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18/04/2023 | FRANCE | N°22TL22141

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 18 avril 2023, 22TL22141


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 5 février 2021 par lequel la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

Par un jugement n° 2101354 du 28 septembre 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requ

te, enregistrée le 25 octobre 2022, et des pièces complémentaires, enregistrées le 6 janvier 2023...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 5 février 2021 par lequel la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

Par un jugement n° 2101354 du 28 septembre 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2022, et des pièces complémentaires, enregistrées le 6 janvier 2023, M. A..., représenté par Me Pougault demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 28 septembre 2022 ;

3°) d'annuler l'arrêté de la préfète du Tarn du 5 février 2021 ;

4°) d'enjoindre à la préfète du Tarn de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation administrative ;

5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ou, à défaut d'admission à l'aide juridictionnelle totale, de lui verser directement sur le seul fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé, dans toutes ses composantes, en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, notamment en ce qui concerne sa situation personnelle et familiale ;

- la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour est entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article 47 du code civil et de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015, dès lors que, après avoir saisi les autorités guinéennes le 11 décembre 2020, aux fins de vérifications des documents d'état civil de M. A..., la préfète du Tarn aurait dû attendre l'écoulement du délai de 8 mois prévu par l'article 1er du décret susvisé pour adopter la décision attaquée ;

- elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 47 du code civil, de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015, ainsi que d'une erreur de fait quant à sa date de naissance ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences d'une exceptionnelle gravité sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrer un titre de séjour ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de destination est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité des décisions portant refus de délivrer un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2022, la préfète du Tarn conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 17 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 ;

- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Après avoir entendu le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur, au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant guinéen, est, selon ses déclarations, né le 1er janvier 2003 à Conakry (Guinée) et entré irrégulièrement sur le territoire français en décembre 2018. À compter du 15 avril 2019, il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du département du Tarn, en qualité de mineur non accompagné. Le 3 décembre 2020, l'intéressé a déposé une demande d'admission exceptionnelle au séjour, sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par un arrêté en date du 5 février 2021, la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer ce titre, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office. Par un jugement du 28 septembre 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de cet arrêté. Par la présente requête, l'intéressé relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " À titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".

3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

4. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". En vertu du premier alinéa de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Cet article dispose, quant à lui, que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Par ailleurs, l'article 1er du décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger prévoit que : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. Dans le délai prévu à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative informe par tout moyen l'intéressé de l'engagement de ces vérifications ".

5. L'article 47 du code civil précité pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il résulte toutefois de l'ensemble des dispositions précitées que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

6. En troisième lieu, aux termes du II de l'article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice : " II. - Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. / La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Un décret en Conseil d'État précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation ". À cet égard, le décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère, applicable aux légalisations intervenues à compter du 1er janvier 2021, prévoit à son article 3 : " I. l'ambassadeur ou le chef de poste consulaire français peut légaliser : 1° Les actes publics émis par les autorités de son État de résidence, légalisés le cas échéant par l'autorité compétente de cet État (...) ". Toutefois, en vertu de l'article 4 du même décret : " Par dérogation au 1° du I de l'article 3, peuvent être produits en France (...) : 1° Les actes publics émis par les autorités de l'État de résidence dans des conditions qui ne permettent manifestement pas à l'ambassadeur ou au chef de poste consulaire français d'en assurer la légalisation, sous réserve que ces actes aient été légalisés par l'ambassadeur ou le chef de poste consulaire de cet État en résidence en France. Le ministre des affaires étrangères rend publique la liste des États concernés (...) ". Il ressort de l'annexe 8 du tableau récapitulatif de l'état actuel du droit conventionnel en matière de légalisation que cette liste comprend notamment la République de Guinée.

