II § 20 à 90, auquel on ajoute certains produits et dont on déduit certaines charges (...) Les charges diverses d'exploitation s'entendent de l'ensemble des charges à comptabiliser aux comptes 640 à 649 (...) ". Toutefois, en tout état de cause, elle ne peut opposer ces interprétations de la loi fiscale sur le fondement du 2ème alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dès lors qu'elle ne justifie d'aucun rehaussement d'une imposition antérieure, les impositions contestées ayant été établies conformément à ses déclarations.
18. Il résulte de tout ce qui précède que la SA CEP Bourgogne Franche-Comté n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la restitution partielle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises acquittée en 2020 et des impositions dont elle était assortie. Par voie de conséquence doit être rejeté l'ensemble de ses conclusions, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SA Caisse d'épargne et de prévoyance Bourgogne Franche-Comté est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Caisse d'épargne et de prévoyance Bourgogne Franche-Comté et au ministre de l'économie, des finances, et de l'industrie.
Copie en sera adressée à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction des grandes entreprises.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- Mme Boizot, première conseillère,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 20 décembre 2024.
Le président-rapporteur,
S. CARREREL'assesseure la plus ancienne,
S. BOIZOT
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances, et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA05047