Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Foncière Vélizy Rose a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mises en recouvrement à son encontre au titre des années 2014 et 2015 par avis de mise en recouvrement du 14 septembre 2018 et de condamner l'Etat à lui rembourser la somme correspondant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée, en droits et majorations, augmentée des intérêts moratoires.
Par un jugement n° 2005328/1-2 du 21 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 22 mai 2023, 1er décembre 2023 et 6 février 2024, la société Foncière Vélizy Rose, représentée par Me Jérôme Delaurière, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 mars 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées devant le tribunal et la restitution sollicitée, subsidiairement, de prononcer la décharge et la restitution des seules pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a produit des éléments documentaires et factuels indiscutables justifiant de la réalité des prestations dont elle a bénéficié en exécution du contrat d'asset management ; le tribunal les a écartés en entachant son jugement d'insuffisance de motivation et de contradiction de motifs ;
- elle a justifié devant le tribunal du bien-fondé de la commission versée à Obélisque Immobilier ; le tribunal a omis de statuer sur les arguments qu'elle invoquait sur ce point ;
- en confirmant la position de l'administration, le tribunal a inversé la charge de la preuve et permis à l'administration de s'immiscer dans la gestion de la société ;
- la théorie de l'acte anormal de gestion ne s'applique pas en matière de taxe sur la valeur ajoutée ; dès lors la taxe qui lui a été facturée est, en tout état de cause, déductible ;
- dès lors que la réalité des prestations est justifiée, leur déduction doit être prise en compte pour le calcul de la valeur ajoutée de l'entreprise au titre de la CVAE ;
- l'application des pénalités pour manquement délibéré n'est pas justifiée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 21 août 2023, 26 janvier 2024 et 25 avril 2024, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société requérante n'est fondé.
Par une ordonnance du 23 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chevalier-Aubert,
- et les conclusions de Mme Jurin.
Considérant ce qui suit :
1. La société Foncière Vélizy Rose, qui exerce une activité de location de terrains et autres biens immobiliers, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices 2013 à 2015, à l'issue de laquelle lui ont été notifiées des rectifications en matière de taxe sur la valeur ajoutée, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), d'impôt sur les sociétés et de taxe sur les bureaux. Les impositions supplémentaires mises à sa charge, au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et de la CVAE des années 2014 et 2015, ont été mises en recouvrement par avis du 14 septembre 2018, aucune imposition supplémentaire n'étant émise au titre de l'impôt sur les sociétés dès lors que la société se trouvait en situation de déficit sur l'ensemble de la période vérifiée. Par la présente requête, la société Foncière Vélizy Rose relève appel du jugement du 21 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions mises en recouvrement à son encontre le 14 septembre 2018, en droits et majorations.
Sur la régularité du jugement :
2. Contrairement à ce que soutient la société requérante, le tribunal n'a entaché son jugement d'aucune omission à statuer en écartant les moyens soulevés devant lui en ce qui concerne la remise en cause des déductions afférentes aux honoraires et à la commission versés à la société Obélisque Immobilier. En effet, après avoir rappelé le régime de preuve applicable puis, au point 5 de son jugement, les nombreux éléments relevés par l'administration, de nature à faire douter de la réalité des prestations ayant justifié ces honoraires et commission, il a relevé que la requérante ne produisait que des budgets et rapports trimestriels dont rien ne permettait d'établir qu'ils avaient été élaborés par la société Obélisque immobilier, ainsi qu'un simple courrier et un courriel, très insuffisants pour établir la réalité des prestations facturées par cette dernière. Par ailleurs, en indiquant, au point 5 de son jugement, que la société Obélisque Immobilier ne disposait d'aucun moyen matériel et humain, puis qu'elle s'était appuyée sur les salariés de la société Arizona Asset Management (AAM), le tribunal n'a pas insuffisamment motivé son jugement, dès lors qu'il ne faisait ainsi que recenser les éléments relevés par l'administration, élément d'ailleurs non discutés par la société qui n'a soutenu à aucun moment avoir conclu un contrat de sous-traitance avec la société AAM. Enfin, le tribunal n'a pas omis de se prononcer sur la remise en cause de la commission versée à la société Obélisque Immobilier, dès lors qu'il a expressément écarté comme constituant un acte anormal de gestion, pour les motifs indiqués supra, l'ensemble des versements opérés à cette société en exécution du contrat d'asset management, le juge n'étant jamais tenu de répondre à tous les arguments invoqués par le requérant au soutien de ses moyens.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la remise en cause des charges déduites à raison des honoraires et commission versés à la société Obélisque immobilier :
3. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : "Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...)". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.
4. La société Foncière Vélizy Rose a acquis, le 12 juillet 2007, un ensemble immobilier à usage commercial, de bureaux, de restaurant d'entreprise et de laboratoire, de locaux techniques et de locaux sociaux situé à Vélizy-Villacoublay qui était loué à la société Thalès. Elle a vendu cet ensemble le 27 mai 2014 à un pool bancaire pour un prix de 90 000 000 euros et a souscrit un contrat de crédit-bail portant sur le même ensemble immobilier auprès de ce pool, et continué à sous-louer l'ensemble immobilier à la société Thalès. Le 10 janvier 2012, la société Foncière Vélizy Rose a signé avec la société Obélisque Immobilier un contrat par lequel cette dernière s'engageait à réaliser au profit de la requérante des prestations d'asset management de l'ensemble immobilier situé à Vélizy-Villacoublay et, en particulier, l'élaboration des budgets et business plan annuels, la communication d'informations sur les événements affectant l'immeuble, sa valeur ou toute procédure judiciaire engagée contre la société requérante, la production de rapports trimestriels sur la situation du patrimoine, la vacance, l'état des entrées et des sorties des locataires, le suivi des travaux, des impayés et des contentieux, la supervision des prestations réalisées par la société Arizona Asset Management (AAM), avec laquelle la société requérante a signé un contrat de property manager le 10 janvier 2012, l'assistance à la gestion administrative, comptable et financière et le conseil en matière de financement ou de refinancement. Sur la base de ce contrat, la société Foncière Vélizy Rose a déduit en charges au titre des honoraires annuels d'asset manager la somme de 124 075 euros pour l'année 2014 et la somme de 124 608 euros pour de l'année 2015 ainsi qu'une commission sur cession d'un montant de 720 000 euros pour l'année 2014. L'administration a remis en cause le caractère déductible des factures émises par la société Obélisque Immobilier estimant que la réalité des prestations facturées n'était pas établie et que le contrat d'asset management avait seulement pour objet de permettre un prélèvement de trésorerie au profit d'Obélisque Immobilier sans contrepartie pour la société requérante.
