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27/06/2024 | FRANCE | N°22TL20724

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 27 juin 2024, 22TL20724


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée Tamalis a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 14 novembre 2019 par laquelle la directrice générale de l'établissement public foncier d'Occitanie a préempté la parcelle cadastrée section AB n° 115, située n° 185 chemin des Blanquettes, sur le territoire de la commune de Vias.



Par un jugement n° 2000155 du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette

demande et a mis à sa charge de la société Tamalis une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 7...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Tamalis a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 14 novembre 2019 par laquelle la directrice générale de l'établissement public foncier d'Occitanie a préempté la parcelle cadastrée section AB n° 115, située n° 185 chemin des Blanquettes, sur le territoire de la commune de Vias.

Par un jugement n° 2000155 du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande et a mis à sa charge de la société Tamalis une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 mars 2022, le 3 avril 2023 et le 22 mai 2023, la société par actions simplifiée Tamalis, représentée par la SELARL Roche Bousquet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 30 décembre 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 14 novembre 2019 ;

3°) de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à son bénéfice à hauteur de la somme de 2 000 euros.

Elle soutient que :

- l'évaluation du bien réalisée par le service des domaines est irrégulière en l'absence de visite sur place et d'information préalable de ce service sur l'occupation actuelle de la parcelle par une activité de camping sous couvert d'un bail commercial ;

- le droit de préemption institué pour constituer une réserve foncière au titre du code de l'urbanisme ne prime par sur le droit de préemption du locataire commercial prévu par l'article L. 145-46-1 du code de commerce, lequel vise également l'intérêt général ; à titre subsidiaire, l'existence de ce droit du locataire devrait conduire le juge à exercer un contrôle normal sur les motifs de la préemption et non pas un simple contrôle restreint ;

- la mesure de préemption en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et se trouve dépourvue de toute utilité au regard des objectifs en vue desquels a été mise en place la zone d'aménagement différé " Côte Ouest " sur la commune de Vias : la parcelle en cause n'est pas impactée par le recul du trait de côte ; la mesure litigieuse n'a pas pour objet de relocaliser l'activité de camping, mais aura pour effet de la supprimer, en contradiction avec l'objectif de maintien des activités économiques et touristiques ; la collectivité n'a par ailleurs pas exercé son droit de préemption sur plusieurs autres parcelles voisines.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2022, la commune de Vias, représentée par la SCP SVA, conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 novembre 2022 et le 28 avril 2023, l'établissement public foncier d'Occitanie, représenté par la SCP CGCB et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Tamalis une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen fondé sur le conflit des droits de préemption est irrecevable dès lors que la société requérante ne justifie pas être titulaire d'un bail commercial ;

- les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par une ordonnance en date du 22 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- les observations de Me Bousquet, représentant la société requérante,

- les observations de Me Crétin, représentant l'établissement public foncier intimé,

- les observations de Me Monflier, représentant la commune de Vias.

