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09/07/2024 | FRANCE | N°23TL01888

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 09 juillet 2024, 23TL01888


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2302329 du 26 juin 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a prononcé l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2023 en tant seulement qu'il fixe

le Nigéria comme pays de renvoi, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser au con...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2302329 du 26 juin 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a prononcé l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2023 en tant seulement qu'il fixe le Nigéria comme pays de renvoi, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser au conseil de Mme A... au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 juillet 2023, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du 26 juin 2023 en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de renvoi et qu'il a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser au conseil de Mme A... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que c'est à tort que le magistrat désigné a estimé que la décision fixant le pays de renvoi méconnaissait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la seule circonstance que l'intéressée se soit extraite du réseau de prostitution n'étant pas suffisante pour démontrer qu'elle serait exposée à des risques réels et actuels en cas de retour dans son pays d'origine.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2023, Mme C... A..., représentée par Me Francos, sollicite son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente :

3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir, d'une part, qu'elle entend reprendre l'ensemble de ses conclusions et moyens présentés devant le tribunal administratif de Toulouse et, d'autre part, que la décision fixant le Nigéria comme pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par une ordonnance en date du 5 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 février 2024.

Par une décision du 15 mars 2024, Mme A... a obtenu le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Jazeron, premier conseiller.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante nigériane, née le 27 mars 2019 à Delta State (Nigéria), indiquant être entrée sur le territoire français le 6 juillet 2019, a déposé une demande d'asile le 19 août 2019, laquelle a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 novembre 2021, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 16 décembre 2022. Par un arrêté pris le 4 avril 2023, le préfet de la Haute-Garonne a obligé Mme A... à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination en vue de l'exécution de cette mesure d'éloignement. L'intéressée a sollicité l'annulation de cet arrêté auprès du tribunal administratif de Toulouse. Par un jugement rendu le 16 juin 2023, le magistrat désigné par la présidente de ce tribunal a prononcé l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2023 en tant qu'il fixe le Nigéria comme pays de renvoi, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser au conseil de Mme A... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de l'intéressée. Par la présente requête, le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de renvoi et qu'il a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros mentionnée ci-dessus.

Sur l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par une décision du 15 mars 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme A... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale au titre de la présente instance. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de l'intéressée tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle au titre de cette même instance.

Sur l'appel principal présenté par le préfet de la Haute-Garonne :

En ce qui concerne le moyen retenu par le premier juge :

3. L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". En outre, l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

4. Mme A... soutient qu'elle a quitté le Nigéria en 2016 pour échapper aux violences subies de la part de son beau-père, qu'elle a été victime d'un réseau de prostitution en Italie entre 2016 et 2018, qu'elle s'est extraite de ce réseau en 2019 et qu'elle serait menacée, ainsi que les membres de sa famille, en cas de retour dans son pays d'origine, au motif qu'elle n'aurait pas intégralement remboursé les dettes contractées auprès du réseau. Elle n'a néanmoins produit à l'appui de ses allégations que deux notes d'assistantes sociales établies les 23 et 24 mai 2023 indiquant seulement qu'elle aurait pris contact avec deux associations d'aide aux victimes de proxénétisme en 2021, ainsi qu'un message adressé à l'une de ces deux associations au mois de novembre de cette même année. Si la Cour nationale du droit d'asile a jugé dans sa décision du 16 décembre 2022 que les déclarations de l'intéressée permettaient de regarder comme établis son enrôlement dans un réseau de prostitution et sa qualité de victime d'un tel réseau et si les pièces versées au dossier sont de nature à laisser présumer qu'elle s'est extraite de ce réseau, les mêmes pièces ne sont pas suffisantes pour retenir que Mme A... serait exposée à des risques réels, actuels et personnels de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine, alors que ses déclarations sur ce point n'ont convaincu ni l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ni la Cour nationale du droit d'asile et que les rapports de portée générale dont elle se prévaut en appel ne sauraient corroborer à eux seuls les craintes invoquées. Il en résulte que c'est à tort que le magistrat désigné a considéré qu'en fixant le Nigéria comme pays de renvoi, le préfet de la Haute-Garonne avait méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A..., tant en première instance qu'en appel, au soutien de sa demande d'annulation de la décision fixant le pays de renvoi.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par l'intimée :

