Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Le Petit Cervantes a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 15 avril 2022 par lequel la maire de Paris a rejeté sa demande d'autorisation d'installation de dispositifs de type contre-terrasse estivale sur stationnement et terrasse estivale et de mettre à la charge de la Ville de Paris une somme de 4 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2211737 du 27 juin 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les
26 août 2024, 22 octobre 2024 et 25 février 2025 la société Le Petit Cervantes, représentée par
Me Jorion, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 juin 2024 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 15 avril 2022 par lequel la maire de Paris a rejeté sa demande d'autorisation d'installation de dispositifs de type contre-terrasse estivale sur stationnement et terrasse estivale ;
3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué a été incompétemment signé ;
- l'arrêté attaqué s'est à tort fondé, pour refuser l'autorisation d'installation de la contre terrasse, sur les articles DG5 et DG14 de l'arrêté du 11 juin 2021 portant règlement des étalages et terrasses et sur la dangerosité de la traversée de la chaussée alors que cette voie est dans une zone de rencontre, où les piétons peuvent circuler librement et où les véhicules sont extrêmement rares, sans que l'existence d'une piste cyclable à contresens soit de nature à remettre en cause cette situation ;
- l'article DG5 du règlement n'impose pas que la contre-terrasse se situe au droit de l'établissement et elle pouvait légalement être autorisée sur le trottoir d'en face ;
- l'arrêté attaqué s'est à tort fondé sur les dispositions de l'article TE2.2 de cet arrêté et sur une insuffisance alléguée de la largeur du trottoir devant accueillir la terrasse estivale, le constat d'huissier produit établissant que le trottoir est d'une largeur de 2,26 M, donc supérieure aux 2,20 M imposés par ce règlement, et qu'une largeur utile de 1,81 M est laissée aux piétons ;
- l'arrêté attaqué méconnait le principe d'égalité dès lors que les restaurants voisins, situés aux 39, 43 et 45 rue des Cinq-Diamants bénéficient d'autorisations de terrasses estivales.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 janvier 2025 et 19 mars 2025 la Ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Le Petit Cervantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Le Petit Cervantes ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 3 mars 2025, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au
19 mars 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la route ;
- l'arrêté municipal du 11 juin 2021 portant règlement de l'installation des étalages et terrasses sur la voie publique ainsi que des contre-étalages et contre-terrasses, des commerces accessoires aux terrasses et des dépôts de matériel ou objets divers devant les commerces et des terrasses estivales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Labetoulle,
- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,
- les observations de Me Vincent-Biasotto, représentant la société Le Petit Cervantes,
- et les observations de Me Falala, représentant la Ville de Paris.
Une note en délibéré, enregistrée le 1er avril 2025, a été présentée pour la société Le Petit Cervantes.
Considérant ce qui suit :
1. La société Le Petit Cervantes exploite un fonds de commerce de restauration sous une enseigne du même nom au 36 rue des Cinq-Diamants dans le 13ème arrondissement de Paris. Ayant obtenu des autorisations d'installer une terrasse estivale sur trottoir et une contre-terrasse estivale en 2020 et 2021, elle a, par une demande du 29 juin 2021, sollicité des autorisations identiques pour l'année suivante. Toutefois la maire de Paris a rejeté sa demande par un arrêté du 15 avril 2022. La société Le Petit Cervantes a dès lors saisi le tribunal administratif de Paris de deux demandes, tendant à la suspension et à l'annulation de cet arrêté. Par une ordonnance n° 2211736 du 13 juin 2022 le juge des référés de ce tribunal a partiellement fait droit aux conclusions présentées devant lui et a prononcé la suspension de l'arrêté litigieux en ce qu'il refusait l'installation d'une contre terrasse estivale et enjoint à la Ville de Paris d'autoriser la société Le petit Cervantès à installer une contre-terrasse estivale sur stationnement dans un délai de quinze jours. En revanche, statuant sur la demande au fond le tribunal a ensuite intégralement rejeté cette demande par un jugement
n° 2211737 du 27 juin 2024 dont la société Le Petit Cervantes relève dès lors appel.