7. En quatrième lieu, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.

8. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de titre de séjour, pour justifier être né le 1er janvier 2003 et, partant, le fait qu'il avait entre seize et dix-huit ans lorsqu'il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance, M. A... a produit un jugement supplétif n° 1258 tenant lieu d'acte de naissance, rendu le 22 janvier 2019 par le tribunal de première instance de Conakry III - Mafanco (République de Guinée), un extrait n° 1014 du registre des actes de l'état civil de la commune de Matoto du 4 février 2019, portant transcription de ce jugement, une carte d'identité consulaire délivrée le 8 septembre 2020 et la copie d'un passeport. Devant les juridictions administratives, M. A... a également produit une carte consulaire délivrée le 17 juin 2022 et un passeport délivré le 6 juillet 2022. Tous ces documents mentionnent qu'il est né le 1er janvier 2003.

9. Pour refuser de délivrer à M. A... le titre de séjour sollicité, la préfète du Tarn a notamment estimé que les documents d'état civil fournis ne présentaient pas une authenticité certaine permettant d'établir son identité et son âge réel. Pour parvenir à cette conclusion, elle se fonde, entre autres, sur le rapport d'examen technique et documentaire de la cellule fraude documentaire et à l'identité de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Toulouse du 18 décembre 2020, lequel émet un avis défavorable quant à la régularité des documents d'état civil examinés. En effet, ce rapport indique, tout d'abord, que ces documents ne comportent pas les sécurités documentaires de base, de sorte qu'une simple imprimante suffit à les édicter, et qu'ils n'ont pas été légalisés par les autorités françaises en poste en Guinée. Ensuite, le jugement supplétif a été rendu le lendemain de la requête, ce qui laisse peu de place à l'enquête préliminaire, et il ne comprend ni la mention relative à la lecture des actes d'état civil, prévue à l'article 174 du code civil guinéen, ni celle relative à la signature des actes d'état civil, prévue à l'article 176 de ce code. Enfin, si un jugement supplétif est censé être établi dans l'hypothèse où la naissance de l'intéressé n'a pas été déclarée en temps légal, M. A... a pu présenter une photocopie d'un passeport émis en 2018, ce qui implique qu'il était déjà détenteur, à cette date, d'un état civil en Guinée. Par ailleurs, la préfète du Tarn relève que le jugement supplétif a été rendu à la requête du père de M. A... alors même que M. A... se trouvait en France et qu'il a déclaré que son père était mort avant sa naissance. En outre, en ce qui concerne la carte d'identité consulaire, celle-ci a été obtenue sur la base d'un extrait d'acte de naissance non probant et, en ce qui concerne le passeport de 2018, l'original n'a pas été remis et la copie est de mauvaise qualité.

10. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que, en date du 7 septembre 2021, M. A... a fait une demande de légalisation de ses documents auprès de l'ambassade de Guinée en France et que le jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance et l'extrait du registre de l'état civil produits, s'ils ont d'abord été légalisés par un juriste au ministère des affaires étrangères et des Guinéens de l'étranger, respectivement le 4 janvier 2019 et le 4 mai 2019, ont ensuite fait l'objet d'une nouvelle légalisation, le 26 octobre 2021, par l'ambassade de Guinée en France. M. A... a également produit un jugement rectificatif n° 107 du tribunal de première instance de Conakry III - Mafanco (République de Guinée), en date du 19 février 2021, corrigeant la situation quant au décès de son père, lequel a été transcrit sous le n° 99 le 8 mars 2021 sur les registres de la commune de Matoto. Ce jugement comme l'extrait du registre ont également été légalisés, le 7 janvier 2022, par l'ambassade de Guinée à Paris. Malgré leur caractère postérieur à l'arrêté attaqué, ces différentes légalisations se rapportent à un état de fait préexistant à celui-ci et doivent être prises en compte pour apprécier sa légalité. Or, conformément à ce qui a été décrit au point 8, l'obligation de légalisation doit être regardée comme remplie par la légalisation effectuée par l'ambassade de Guinée en France. Dans ce contexte, et bien qu'une légalisation se borne à attester de la régularité formelle d'un acte, ces nouvelles légalisations tendent à redonner une valeur probante aux documents d'état civil dont M. A... se prévaut. Les autres éléments relevés par la préfète du Tarn apparaissent alors insuffisants pour écarter comme étant dépourvus de toute force probante quant à son identité et son âge les documents produits. En particulier, en l'absence de tout élément sur les sécurités documentaires que ces documents doivent comporter selon la législation guinéenne, la circonstance qu'ils en sont démunis n'est pas de nature à établir qu'ils ne sont pas authentiques. En outre, la circonstance que la requête et le jugement n'aient qu'un jour d'écart alors, au demeurant, qu'il ressort de ce dernier qu'il a été rendu après versement de documents au dossier et après enquête réalisée à la barre, notamment l'audition de deux témoins, ne permet pas de démontrer que le jugement supplétif n'est pas authentique. De même, la circonstance que les documents produits ne comportent pas l'ensemble des mentions prévues par les articles 174 et 176 du code civil guinéen, à supposer que ces articles leurs soient applicables, ne suffit pas à leur ôter tout caractère probant. Il en va également de la circonstance que M. A... a produit antérieurement une copie d'un passeport établi en 2018, dont il n'est pas soutenu qu'il aurait fait apparaître une date de naissance différente. Par ailleurs, l'authenticité de la carte consulaire, délivrée le 17 juin 2022, et du passeport biométrique, délivré le 6 juillet 2022, n'est pas contestée par la préfète du Tarn à laquelle ils ont été transmis dans le cadre de la présente instance. Dans ces conditions, la préfète du Tarn ne peut être regardée comme renversant la présomption de validité de l'article 47 du code civil et c'est donc en méconnaissance des dispositions de cet article, ainsi que de celle de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui renvoie à l'article 47 du code civil qu'elle a écarté les documents d'état civil produits par M. A....

11. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu'a estimé la préfète du Tarn, M. A... doit être regardé comme ayant justifié de son état civil et de son âge, ainsi que de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans. Par conséquent, la préfète du Tarn ne pouvait pas rejeter sa demande de titre de séjour, présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif qu'il ne satisfaisait pas à la condition d'âge prévue par celles-ci. Elle ne pouvait pas davantage rejeter sa demande en se fondant sur les dispositions précitées de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif que son identité n'était pas établie. Par suite, la décision du 5 février 2021 refusant à M. A... le titre de séjour qu'il avait sollicité, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions du même jour lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays à destination duquel il pourra être éloigné doivent être annulées.

12. Si la préfète du Tarn soutient que M. A... ne remplirait pas d'autres conditions prévues par les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que M. A... était inscrit en CAP " commerce et services en hôtel-café-restaurant " au titre de l'année scolaire 2019-2020 puis, suite à une réorientation, en CAP " Boulanger " au titre de l'année scolaire 2020/2021. Ainsi, il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. De plus, il n'est pas contesté qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Or, comme il a été dit au point 5, le respect de ces trois conditions, relatives à l'âge, au suivi de la formation et à l'absence de menace à l'ordre public, doit être vérifié en premier par le préfet examinant une demande présentée sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce respect conditionnant le résultat à apporter à la demande. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que le caractère réel et sérieux des études de M. A... n'apparaît pas sérieusement contestable, notamment au vu des appréciations de ses professeurs et du fait que sa réorientation reste cohérente et, a conduit, au demeurant, à une insertion professionnelle réussie. D'autre part, si la préfète du Tarn indique que M. A... a conservé des liens avec sa mère restée en Guinée, où résident également ses frères sœurs, les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'exigent pas que le demandeur soit isolé dans son pays d'origine. En conséquence, la préfète a entaché son refus de délivrance du titre de séjour sollicité d'une erreur manifeste d'appréciation.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète du Tarn du 5 février 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".

15. Les motifs de l'annulation retenus impliquent nécessairement que la préfète du Tarn délivre à M. A... le titre de séjour qu'il a sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Pougault, conseil de M. A..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 28 septembre 2022 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 5 février 2021, par lequel la préfète du Tarn a refusé de délivrer un titre de séjour à M. A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Tarn de délivrer un titre de séjour à M. A... dans un délai de deux mois suivant notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à Me Pougault, avocate de M. A..., la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Tarn.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2023.

Le président-assesseur,

P. Bentolila

Le président-rapporteur,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. LanouxLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL22141


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22141
Date de la décision : 18/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: M. Eric REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : POUGAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-04-18;22tl22141 ?
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