S'agissant de la légalité externe :

6. L'arrêté du 4 avril 2023 en litige a été signé, pour le préfet de la Haute-Garonne, par Mme D... B..., directrice des migrations et de l'intégration au sein de cette préfecture, laquelle bénéficiait d'une délégation à cet effet en vertu d'un arrêté préfectoral du 13 mars 2023, régulièrement publié le 15 mars suivant. Par conséquent, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision contestée ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.

7. L'arrêté critiqué rappelle que la demande d'asile de Mme A... a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile et mentionne que l'intéressée n'établit pas être exposée à des peines ou traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision fixant le pays de renvoi est ainsi suffisamment motivée.

S'agissant de la légalité interne et, plus précisément, de l'exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

8. Le moyen tenant à l'incompétence de la signataire de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté pour les motifs énoncés au point 6 du présent arrêt.

9. L'arrêté en litige se fonde notamment sur l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que sur le 4° de l'article L. 611-1 de ce code. Il précise que Mme A... ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en raison du rejet sa demande de protection internationale et mentionne les éléments essentiels de sa situation personnelle. Dès lors, la mesure d'éloignement est suffisamment motivée.

10. L'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; / (...) ".

11. Il ne ressort ni des motifs de l'arrêté attaqué ni des autres pièces du dossier que le préfet de la Haute-Garonne n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation particulière de Mme A... ou qu'il se serait cru lié par le rejet de sa demande d'asile avant de prendre la décision portant obligation de quitter le territoire français à son encontre sur le fondement des dispositions mentionnées au point précédent. Par suite, la mesure d'éloignement litigieuse n'est entachée d'aucune des erreurs de droit invoquées par l'intéressée.

12. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

13. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... n'est présente en France que depuis moins de quatre ans et qu'elle n'a été autorisée à y séjourner que temporairement pour le temps nécessaire à l'examen de sa demande d'asile. Elle est célibataire et sans enfant, ne possède aucun lien familial sur le territoire national et n'y justifie d'aucune insertion sociale ou professionnelle particulière, alors qu'elle n'est pas sans attaches dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de dix-huit ans et où réside au moins sa mère. Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire français ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale. Il s'ensuit que le préfet n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, la mesure d'éloignement n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation s'agissant de ses conséquences sur la situation de l'intéressée.

14. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 8 à 13 du présent arrêt que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas illégale. Par suite, l'intimée n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi serait privée de base légale.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les articles 2 et 3 du jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté en litige en tant qu'il fixe le Nigéria comme pays de renvoi et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser au conseil de Mme A... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur les conclusions incidentes présentées par Mme A... :

16. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 8 à 13 du présent arrêt que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas illégale. Dès lors, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 4 de son jugement, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les conclusions en injonction présentées par Mme A... :

17. Le présent arrêt fait droit à la requête d'appel du préfet de la Haute-Garonne et rejette les conclusions en annulation de Mme A.... Il n'implique aucune mesure d'exécution particulière au sens des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par suite, les conclusions en injonction présentées par l'intéressée ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présenté instance, une somme quelconque à verser à l'intimée au titre des frais non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme A... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Les articles 2 et 3 du jugement rendu par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse le 26 juin 2023 sont annulés.

Article 3 : La demande formée par Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse, en tant qu'elle porte sur la décision fixant le pays de renvoi, ainsi que les conclusions présentées par l'intéressée devant la cour, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme C... A... et à Me Francos.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23TL01888


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01888
Date de la décision : 09/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Florian Jazeron
Rapporteur public ?: Mme Meunier-Garner
Avocat(s) : FRANCOS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-09;23tl01888 ?
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