Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision née le 14 août 2022 par laquelle le président de la Polynésie française a implicitement refusé de faire droit à sa demande de modification de la délimitation du domaine public maritime au droit de la parcelle dont elle est propriétaire, cadastrée N 239, " Terre Ahototuana ", située sur le territoire de la commune de Arue, d'annuler l'acte de délimitation n° 987-12-MRF-2021-284 du
19 mai 2021 établi par la direction de l'équipement du ministère des grands travaux de la Polynésie française, d'enjoindre à la direction de l'équipement de modifier la délimitation du domaine public maritime au droit de sa parcelle et de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 400 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2200567 du 23 mai 2023 le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires en réplique, enregistrés les 22 août 2023, 15 janvier 2024 et 26 février 2024 Mme B..., représentée par Me Bouchet, demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 23 mai 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet par le président de la Polynésie française de sa demande de modification de la délimitation du domaine public maritime au droit de sa parcelle cadastrée N 239 sur le territoire de la commune de Arue ;
3°) d'annuler l'acte de délimitation n° 987-12-MRF-2021-284 du 19 mai 2021 établi par la direction de l'équipement du ministère des grands travaux de la Polynésie française ;
4°) d'annuler l'acte de délimitation n°987-12-MRF-2024-32 du 26 janvier 2024 ;
5°) de reconnaitre la nouvelle délimitation du domaine public maritime en date du
12 septembre 2023 ;
6°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe que la partie de parcelle litigieuse ait été recouverte par les plus hautes mers ni par suite qu'elle ait pu être intégrée au domaine public maritime en application des articles 2 et 4 de la délibération n° 2004-34 APF du 12 février 2004 et de la jurisprudence du Conseil d'Etat, une telle preuve ne ressortant pas des photos satellite ;
- l'appartenance de la partie de la parcelle considérée au domaine public ne peut se déduire ni de la qualité du sable, ni de la présence et de l'emplacement du mur d'enrochement ;
- cette partie de parcelle peut d'autant moins être recouverte par la mer du fait d'un mouvement de marée que les variations de la marée, qui est à cet endroit principalement " solaire ", sont très faibles ;
- la Polynésie ne peut davantage considérer que le terrain litigieux est constitutif d'un lais de mer, la couleur foncée du sable révélant qu'il trouve son origine dans l'érosion du basalte dans cette zone volcanique et non dans les lais et relais de mer ;
- par la nouvelle délimitation du domaine public maritime en date du 12 septembre 2023 la Polynésie française revient elle-même sur la délimitation litigieuse, ce qui pourrait conduire la Cour à prononcer un non-lieu à statuer sur la présente requête ;
- les photographies produites par la collectivité à l'appui de son second mémoire en défense ne comportent pas la date à laquelle elles ont été prises et il n'en résulte pas qu'elles ne l'auraient pas été pendant un phénomène météorologique exceptionnel, outre qu'à supposer qu'elles aient vraiment été prises en janvier 2024 cette période a été marquée par des mouvements météorologiques exceptionnels.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 décembre 2023, 3 février 2024 et 13 mars 2024 la Polynésie française, représentée par Me Quinquis, demande à la Cour :
1°) à titre liminaire de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle au tribunal foncier de Papeete pour déterminer les limites exactes de la propriété de Mme B... ;
2°) à titre principal de rejeter la requête ;
3°) à titre subsidiaire, en cas d'annulation de la délimitation contestée, de reporter les limites de celle-ci vers l'intérieur des terres.
Elle soutient que :
- il y a lieu pour la Cour, en application de l'article R. 771-2 du code de justice administrative, de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle au tribunal foncier de Papeete pour déterminer les limites exactes de la propriété de Mme B... ;
- la nouvelle délimitation en date du 12 septembre 2023 dont la requérante se prévaut dans ses écritures en réplique résulte d'une erreur due à une vacance au sein du service compétent, et cette délimitation a été remplacée par une autre en date du 26 janvier 2024 ;
- les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 29 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 19 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la délibération du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Labetoulle,
- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bouchet, représentant Mme B....
Une note en délibéré, enregistrée le 8 janvier 2025, a été présentée pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Sur demande de la SARL GEOVRD dans le cadre d'un dossier de partage, la direction de l'équipement du ministère des grands travaux de la Polynésie française a, par un acte du 19 mai 2021, fixé la limite du domaine public maritime au droit de la parcelle cadastrée N 239, " Terre Ahototuana ", située sur le territoire de la commune de Arue, et dont Mme B... est propriétaire. Celle-ci, qui indique n'avoir pas eu alors connaissance de cette délimitation et ne l'avoir découverte qu'ultérieurement, a alors, par un courrier du 24 mai 2022 adressé à la direction de l'équipement, réceptionné le 14 juin suivant, demandé la rectification de cette délimitation domaniale. Le silence de l'administration sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet le 14 août 2022. Mme B... a dès lors saisi le tribunal administratif de la Polynésie française d'une demande tendant à l'annulation de cette décision ainsi que de l'acte de délimitation susvisé du 19 mai 2021. Le tribunal ayant rejeté sa demande par jugement du 23 mai 2023, elle relève appel de ce jugement par la présente requête, par laquelle elle sollicite également l'annulation du nouvel acte de délimitation intervenu en cours d'instance le 26 janvier 2024.