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
2. Si la société requérante indique dans sa requête introductive d'instance entendre soulever de nouveau en appel le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte attaqué, et renvoie à des développements ultérieurs, qui au demeurant ne figurent pas dans ses mémoires suivants, le moyen ne peut en tout état de cause qu'être rejeté par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
En ce qui concerne les conclusions en annulation de l'arrêté du 15 avril 2022 en tant qu'il refuse l'installation d'une contre-terrasse estivale sur stationnement :
3. Aux termes de l'article DG5 du règlement de l'installation des étalages et terrasses sur la voie publique tel qu'issu de l'arrêté municipal du 11 juin 2021 : " (...) / Des contre-terrasses sur stationnement peuvent être autorisées, y compris dans les voies ouvertes en tout temps à la circulation, toute l'année (article 4.3.3 du titre II du présent règlement) ou dans le cadre saisonnier des terrasses estivales défini au titre IV du présent règlement. / L'autorisation peut être refusée notamment pour des motifs liés : / - aux conditions locales de circulation (piétons, livraisons, accès aux bâtiments, ...) ; / - à la configuration des lieux (mobilier urbain, signalisations, émergences, réseaux et concessionnaires, installations voisines, ...) ; / - à la préservation des plantations, des espaces végétalisés et des arbres ; / - aux conditions de sécurité (accès aux engins de secours, bouches d'incendie, robinets de barrages de gaz, circulation automobile...) ; / - à la présence permanente ou intermittente de marchés alimentaires ou de marchés spécialisés (aux fleurs, aux puces, aux livres.) ; / - aux sanctions antérieures prononcées contre le demandeur, notamment en cas de retrait des autorisations qui lui ont été accordées ". Aux termes de l'article TE.4.2. du même règlement : " -Caractéristiques des contre-terrasses estivales sur stationnement. / Outre le respect des dispositions générales du présent règlement, il est précisé que : / (...) - en fonction de la configuration des lieux, en l'absence de stationnement disponible au droit du commerce, des contreterrasses sur stationnement peuvent être autorisées de l'autre côté de la chaussée, y compris dans les voies ouvertes en tout temps à la circulation, dont la vitesse maximum autorisée est inférieure à 50 km/heure ". Aux termes de l'article R. 4.2 du même règlement " des contre terrasses sur une place ou un terre-plein au-delà d'une chaussée ouverte à la circulation peuvent être autorisées dans les zones de rencontres telles que définies à l'article R110-2 du code de la route ". Enfin l'article R. 110-2 du code de la route définit les zones de rencontres comme les " section ou ensemble de sections de voies en agglomération constituant une zone affectée à la circulation de tous les usagers. Dans cette zone, les piétons sont autorisés à circuler sur la chaussée sans y stationner et bénéficient de la priorité sur les véhicules. La vitesse des véhicules y est limitée à 20 km/ h. Toutes les chaussées sont à double sens pour les cyclistes, les conducteurs de cyclomobiles légers et les conducteurs d'engins de déplacement personnel motorisés, sauf dispositions différentes prises par l'autorité investie du pouvoir de police. Les entrées et sorties de cette zone sont annoncées par une signalisation et l'ensemble de la zone est aménagé de façon cohérente avec la limitation de vitesse applicable. ".
4. Il résulte de ces dispositions combinées que des autorisations d'implantations de contre-terrasses peuvent être délivrées, d'une part, en l'absence de stationnement disponible au droit de l'établissement, de l'autre côté de la chaussée, y compris dans les voies ouvertes en tout temps à la circulation dès lors que la vitesse maximum autorisée y est inférieure à 50 km/h, et, d'autre part, qu'elles peuvent également l'être dans les zones de rencontre.