Une note en délibéré produite par la société Tamalis, représentée par la SELARL Roche Bousquet, a été enregistrée le 14 juin 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de l'Hérault a procédé, par un arrêté du 27 avril 2017, à la création d'une zone d'aménagement différé dite " ZAD Côte Ouest " sur le territoire de la commune de Vias. La société Les Gouttières était propriétaire d'une parcelle cadastrée section AB n° 115, d'une superficie de 1,44 hectare, à usage de terrain de camping, située au n° 185 du chemin des Blanquettes, au sein du périmètre de cette zone. La parcelle en cause a été louée à compter de l'année 2008 à la société France Floride, laquelle y a exploité l'activité de camping jusqu'à la reprise de cette activité par la société Tamalis en 2018. La société Les Gouttières projetant de vendre la parcelle à la société Tamalis, son notaire a adressé au maire de Vias, le 9 août 2019, la déclaration d'intention d'aliéner en vue de cette cession, pour un montant de 550 000 euros. Par une délibération du 1er octobre 2019, le conseil municipal de Vias a délégué à son maire l'exercice du droit de préemption au sein de la zone d'aménagement différé " Côte Ouest ". Puis, par une décision du 3 octobre suivant, le maire de Vias a lui-même délégué à l'établissement public foncier d'Occitanie l'exercice du droit de préemption sur la parcelle AB n° 115, au prix indiqué dans la déclaration d'intention d'aliéner. Enfin, par une décision du 14 novembre 2019, la directrice générale de l'établissement public foncier d'Occitanie a préempté ladite parcelle, pour le prix ainsi prévu. Par la présente requête, la société Tamalis, acquéreuse évincée, relève appel du jugement du 30 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 14 novembre 2019.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme : " Dans les zones d'aménagement différé, un droit de préemption (...) est ouvert soit à une collectivité publique ou à un établissement public y ayant vocation, soit au concessionnaire d'une opération d'aménagement. / L'acte créant la zone désigne le titulaire du droit de préemption. / (...) ". Aux termes de l'article R. 213-21 du même code : " Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner (...) excède le montant fixé par l'arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l'article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques. / Dans les zones d'aménagement différé, (...), le directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques doit être consulté, quel que soit le prix figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner. / (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le service chargé des évaluations domaniales de la direction départementale des finances publiques de l'Hérault a été consulté par l'établissement public foncier d'Occitanie sur la valeur vénale de la parcelle en litige et qu'il a rendu son avis le 13 novembre 2019 en estimant cette valeur conforme au prix de 550 000 euros mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner. D'une part et alors pourtant qu'aucun texte ne l'imposait, l'avis ainsi émis précise qu'une visite a eu lieu le 22 octobre 2019. D'autre part, la préemption ne portant que sur la parcelle elle-même, le service des domaines n'avait pas à prendre en compte la valeur du fonds de commerce ou du bail commercial. En tout état de cause, ledit service a été informé, par la déclaration d'intention d'aliéner, tant de l'affectation de la parcelle à l'usage de terrain de camping que de son occupation par la société Tamalis en qualité de locataire, comme le confirment au demeurant les indications portées sur l'avis du 13 novembre 2019. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité de la consultation du service des domaines doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 145-46-1 du code de commerce dans sa rédaction en vigueur à la date d'édiction de la décision de préemption en litige : " Lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. / (...) ".

5. Il ne résulte d'aucune disposition législative ou règlementaire en vigueur à la date de la décision en litige que les aliénations de biens sur lesquels un locataire ou un occupant détiendrait des droits, notamment un droit de priorité pour leur acquisition, seraient exclues du champ d'exercice du droit de préemption institué dans une zone d'aménagement différé, lequel poursuit un but d'intérêt général. Par suite et alors même qu'aucun texte ne le prévoyait de manière expresse à la date de la décision en cause, le droit de priorité pour l'acquisition de la parcelle, dont pouvait éventuellement bénéficier la société Tamalis en sa qualité de locataire, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, n'était pas de nature à faire obstacle à l'exercice, par la commune de Vias, de son droit de préemption au sein de la zone d'aménagement différé " Côte Ouest ". Par voie de conséquence, le moyen soulevé en ce sens doit être écarté, sans qu'il soit besoin de statuer sur sa recevabilité.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone. / (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une collectivité publique exerce dans une zone d'aménagement différé le droit de préemption dont elle est titulaire à des fins de constitution de réserves foncières en se référant aux motivations générales de l'acte qui a créé la zone, elle n'a pas à justifier de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement à la date de sa décision. Toutefois, la collectivité ne peut légalement exercer ce droit si la préemption est dépourvue d'utilité pour atteindre les objectifs en vue desquels la zone a été créée. Il appartient au juge, saisi d'un moyen en ce sens, de s'assurer de l'absence d'erreur manifeste dans cette appréciation, sans que n'ait d'incidence à cet égard la circonstance que l'acquéreur évincé bénéficierait d'un droit de priorité en tant que locataire ou occupant.

