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17/09/2024 | FRANCE | N°22TL21224

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 17 septembre 2024, 22TL21224


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée NXP Semiconductors France a demandé au tribunal administratif de Toulouse, par une requête enregistrée sous le n° 1901339, d'annuler la décision du 19 juillet 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale de la Haute-Garonne de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Occitanie a refusé de lui accorder l'autorisation de licencier pour motif économique

M. A... B... ainsi que la décision par laquelle la ministre du travail a implicitement ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée NXP Semiconductors France a demandé au tribunal administratif de Toulouse, par une requête enregistrée sous le n° 1901339, d'annuler la décision du 19 juillet 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale de la Haute-Garonne de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Occitanie a refusé de lui accorder l'autorisation de licencier pour motif économique M. A... B... ainsi que la décision par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté son recours hiérarchique du 12 septembre 2018, reçu le 14 septembre suivant. Par une autre requête enregistrée sous le n° 1903633, M. B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 14 mai 2019 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet opposée au recours hiérarchique présenté par son employeur, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 19 juillet 2018 et autorisé le licenciement de ce salarié.

Par un jugement n°s 1901339 - 1903633 du 24 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de la société NXP Semiconductors France tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 19 juillet 2018 et de la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre cette décision, a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 14 mai 2019 précitée.

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire, et des pièces, enregistrés le 25 mai 2022 et les 18 septembre et 24 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Vaissière, doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 24 mars 2022 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail du 14 mai 2019 précitée ;

2°) d'annuler la décision du 14 mai 2019 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet opposée au recours hiérarchique présenté par son employeur à l'encontre de la décision de l'inspectrice du travail du 19 juillet 2018 refusant l'autorisation de le licencier, annulé cette décision du 19 juillet 2018 et autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de la société NXP Semiconductors France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- les moyens de légalité externe soulevés dans la requête sont recevables, cette cause juridique ayant été ouverte en première instance ;

- la décision ministérielle du 14 mai 2019 a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire ;

- la demande d'autorisation de licenciement est tardive en raison, d'une part, du délai de plus deux ans qui s'est écoulé depuis le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 12 mai 2016 et, d'autre part, du caractère définitif de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre du travail sur la demande d'autorisation de licenciement dont elle s'est trouvée à nouveau saisie à la suite de l'annulation contentieuse des décisions de l'inspecteur du travail et du ministre du travail refusant d'autoriser son licenciement ;

- elle a été prise en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 12 mai 2016 lequel n'a donné lieu à aucune demande d'exécution de la part de la société NXP Semiconductors France ;

- elle n'a pas été précédée de la consultation du comité social et économique ;

- la réalité du motif économique n'est pas établie et aucune menace sérieuse ne pesait sur la compétitivité de l'entreprise : la fermeture de l'atelier de fabrication en six pouces en 2012 alors qu'une nouvelle usine de fabrication a été inaugurée aux États-Unis en septembre 2020 a été volontairement provoquée par l'employeur lequel a favorisé l'obsolescence des outils de production en cessant tout investissement productif pendant plusieurs années ; en outre, l'endettement de la société résulte d'un choix stratégique délibéré destiné à assurer une plus grande rentabilité du groupe qui n'était pas commandé par la nécessité de sauvegarder l'entreprise ;

- l'employeur n'a pas satisfait de bonne foi à son obligation de reclassement ;

- il existe un lien entre son licenciement et l'exercice de ses mandats syndicaux.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 25 juillet, 9 octobre et 27 octobre 2023, la société NXP Semiconductors France, représentée par Me Christau, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge chacun de M. B... et de l'Union Fédérale Sud Industrie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- les moyens de légalité externe présentés par M. B... pour la première fois devant le tribunal dans le cadre de son mémoire du 20 mai 2021 sont irrecevables comme nouveaux en appel, ces moyens relevant d'une cause juridique distincte présentée au-delà du délai de recours contentieux devant le tribunal ; ces moyens sont, en outre, inopérants ;