Sur les conclusions à fins d'annulation :
En ce qui concerne l'arrêté de délimitation du 19 mai 2021 et la décision implicite de rejet de la demande de modifier cette délimitation :
2. Aux termes de l'article 2 de la délibération du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française : " Le domaine public naturel comprend : (...) - le domaine public maritime qui se compose notamment des rivages de la mer, des lais et relais de mer, (...) ". Aux termes de l'article 4 de cette délibération : " (...) la délimitation du domaine public maritime des rivages de la mer est déterminée par la laisse de haute mer qui constitue la limite entre le domaine public et les propriétés privées. La laisse de haute mer s'étend jusqu'à la ligne du rivage où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles. La délimitation est soumise aux phénomènes naturels des variations du rivage qui constituent des gains ou des retraits de la mer ". Il résulte de ces dispositions que la limite du domaine public maritime doit, quel que soit le rivage, être fixée jusqu'au point où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles. En application de ce principe, la limite antérieurement fixée se trouve modifiée lorsque la mer vient à recouvrir des zones précédemment soustraites à son action, même si les terrains concernés ont fait l'objet de titres de propriété privée. Il appartient à l'administration, si elle entend se prévaloir d'une telle modification, d'apporter la preuve de la nouvelle limite qu'elle revendique.
3. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des documents photographiques déjà produits devant les premiers juges, que la fraction de terrain dont la requérante revendique la propriété, située entre l'enrochement édifié sur sa parcelle et le rivage de la mer, est caractérisée, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, par la présence de sable dont l'aspect ne diffère pas de celui du sable situé au bord de l'eau. Par ailleurs la présence sur ce terrain d'une végétation peu dense et variable selon les années ne s'oppose pas à ce qu'il soit tenu pour établi que la fraction de terrain en cause a été, au moins par intermittence mais pas seulement à l'occasion de phénomènes météorologiques exceptionnels, couverte par la mer au cours des années précédant la délimitation du 19 mai 2021, cette situation étant confirmée par le choix de l'emplacement de l'enrochement réalisé sur cette parcelle dans le prolongement de celui existant sur les parcelles voisines, aux fins, manifestement, de protéger les riverains et les terrains d'un risque de submersion au-delà de cet emplacement. Dès lors la fraction de parcelle en cause doit être regardée comme incorporée au domaine public maritime et par suite la requérante n'est pas fondée à soutenir que la délimitation en date du 19 mai 2021 et la décision de rejet de sa demande de la modifier seraient entachées d'illégalité.
En ce qui concerne l'arrêté de délimitation du 26 janvier 2024 :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions tendant à son annulation :
4. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la fraction de terrain dont Mme B... conteste l'appartenance au domaine public, située entre l'enrochement qu'elle a fait édifier et le rivage, devait déjà être regardée comme appartenant au domaine public maritime lors de l'arrêté de délimitation du 19 mai 2021. De plus il résulte des photographies produites par la Polynésie française à l'appui de son mémoire en date du 3 février 2024, dont cette collectivité établit qu'elles ont été prises le 25 janvier 2024, que cette fraction de terrain pouvait être recouverte par la mer jusqu'au mur d'enrochement édifié par Mme B.... Par ailleurs si celle-ci fait valoir qu'en janvier et février 2024 les conditions météorologiques étaient perturbées par le phénomène El Nino, il résulte toutefois des bulletins météorologiques et des courriels produits que la zone considérée ne connaissait pas de conditions météorologiques exceptionnelles entre le 24 et le 26 janvier 2024, avec notamment des vents modérés, ne dépassant pas 31 km/h et des cumuls de pluie ne dépassant jamais le seuil de vigilance. Il s'ensuit que la collectivité rapporte la preuve que la parcelle litigieuse était couverte par la mer en l'absence même de perturbations météorologiques exceptionnelles ; dès lors c'est à juste titre qu'à cette date encore cette fraction de terrain a été considérée par la délimitation contestée comme appartenant au domaine public maritime.
Sur les conclusions de la Polynésie française tendant à la transmission au juge judiciaire d'une question préjudicielle sur la propriété de la parcelle en cause :
5. Il appartient au juge administratif de se prononcer sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public, sauf à renvoyer à l'autorité judiciaire une question préjudicielle en cas de contestation sur la propriété du bien litigieux dont l'examen soulève une difficulté sérieuse. Le caractère sérieux de la contestation s'apprécie au regard des prétentions contraires des parties et au vu de l'ensemble des pièces du dossier. Le juge doit prendre en compte tant les éléments de fait que les titres privés invoqués par les parties.
6. Il résulte de ce qui précède que le présent litige porte sur la délimitation du domaine public maritime et que l'examen de la question de la propriété du bien litigieux ne présentait pas de difficulté sérieuse justifiant qu'une question préjudicielle soit transmise au juge judiciaire.
7. Par ailleurs la Polynésie française fait valoir que la zone litigieuse, dont l'incorporation au domaine public maritime est contestée, se situerait en tout état de cause à l'extérieur de la propriété de la requérante qui ne s'étendrait pas jusque-là, ce qui pourrait, selon cette collectivité, remettre en cause l'intérêt pour agir de Mme B... dans le présent litige. Toutefois il résulte de ce qui précède que la requête doit en tout état de cause être rejetée, sans qu'il soit dès lors besoin de se prononcer sur sa recevabilité, ni par suite sans qu'il soit besoin, pour la résolution du présent litige, de saisir le juge judiciaire d'une question sur l'étendue de la propriété de Me B....
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à " voir reconnaitre la nouvelle délimitation du domaine public maritime en date du 12 septembre 2023 " ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être également rejetées, de même que les conclusions subsidiaires de la Polynésie française et ses conclusions tendant à la transmission d'une question préjudicielle au juge judiciaire.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la Polynésie française est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... B... et à la Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Delage, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente assesseure,
- Mme Labetoulle, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2025.
La rapporteure,
M-I. LABETOULLE Le président,
Ph. DELAGE
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la république en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03793