5. S'il est constant que les honoraires et commission en cause ont été versés à la société Obélisque Immobilier sur la base de factures émises en exécution du contrat d'asset management signé par la requérante le 10 janvier 2012, l'administration était en droit, en vertu des principes précités, de demander à cette dernière de produire tous éléments de nature à justifier de la réalité des prestations facturées.
6. Or, la société requérante, qui est seule en mesure de détenir les éléments de preuve demandés, n'a produit que des copies de budgets et rapports financiers trimestriels, dont rien ne permet d'établir qu'ils ont été élaborés par la société Obélisque Immobilier, aucun élément ne permettant d'identifier cette société sur les documents en cause, ainsi qu'un courrier et un courriel adressés au gérant de la société Obélisque Immobilier, qui était également gérant de la société requérante, alors que l'administration fait état de nombreux éléments précis et concordants de nature à étayer sa contestation du caractère déductible des dépenses en cause.
7. En effet, l'administration relève, sans être sérieusement contredite, que la société Obélisque Immobilier, qui était domiciliée jusqu'en 2015 dans les bureaux de la société AAM et depuis 2016 à une adresse de domiciliation, ne disposait d'aucun moyen matériel et humain autre que son gérant, également gérant de la société Foncière Vélizy Rose, qu'une partie des prestations prévues à la convention du 10 janvier 2012 était surabondante avec celles confiées à la société AAM ou avec les missions inhérentes aux fonctions du dirigeant de la société requérante elle-même, que l'ensemble immobilier objet du contrat d'asset management ne comportait qu'un unique locataire, la société Thalès, et que, pour le seul événement marquant durant la période d'exécution de ce contrat, à savoir la vente de l'ensemble immobilier et sa reprise en crédit-bail, la société requérante avait eu recours à cinq prestataires extérieurs qu'elle avait rémunérés, et dont elle avait d'ailleurs pu justifier de la réalité des prestations par des éléments concrets, à la différence des prestations facturées par la société Obélisque Immobilier. L'administration relève également que les différentes sociétés en présence avaient des intérêts liés, la société requérante étant présidée par l'EURL REL dont l'associé gérant, M. B... était également, en 2014 et 2015, gérant de la société Obélisque Immobilier, société créée par son frère, la société AAM étant cogérée par M. B... et sa sœur.
8. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et sans que la société puisse utilement faire valoir que le choix de la société Obélisque Immobilier aurait été validé par son actionnaire et par les investisseurs, professionnels indépendants de l'immobilier, l'administration était fondée à remettre en cause la déduction des charges en cause au titre des années 2014 et 2015, eu égard aux nombreux indices concordants de nature à faire douter de la réalité des prestations ayant donné lieu à paiement des honoraires et commission facturés par la société Obélisque Immobilier et à l'absence d'éléments précis justifiant du travail effectivement réalisé par cette société. A cet égard, la société requérante ne soutient pas à bon droit que l'administration aurait, de ce fait, méconnu le principe de non-immixtion dans la gestion de l'entreprise.
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée déductible :
9. Aux termes du 1 du I de l'article 271 du code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération ".
10. Faute pour la société requérante de justifier de la réalité des prestations facturées par la société Obélisque Immobilier, la taxe sur la valeur ajoutée facturée par cette société ne peut être regardée comme ayant grevé les éléments du prix d'une opération imposable. L'administration était par suite fondée à remettre en cause la déduction de cette taxe, sans que la société puisse utilement soutenir que " même s'il était avéré que les dépenses litigieuses n'aient pas été engagées dans l'intérêt de la société, la taxe grevant ces dépenses n'en serait pas moins déductible ".
Sur les pénalités :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ".
12. En relevant, dans la proposition de rectification adressée à la société requérante que celle-ci avait délibérément supporté des dépenses étrangères à son intérêt, dès lors qu'elle ne pouvait ignorer que la société Obélisque immobilier ne disposait d'aucun moyen matériel ou humain autre que son dirigeant, que le contrat d'asset management n'avait donné lieu à aucune sous-traitance justifiée, et qu'il ne se justifiait d'ailleurs par aucun besoin s'agissant de la gestion d'un unique immeuble, loué à un unique locataire, alors que la société requérante avait déjà rémunéré d'autres prestataires extérieurs pour la gestion de cet actif, l'administration justifie l'application des pénalités pour manquement délibéré prévu par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Foncière Vélizy Rose n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête d'appel ne peut, en conséquence, qu'être rejetée, en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Foncière Vélizy Rose est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Foncière Vélizy Rose et au ministre chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée au directeur de la direction des vérifications de situations fiscales.
- Mme Chevalier-Aubert, présidente de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Laforêt, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2025
La présidente-rapporteure,
V. Chevalier-Aubert
La présidente-assesseure,
P. Hamon
La greffière,
C. Buot La République mande et ordonne à la ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02275