- les moyens de légalité externe présentés par l'Union Fédérale Sud Industrie sont également irrecevables et inopérants, cette dernière ne pouvant soulever que des moyens relevant de la même cause juridique que celle soulevée par M. B... ;

- elle était fondée, postérieurement au jugement du tribunal administratif de Toulouse du 12 mai 2016 annulant les décisions refusant l'autorisation de licencier M. B..., à présenter une nouvelle demande d'autorisation de travail actualisée au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date de cette demande ;

- la seule circonstance que la ministre du travail a, le 14 mai 2019, adressé un accusé de réception aux observations transmises par l'appelant le 10 mai 2019, soit avant l'édiction de la décision en litige, n'est pas nature à établir que le principe du contradictoire aurait été méconnu ;

- la demande d'autorisation de licenciement n'est pas tardive ; l'autorisation de licencier l'appelant a été délivrée par la ministre du travail le 14 mai 2019 et la notification du licenciement est intervenue le 23 mai suivant, tandis qu'aucun changement dans les circonstances de fait et de droit n'est intervenu entre temps ;

- le comité social et économique n'avait pas à être saisi du projet de licenciement, M. B... ne détenant pas, en 2018, un mandat nécessitant la consultation de cette instance contrairement à la première procédure de licenciement initiée en 2012 ;

- la réalité du motif économique est établie ; en outre, M. B... ne peut utilement se prévaloir de l'absence de difficultés économiques, la demande d'autorisation de licenciement étant motivée par la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de la société, laquelle n'est pas subordonnée à l'existence de telles difficultés ;

- elle a respecté son obligation de reclassement ;

- le licenciement ne présente aucun lien avec les mandats syndicaux détenus par l'appelant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il soutient, en se référant à ses écritures de première instance, que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

Par une intervention, enregistrée les 7 septembre et 6 novembre 2023, sous le n° 22TL21224, ce dernier mémoire en intervention n'ayant pas été communiqué, l'Union Fédérale Sud Industrie (UFSI), représentée par Me Chebbani, demande à la cour de faire droit aux conclusions de la requête de M. B... et de mettre à la charge de la société NXP Semiconductors France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle se réfère aux moyens soulevés par M. B... et soutient, en outre, que :

- elle a intérêt à intervenir au soutien de la requête de M. B... au regard de son objet statutaire ;

- la situation économique de la société NXP Semiconductors n'était dégradée ni en 2012, date de la première demande d'autorisation de licenciement ni en 2018, lors de la nouvelle demande d'autorisation, aucune menace sérieuse ne pesant réellement sur sa compétitivité.

Par une ordonnance du 9 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 7 novembre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre, rapporteure,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Vaissière, représentant M. B..., de Me Christau, représentant la société NXP Semiconductors France et celles de Me Chebbani, représentant l'Union Fédérale Sud Industrie.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été recruté par la société NXP Semiconductors France, venant aux droits de la société par actions simplifiée Freescale Semiconducteurs France, elle-même venant aux droits de la société anonyme Motorola Semiconductors, le 8 octobre 1990, en qualité d'opérateur de production au sein de l'unité de fabrication de supports de semi-conducteurs au format six pouces située à Toulouse (Haute-Garonne). La fermeture de cette unité de fabrication ayant été décidée en 2009, un plan de sauvegarde de l'emploi a été mis en œuvre. Le 21 septembre 2012, la société Freescale Semiconducteurs France a présenté une demande en vue d'être autorisée à licencier, pour motif économique, M. B..., salarié protégé au titre de ses mandats de représentant de section syndicale au sein de l'établissement de Toulouse et de conseiller du salarié. Par une décision du 3 décembre 2012 l'inspectrice du travail a refusé l'autorisation de licencier M. B... au motif qu'aucune offre de reclassement ne lui avait été adressée. Saisi d'un recours hiérarchique présenté par la société, le ministre du travail a, par décision du 24 octobre 2013, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 3 décembre 2012 en considérant que la réalité du motif économique était établie et que l'employeur avait rempli ses obligations de recherche de reclassement tout en refusant l'autorisation de licencier M. B... au motif qu'il existait un lien entre la demande de licenciement et l'exercice de ses mandats syndicaux.