5. En premier lieu, pour refuser d'autoriser la société requérante à installer une contre-terrasse sur stationnement en face de son établissement, au-delà de la chaussée, la ville de Paris a retenu que l'installation projetée ne satisferait pas aux conditions locales de circulation, en raison de son positionnement au-delà de la chaussée qui rendrait dangereuse la traversée pour les piétons, compte tenu notamment de la présence d'une piste cyclable à contresens. Or il ressort des pièces du dossier que la chaussée au droit de l'établissement de la requérante se situe en zone de rencontre, où les piétons bénéficient de la priorité sur les véhicules, peu important dès lors l'absence de passage piétons, et où la vitesse de circulation des véhicules est limitée à 20 km/h soit bien en deçà du maximum de 50 km/h retenu par l'article T.E.4.2 du RET. En outre, alors qu'en application de la définition même, contenue à l'article R. 110-2 du code de la route, de ces zones de rencontre, les chaussées y sont à double sens pour les cyclistes, les conducteurs de cyclomobiles légers et les conducteurs d'engins de déplacement personnel motorisés, la seule présence rue des Cinq-Diamants d'une piste cyclable à contresens n'apparait pas, par elle-même, en l'absence d'autres éléments, susceptible de constituer un danger particulier pour la sécurité des piétons de nature à justifier le refus d'autorisation contesté. Par ailleurs, si la légalité d'une décision administrative s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, le constat d'huissier en date du 8 octobre 2024, et les témoignages de voisins, établis après l'édiction de l'arrêté litigieux, peuvent néanmoins éclairer sur la situation existante à cette date, et ils font état de la très faible circulation dans la rue des Cinq-Diamants et par conséquent du peu de dangerosité pour la traversée de cette voie, alors pourtant que ce constat d'huissier a été réalisé à l'automne, un jour de pluie, donc dans des circonstances incitant plus à l'usage de véhicules automobiles que la période estivale, pour laquelle l'autorisation est sollicitée. Enfin, ainsi que l'avait à juste titre relevé le juge des référés dans son ordonnance du 13 juin 2022, alors que la société requérante avait été titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine public au titre des années 2020 et 2021 pour les mêmes installations, aucun incident lié à la traversée de la chaussée par les clients et les employés de l'établissement n'avait été signalé. Par suite la requérante est fondée à soutenir que l'arrêté attaqué ne pouvait légalement se fonder sur les conditions locales de la circulation pour rejeter la demande d'autorisation sollicitée.
6. En second lieu, ce refus d'autorisation de contre-terrasse se fonde également sur la circonstance que celle-ci se situerait au droit d'un autre commerce dont il conviendrait de préserver les droits du propriétaire à solliciter lui-même une autorisation de contre terrasse. Toutefois, si la requérante ne peut se prévaloir utilement de l'attestation, en date du 20 février 2025, du représentant de la société ayant repris ce commerce sis 29 rue des Cinq-Diamants, et attestant de l'absence de gêne occasionnée par la contre terrasse de la requérante, et même de son souhait qu'elle se maintienne, ce document se référant à une situation postérieure à l'intervention du refus litigieux, il ressort en revanche de l'ensemble des pièces du dossier, et en particulier des photos produites, que le commerce mentionné par l'arrêté était fermé de longue date, et, ainsi que l'a, à juste titre là encore, retenu le juge des référés du tribunal, il n'est pas contesté qu'il n'était pas exploitable en l'état. Par suite, alors surtout qu'une autorisation d'occupation du domaine public revêt par nature un caractère précaire et révocable, l'arrêté litigieux n'a pu se fonder sur la préservation d'hypothétiques droits du propriétaire de cet immeuble. Enfin si la Ville fait valoir devant la Cour un nouveau motif de refus tiré de ce que l'emplacement souhaité pour la contre terrasse ne se trouverait pas au droit de l'établissement de la société requérante, il ne résulte pas des dispositions qu'elle rappelle de l'article DG5 du RET que lorsque, en l'absence de stationnement disponible au droit du commerce, une contre terrasse sur stationnement serait envisagée de l'autre côté de la chaussée, elle devrait alors se trouver également au droit de l'établissement, sur le côté opposé, sans qu'aucun décalage ne soit possible. Par suite la requérante est fondée à soutenir que la Ville de Paris a fait une application erronée des dispositions des articles DG.5 et TE.4.2 de l'arrêté municipal du 11 juin 2021, et que le tribunal a dès lors à tort rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté en litige en tant qu'il porte refus d'autorisation de la contre terrasse sollicitée.
