Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A..., épouse B..., a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 1er septembre 2022 par lequel la préfète du Gard a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
M. D... B... a également demandé au même tribunal d'annuler l'arrêté du 1er septembre 2022 par lequel la préfète du Gard a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement nos 2203369 et 2203370 du 20 janvier 2023, le tribunal administratif de Nîmes, après avoir joint les deux procédures, a annulé les arrêtés précités, a enjoint à la préfète du Gard de délivrer à M. B... et Mme A..., épouse B..., un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement et a rejeté le surplus des conclusions des demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 9 février 2023 et le 24 août 2023, la préfète du Gard demande à la cour d'annuler ce jugement.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que son arrêté était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. B... et Mme A..., épouse B..., dès lors qu'ils ne peuvent se prévaloir de l'ancienneté, de la continuité, de la régularité et de la stabilité de leur séjour en France ni même de liens familiaux et privés et ne justifient d'aucune intégration particulière dans la société française ;
- en outre, aucun des moyens développés en défense par les intimés n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 août 2023, M. B... et Mme A..., épouse B..., représentés par Me Chabbert Masson, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à leur conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative contre renonciation à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Ils soutiennent que :
- c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la préfète du Gard a commis une erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. B... et Mme A..., épouse B... ;
Sur les décisions portant refus de séjour :
- les décisions méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il est porté une atteinte excessive à leur droit au respect de leur vie privée et familiale en France ;
-les décisions méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dès lors que la préfète n'a pas pris en compte l'intérêt supérieur de leurs deux enfants ;
Sur les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
- les mesures d'éloignement ont été prises en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dès lors que la préfète n'a pas pris en compte l'intérêt supérieur de leurs deux enfants notamment de leur fils scolarisé ;
-les décisions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leur situation personnelle ;
Sur les décisions fixant le pays de destination :
-les décisions méconnaissent l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'ils ont fui un réseau de traite d'êtres humains et sont exposés à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Albanie.
M. B... et Mme A..., épouse B..., ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 4 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
-la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Chabert, président.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... et Mme A..., épouse B..., ressortissants albanais, nés respectivement les 26 janvier 1992 et 22 janvier 1996, déclarent être entrés en France en novembre 2016. Ils ont sollicité leur admission au titre de l'asile le 9 novembre 2016 et leurs demandes ont été rejetées par deux décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 février 2017, confirmées le 28 juillet 2017 par deux décisions de la Cour nationale du droit d'asile. Par deux arrêtés du 7 septembre 2017 la préfète du Gard les a obligés à quitter le territoire français. Le 26 novembre 2021, Mme A..., épouse B... et M. B... ont sollicité, auprès des services de la préfecture du Gard, leur admission exceptionnelle au séjour eu égard à leur vie privée et familiale. Le 1er septembre 2022, la préfète du Gard a refusé de faire droit à leurs demandes et a obligé les intéressés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination. Par un jugement du 20 janvier 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé les arrêtés du 1er septembre 2022 et enjoint à la préfète du Gard de délivrer à M. B... et Madame A..., épouse B..., un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par la présente requête, la préfète du Gard relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Il appartient au préfet, saisi d'une demande de titre de séjour par un étranger en vue de régulariser sa situation, de vérifier que la décision de refus qu'il envisage de prendre ne comporte pas de conséquence d'une gravité exceptionnelle sur la situation personnelle de l'intéressé et n'est pas ainsi entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... et Mme A..., épouse B... déclarent être entrés en France en novembre 2016, ont été admis à y résider le temps de l'instruction de leurs demandes d'asile. Après le rejet de leurs demandes prononcé en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 28 juillet 2017, M. B... et Mme A..., épouse B..., ont fait chacun l'objet le 7 septembre 2017 d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours prononcé par la préfète du Gard qu'ils n'ont pas exécuté et se sont maintenus en situation irrégulière sur le territoire français. Leur demande d'admission exceptionnelle au séjour a été présentée près de quatre ans après les mesures d'éloignement prononcées à leur encontre et les intimés ont vécu en Albanie jusqu'à l'âge de 24 ans et 20 ans, où les parents de M. B... et les parents, le frère et la sœur de Mme A..., épouse B... résident toujours. S'il se prévalent de nombreuses attestations témoignant de leur intégration dans des activités bénévoles à la Croix Rouge locale ou l'association ABIPAC d'Anduze, de leur apprentissage assidu du français au sein de plusieurs associations et de leur intégration dans la vie locale, ces éléments ne permettent pas d'établir que M. B... et Mme A..., épouse B..., ne pourraient pas transférer leur cellule familiale hors de France, de même qu'il n'est pas établi que leur fils âgé de quatre ans à la date de la décision en litige ne