2. Le 31 octobre 2014, la société Freescale Semiconducteurs France a présenté une deuxième demande d'autorisation de licencier M. B... pour motif économique. Par une décision du 10 décembre 2014, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. B.... Le 17 décembre suivant, la société Freescale Semiconducteurs France a prononcé le licenciement pour motif économique de ce salarié. Saisi d'un recours hiérarchique présenté par M. B..., le ministre du travail a, par décision du 10 août 2015, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 10 décembre 2014 en raison de son insuffisante motivation et rejeté la demande d'autorisation de licenciement pour absence de justifications suffisantes de la réalité du motif économique invoqué. M. B... a été réintégré dans les effectifs de la société au mois d'août 2015 et placé en dispense d'activité rémunérée.

3. Par un jugement du 12 mai 2016, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 3 décembre 2012 et la décision du ministre du travail du 24 octobre 2013. Le 22 mai 2018, la société NXP Semiconductors France a présenté une troisième demande en vue d'être autorisée à licencier, toujours pour motif économique, M. B.... Par décision du 19 juillet 2018, l'inspectrice du travail a refusé cette autorisation au motif que l'employeur n'avait pas satisfait à ses obligations de reclassement. Saisi d'un recours hiérarchique présenté par l'employeur, la ministre du travail a, par décision du 14 mai 2019, annulé la décision de l'inspectrice du travail et autorisé le licenciement de ce salarié. Par jugement n° 1901339,1903633 rendu le 24 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 19 juillet 2018 présentée par la société, puis rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 14 mai 2019. M. B... doit être regardé comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 14 mai 2019 précitée.

Sur l'intervention de l'Union Fédérale Sud Industrie :

4. Eu égard à son objet social, qui poursuit la défense des intérêts moraux et matériels des syndicats qui le composent dans le secteur des salariés de l'industrie, le syndicat Union Fédérale Sud Industrie justifie d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien des conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision attaquée. Ainsi, son intervention à l'appui de la requête formée par M. B... est recevable.

Sur la légalité de la décision ministérielle du 14 mai 2019 :

5. En premier lieu, dans le cadre de sa demande enregistrée devant le tribunal administratif le 4 juillet 2019, M. B... n'avait soulevé que des moyens tirés de l'illégalité interne de la décision du 14 mai 2019. Son moyen tiré de ce que cette décision a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire, lequel affecte la légalité externe de la décision en litige, n'a été présenté que dans son mémoire complémentaire enregistré le 20 mai 2021, soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux. Si, devant la cour, M. B... soutient à nouveau que cette décision aurait été prise en méconnaissance du principe du contradictoire, ce moyen, fondé sur une cause juridique distincte qui n'avait pas été ouverte en première instance avant l'expiration du délai de recours, présente un caractère nouveau et est ainsi irrecevable, ainsi que l'opposent en défense la société NXP Semiconductors France et le ministre du travail.

6. En deuxième lieu, l'annulation d'une décision de refus d'autoriser un licenciement oblige l'autorité administrative, qui demeure saisie de la demande de l'employeur, à procéder à une nouvelle instruction de celle-ci, sans que l'employeur soit tenu de la confirmer. Pour autant, aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit à l'employeur, en pareille situation, de ressaisir l'autorité administrative d'une demande d'autorisation de licenciement.