En ce qui concerne les conclusions en annulation de l'arrêté du 15 avril 2022 en tant qu'il refuse l'installation d'une terrasse estivale sur trottoir :
7. Aux termes de l'article DG.10 de l'arrêté municipal du 11 juin 2021 : " L'espace public parisien doit ménager dans les meilleures conditions possibles un espace de circulation réservé au cheminement des piétons, en particulier des personnes en situation de handicap. (...) La largeur utile du trottoir est calculée à partir du socle de la devanture ou, à défaut de socle, à partir du nu du mur de la façade, jusqu'au premier obstacle situé au droit de l'établissement, tel que les entourages d'arbres (grillagés ou non), grilles d'aération du métro, stationnement autorisé ou réservé de véhicules sur le trottoir, pistes cyclables, trémies d'accès aux passages souterrains ou aux stations de transport (métro, RER,...), abris-bus, mobiliers urbains notamment feux tricolores, panneaux de signalisation, bornes d'appel, potelets ou plots anti-stationnement, kiosques, abaissements de trottoirs à proximité de passages protégés, etc./ (...) ". Aux termes de l'article TE 2.2 de l'arrêté municipal du 11 juin 2021 : " Un espace destiné à la circulation des piétons et des personnes à mobilité réduite d'une largeur de 1,60 mètre au minimum doit être laissé libre de tout obstacle ", (...) " il ne peut être autorisé de terrasse ouverte estivale d'une largeur inférieure à 0,60 mètre. En conséquence, sur les trottoirs d'une largeur utile inférieur à 2,20 mètres, les terrasses ouvertes estivales sont interdites. ".
8. Il ressort des pièces du dossier et en particulier du constat d'huissier produit par la requérante que le trottoir au droit de son établissement présente une largeur totale de 2,26 mètres mais que la largeur entre la base de la devanture et la face intérieure de la bite d'amarrage implantée sur ce trottoir n'est que de 1,81 mètre. Il s'ensuit que ce trottoir présente une largeur utile inférieure à 2,20 mètres ce qui, en application des dispositions précitées de l'article RE2.2 du RET, justifiait que sa demande soit refusée, peu important la distance existant entre les diverses bites d'amarrage dès lors que l'une d'elles au moins se trouve implantée au droit de l'établissement et réduit dès lors la largeur utile du trottoir à cet emplacement. Par suite la maire de Paris n'a pas commis d'erreur de fait ni d'erreur d'appréciation en estimant que l'autorisation d'implantation de terrasse sollicitée méconnaissait les dispositions de l'article TE 2.2 du règlement précité.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Le Petit Cervantes est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 avril 2022 en tant qu'il refuse l'installation d'une contre-terrasse estivale sur stationnement.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris le versement à la société Le Petit Cervantes d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la Ville de Paris présentées sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er: Le jugement du 27 juin 2024 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation du refus d'autorisation d'une contre-terrasse estivale sur stationnement contenu dans l'arrêté du 15 avril 2022.
Article 2 : La Ville de Paris versera à la société Le Petit Cervantes une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la Ville de Paris présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Le Petit Cervantes et à la Ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Delage, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente assesseure,
- Mme Labetoulle, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2025.
La rapporteure,
M-I. LABETOULLE Le président,
Ph. DELAGE
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA03812