pourrait poursuivre sa scolarité en Albanie. Par ailleurs, si le couple justifie de promesses d'embauche établies en leur faveur et s'il ressort des pièces versées en appel que des contrats de travail ont été établis postérieurement au jugement attaqué après délivrance d'un titre de séjour sur injonction du tribunal, il résulte de ce qui vient d'être exposé que les appelants, de même nationalité ainsi que leurs enfants, se maintiennent irrégulièrement en France après le rejet de leur demande d'asile et le prononcé d'une précédente mesure d'éloignement. Il ne ressort par ailleurs d'aucune des pièces du dossier que le refus opposé à leur demande d'admission au séjour aurait sur leur situation personnelle et familiale des conséquences d'une gravité exceptionnelle. Par suite, en refusant de leur délivrer un titre de séjour et en les obligeant à quitter le territoire français, la préfète du Gard ne peut être regardée comme ayant commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation des appelants. Dès lors, la préfète du Gard est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté litigieux, les premiers juges ont accueilli ce moyen.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... et Mme A..., épouse B..., en première instance et en appel au soutien de leur demande d'annulation des deux arrêtés préfectoraux du 1er septembre 2022.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués par les intimés :
S'agissant de l'ensemble des décisions :
5. Les décisions attaquées ont été signées par M. Frédéric Loiseau, secrétaire général de la préfecture du Gard, qui disposait, par un arrêté de la préfète du Gard du 11 juillet 2022, publié au recueil des actes administratifs n° 30-2022-060 du même jour et consultable sur le site internet de la préfecture, d'une délégation à l'effet de signer notamment tous arrêtés relevant des attributions de l'Etat dans le département du Gard, en toutes matières, à l'exception de certaines matières au nombre desquelles ne figure pas la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions attaquées doit être écarté.
S'agissant des décisions portant refus de séjour :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L.423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
7. La situation personnelle et familiale des intimés, telle que rappelée au point 3 du présent arrêt, ne permet pas, compte tenu de la durée et des conditions de leur séjour en France, de considérer que les refus opposés à leur demande d'admission au séjour ont porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale sur le territoire national une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis. Par suite, les décisions leur refusant le titre de séjour sollicité n'ont pas été prises en violation des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lesquelles ne sauraient s'interpréter comme comportant l'obligation pour un Etat de respecter le choix fait par les couples mariés du lieu de leur résidence commune et d'accepter l'installation de conjoints étrangers sur son territoire et les moyens doivent donc être écartés.
8. En second lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
9. En l'espèce, les décisions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants de leurs parents et rien ne s'oppose à ce qu'ils poursuivent une scolarité normale dans leur pays d'origine. Par conséquent, l'intérêt supérieur des deux enfants de M. B... et Mme A..., épouse B... n'a pas été méconnu et le moyen doit donc être écarté.
S'agissant des décisions portant obligation de quitter le territoire français :
10. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 3 et 7, les intéressés ne sont pas fondés à soutenir qu'en les obligeant à quitter le territoire français, la préfète du Gard aurait porté une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou commis une erreur manifeste d'appréciation ayant des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur leur situation personnelle et familiale.
11. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 9, la préfète du Gard n'a pas méconnu l'intérêt supérieur des deux enfants de M. B... et Mme A..., épouse B.... Par suite, le moyen doit être écarté.
S'agissant des décisions fixant les pays de destination :
12. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
13. M. B... et Mme A..., épouse B..., soutiennent qu'ils encourent des risques personnels en cas de retour en Albanie dès lors qu'ils ont fui un réseau de traite d'êtres humains, que M. B... était impliqué dans le cadre d'un réseau de prostitution où il a rencontré son épouse et qu'ils ont subi des violences et persécutions. Toutefois, alors que leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 27 février 2017 et par la Cour nationale du droit d'asile le 28 juillet 2017, ils n'apportent aucun élément de nature à établir la réalité des risques auxquels ils seraient directement et personnellement exposés en cas de retour dans leur pays d'origine. Par suite, les décisions fixant leur pays de destination ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions précitées de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Gard est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 20 janvier 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé les arrêtés du 1er septembre 2022 et a enjoint à la préfète du Gard de délivrer à M. B... et Mme A..., épouse B..., un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante en l'espèce, une somme quelconque au titre des frais exposés par M. B... et Mme A..., épouse B... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes en date du 20 janvier 2023 est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. B... et Mme A..., épouse B..., devant le tribunal administratif de Nîmes et leurs conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. D... B..., à Mme C... A..., épouse B... et à Me Chabbert Masson.
Copie en sera adressée au préfet du Gard.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Teulière, président-assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024.
Le président-rapporteur,
D. Chabert
Le président-assesseur,
T. Teulière
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23TL00352 2