7. Il est constant que, conformément à l'article R. 2421-4 du code du travail, le silence gardé pendant plus de deux mois par la ministre du travail sur la demande dont elle s'est trouvée saisie, à la suite de l'annulation prononcée par le tribunal administratif le 12 mai 2016, était susceptible de faire naître une décision implicite de rejet. Toutefois, ainsi que cela ressort de ses motifs et visas, la décision de la ministre du 14 mai 2019 en litige a été édictée à la suite du recours hiérarchique présenté par la société NXP Semiconductors France à l'encontre de la décision de l'inspectrice du travail du 19 juillet 2018 rejetant sa troisième demande d'autorisation de licenciement formulée en mai 2018. Il ressort, à cet égard, des pièces du dossier que cette nouvelle procédure a donné lieu à un entretien préalable. Dans ces conditions, la décision de la ministre du travail du 14 mai 2019 n'a pas été directement prise en exécution du jugement précité du 12 mai 2016, mais fait suite, ainsi qu'il vient d'être dit, à une nouvelle demande, qu'il était loisible à la société de présenter, qui a fait l'objet d'une nouvelle instruction. M. B... ne peut se prévaloir de la seule circonstance selon laquelle l'employeur n'a pas cherché à obtenir l'exécution du jugement d'annulation précité pour soutenir qu'il n'était pas en droit de présenter une nouvelle demande d'autorisation de licenciement. Et il ne peut non plus, en tout état de cause, soutenir que le caractère définitif de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre du travail à la suite du jugement du 12 mai 2016, qui le ressaisissait de la précédente demande, faisait obstacle à ce qu'une nouvelle demande d'autorisation de licenciement soit présentée, et à ce que la ministre l'accorde le cas échéant. Enfin, dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'interdisait à la société de présenter une troisième demande de licenciement après l'intervention du jugement du 12 mai 2016, M. B... n'est pas fondé à soutenir que celle-ci aurait été présentée tardivement le 22 mai 2018.

8. En troisième lieu, lorsqu'il se prononce à nouveau sur une demande d'autorisation après l'annulation d'une première décision de refus, l'autorité de chose jugée s'attachant au dispositif de la décision juridictionnelle devenue définitive, ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire, fait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, l'inspecteur du travail refuse à nouveau l'autorisation sollicitée pour un motif identique à celui qui avait été censuré par la décision juridictionnelle. Toutefois, il lui appartient, en application de l'article R. 2421-7 du code du travail, d'opérer son contrôle au regard des circonstances de fait et de droit prévalant à la date de sa décision et de prendre ainsi en considération les éléments nouveaux qui ont pu survenir. Il en va ainsi même lorsque le refus d'autorisation qui a été annulé reposait sur l'existence d'un lien entre la demande de licenciement et les mandats du salarié et que l'annulation contentieuse se fonde sur l'absence d'un tel lien.

9. Le tribunal administratif de Toulouse a, par un jugement du 12 mai 2016, annulé la décision de la ministre du travail du 24 octobre 2013 refusant le licenciement de M. B... en constatant l'absence de lien avec ses mandats, ainsi que la décision de l'inspectrice du travail du 3 décembre 2012 au regard des efforts de reclassement entrepris par l'employeur. Dès lors que, par la décision du 14 mai 2019 en litige, la ministre du travail s'est prononcée sur une nouvelle demande d'autorisation de licenciement, laquelle a été examinée en tenant compte de la situation de fait et de droit existant à la date de son édiction, et que cette décision n'a pas été prise en exécution du jugement du 12 mai 2016 précité, M. B... n'est pas fondé à soutenir que cette décision aurait été prise en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif de Toulouse.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement (...) ". Dès lors qu'à la date de l'examen de la demande d'autorisation de licenciement présentée le 22 mai 2018, M. B... n'était pas investi de l'un des mandats mentionnés par ces dispositions, il ne peut utilement se prévaloir de l'absence de consultation du comité social et économique.

11. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) / 3° À une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; (...) / Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. (...) ".

12. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. À cet égard, la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, y compris lorsqu'il s'agit d'une association à but non lucratif, peut constituer un motif économique, à la condition que soit établie la réalité de la menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.

13. Il ressort des pièces du dossier que la société NXP Semiconductors France, qui a pour unique secteur d'activité la conception, la production et la distribution de semi-conducteurs, a décidé de réorganiser son activité, ce qui a conduit, en 2012, à la fermeture de l'unique site de production de supports six pouces situé en France, au sein duquel M. B... était employé, et à la suppression de 821 postes dont ceux relevant de la catégorie professionnelle des opérateurs de production dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Il ressort également des pièces du dossier que le groupe NXP Semiconductors France a été confronté, à partir de 2013, à des évolutions technologiques de son outil de production en raison de l'obsolescence des technologies de fabrication opérant sur les supports six pouces et à la nécessité de faire évoluer ses outils de production vers les nouvelles générations de supports huit et douze pouces. Ce contexte économique, lié à l'évolution technologique dans un secteur concurrentiel, a conduit le groupe à abandonner cette activité au coût unitaire élevé, tandis qu'il devait faire face au remboursement d'une dette nette importante de l'ordre de 4,5 milliards de dollars, soit près de la moitié de son chiffre d'affaires, toujours en cours à la date de la décision ministérielle en litige, et qui a augmenté de 1,5 milliards de dollars en 2019. En outre, il ressort des pièces du dossier que la société devait, dans le même temps, compte tenu de l'évolution des technologies dans son secteur d'activité, maintenir des investissements conséquents en matière de recherche et de développement, de l'ordre de 20 % de son chiffre d'affaires. S'il est constant que la société intimée a, en septembre 2020, inauguré une usine de fabrication de semi-conducteurs en format six pouces aux États-Unis, après avoir investi 100 millions de dollars sur trois ans, il ressort des pièces du dossier que cet investissement a seulement porté sur la modernisation d'un site existant utilisant une nouvelle technologie de fabrication à base de nitrure de gallium, différente de celle à base de silicium utilisée sur le site de Toulouse. Il ressort des pièces du dossier que le maintien de la production du site de Toulouse aurait confronté la société appelante à des difficultés industrielles et commerciales en raison de la baisse avérée de ses parts de marché dans la vente de supports six pouces. La fermeture de cette unité de production a ainsi été décidée en vue de maintenir et développer des capacités de production dans un contexte nécessitant d'adapter les structures de production aux évolutions technologiques et à celles d'un marché fortement concurrentiel. Compte tenu de l'ensemble de ces considérations, la menace sur la compétitivité de la société NXP Semiconductors France doit être regardée comme établie, le groupe ayant perdu des parts de marché dans la vente de semi-conducteurs, et la production sur support de six pouces ne représentant plus que 7,3 % de la production mondiale de semi-conducteurs, et 6 % en 2021, ainsi que cela ressort des observations adressées par l'employeur à l'inspectrice du travail par une lettre du 6 juillet 2018 non contredites par les autres éléments du dossier.

14. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. (...) / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. À défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".

15. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient. Il appartient au juge, pour juger du respect par l'employeur de l'obligation de moyens dont il est débiteur pour le reclassement d'un salarié, de tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement conduites au sein de l'entreprise et du groupe ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié.

16. Si l'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leur emploi, au besoin en leur assurant une formation complémentaire, il ne peut lui être imposé d'assurer la formation initiale qui leur fait défaut en vue d'occuper un poste sans rapport avec leurs qualifications.

17. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'en l'absence de réponse à la lettre du 11 octobre 2017 l'invitant à faire connaître son souhait de recevoir des propositions de reclassement hors de France, M. B... doit être regardé comme ayant refusé toute proposition de reclassement sur un poste situé à l'étranger. Par suite, la société NXP Semiconductors France pouvait limiter ses efforts de reclassement à la France.

18. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, par lettre du 20 novembre 2017, à laquelle l'intéressé n'a pas donné suite, la société NXP Semiconductors France a communiqué à M. B... la liste des postes disponibles en France au sein du groupe et en même dehors du groupe en lui proposant un accompagnement. Compte tenu de sa formulation, cette lettre avait pour objet de communiquer à l'intéressé, à titre d'information, la liste des postes alors recensés, soit 17 postes dont 16 postes de cadres et d'ingénieurs, et un poste de technicien coefficient 305, et de lui transmettre les fiches correspondant à ses qualifications sur des postes disponibles dans la branche métallurgie en dehors du groupe. M. B... y était invité, en ce qui concerne ces derniers postes, à solliciter un entretien s'il souhaitait être accompagné dans une démarche de reclassement externe. Il ressort également de la liste exhaustive réactualisée des postes disponibles au sein du groupe NXP Semiconductors en France, datée des 20 novembre 2017, 16 avril, 5 juillet et 12 septembre 2018, que les seuls postes disponibles exigeaient la possession de qualifications supérieures à celle de M. B... qui ne pouvait ainsi les occuper sans suivre de formation qualifiante, ce qui excédait l'obligation d'adaptation au poste pesant sur l'employeur dans le cadre de son obligation reclassement. Par ailleurs, il ressort du registre unique du personnel de l'établissement de Toulouse tenu entre septembre 2015, date de la réintégration de l'intéressé au sein de l'entreprise, et mai 2018, date de la demande d'autorisation de licenciement, et du registre unique du personnel de la société NXP Semiconductors, tenu entre septembre 2015 et septembre 2018, qu'aucun poste correspondant aux qualifications de M. B... n'était disponible au sein du groupe. A supposer que ces registres n'auraient pas recensé de manière exhaustive tous les postes éventuellement disponibles au reclassement, aucun élément du dossier ne permet d'estimer qu'il aurait réellement existé un ou des postes correspondant aux qualifications de M. B... et qui auraient dû lui être proposés, moyennant une formation complémentaire le cas échéant. Par suite, dès lors qu'il n'existait pas de postes disponibles correspondant aux compétences de M. B... et relevant d'une qualification identique, équivalente ou inférieure à celle qu'il détenait au sein du groupe en France, l'employeur doit être regardé comme ayant rempli son obligation de reclassement, ainsi que l'a jugé le tribunal.

19. En septième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 2421-7 du code du travail : " L'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé ". Il est constant que la société NXP Semiconductors a déjà été condamnée en raison de faits de discrimination syndicale commis à l'égard de M. B..., ce dernier s'étant activement engagé dans la défense des intérêts des salariés ainsi que l'a jugé la cour d'appel de Toulouse dans son arrêt du 20 mai 2016 statuant sur une action en dommages et intérêts. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement présentée en mai 2018 et motivée par une réorganisation destinée à sauvegarder la compétitivité de l'entreprise serait liée à l'exercice, par M. B..., de ses mandats syndicaux.

20. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail du 14 mai 2019 autorisant son licenciement pour motif économique.

Sur les frais liés au litige :

21. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société NXP Semiconductors France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme demandée par la société NXP Semiconductors France au même titre.

22. D'autre part, l'auteur d'une intervention n'étant pas partie à l'instance, ces mêmes dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions réciproquement présentées sur leur fondement par le syndicat Union Fédérale Sud Industrie et la société NXP Semiconductors France.

DÉCIDE:

Article 1 : L'intervention de l'Union Fédérale Sud Industrie est admise.

Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société par actions simplifiée NXP Semiconductors France, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée l'Union Fédérale Sud Industrie, au préfet de la région Occitanie - direction régionale de l'économie, de l'emploi du travail et des solidarités de la région d'Occitanie.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22TL21224 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21224
Date de la décision : 17/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation - Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: Mme Nadia El Gani-Laclautre
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : VAISSIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-17;22tl21224 ?
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