8. Il ressort des pièces du dossier, notamment des motifs de la décision en litige et de l'arrêté du 27 avril 2017 portant création de la zone d'aménagement différé " Côte Ouest ", que la commune de Vias s'est engagée en 2012 dans une politique de mise à l'abri des biens et des activités menacées par le recul du trait de côte et la submersion marine. Elle a été retenue dans le cadre d'un appel à projet national visant à la recomposition spatiale des territoires menacés par les risques littoraux et a signé, le 12 novembre 2015, une convention d'anticipation foncière avec l'établissement public foncier Languedoc-Roussillon portant sur le secteur " Côte Ouest ". Dans le prolongement des démarches ainsi initiées, l'arrêté du 27 avril 2017 précise que la création de la zone d'aménagement différé a pour objet la constitution de réserves foncières en vue, d'une part, du réaménagement de la côte ouest et de la relocalisation à moyen terme des activités menacées par le recul du trait de côte et, d'autre part, du maintien et du développement des activités de loisir et de tourisme par la reconstitution d'un espace balnéaire accessible.

9. Il est constant que la parcelle cadastrée AB n° 115 sur laquelle porte la mesure de préemption litigieuse, incluse dans le périmètre de la zone d'aménagement différé, se situe à moins de 150 mètres du trait de côte actuel. Si la société Tamalis soutient que le terrain ne serait pas directement menacé par les risques liés au recul du trait de côte, il ressort au contraire du plan de prévention des risques inondation et littoraux applicable à la commune de Vias, approuvé le 3 avril 2014, que ledit terrain est impacté par un aléa fort au titre du risque inondation et situé pour la moitié sud de sa surface au sein d'un secteur concerné par le risque érosion, ce qui a justifié son classement en zone rouge naturelle inconstructible au titre de ce plan. Les intimés précisent à cet égard que la collectivité souhaite réaménager les espaces les plus proches du rivage en plages et en chemins de promenade, tout en permettant le repli de l'urbanisation, notamment des installations de loisir et de tourisme, vers l'intérieur des terres, à l'abri des risques d'érosion et de submersion marine. Par suite et alors au demeurant que la mesure de préemption n'a pour effet de remettre en cause ni les droits que la société Tamalis tient de son bail actuel, ni la possibilité pour elle de poursuivre son activité commerciale dans le cadre de ce bail, il ne peut être valablement soutenu que la mesure en cause viendrait en contradiction avec l'objectif de maintien des activités économiques et touristiques retenu lors de la création de la zone d'aménagement différé. Enfin, si la société requérante relève que la collectivité n'a pas préempté d'autres parcelles situées dans le même périmètre et à supposer même que ces terrains se trouvent dans une situation comparable à celui en litige, une telle circonstance ne suffit pas à révéler par elle-même que la commune aurait renoncé aux buts initialement définis. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la préemption de la parcelle AB n° 115 n'est pas dépourvue d'utilité pour atteindre les objectifs ayant motivé la mise en place de la zone d'aménagement différé et la mesure contestée n'est par suite entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Tamalis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande en annulation de la décision du 14 novembre 2019.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mis à la charge de l'établissement public foncier d'Occitanie ou de la commune de Vias, lesquels ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement d'une somme quelconque à la société Tamalis au titre des frais non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de ladite société une somme de 1 500 euros à verser à l'établissement public foncier d'Occitanie à ce même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Tamalis est rejetée.

Article 2 : La société Tamalis versera à l'établissement public foncier d'Occitanie une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Tamalis, à la commune de Vias et à l'établissement public foncier d'Occitanie.

Copie en sera adressée à la société Les Gouttières.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Moutte, président,

M. Jazeron, premier conseiller,

Mme Lasserre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2024.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

J. F. Moutte

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22TL20724


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL20724
Date de la décision : 27/06/2024

Composition du Tribunal
Président : M. Moutte
Rapporteur ?: M. Florian Jazeron
Rapporteur public ?: Mme Meunier-Garner
Avocat(s) : SCP SVA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-27;22tl20724 ?
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