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22/10/2024 | FRANCE | N°22TL21613

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 2ème chambre, 22 octobre 2024, 22TL21613


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



I. Sous le n°2005497, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 29 septembre 2020 par lequel le président du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers a retiré l'arrêté du 1er juillet 2020 le titularisant au grade d'attaché territorial, d'enjoindre à cette même autorité de le réintégrer en qualité de fonctionnaire titulaire du grade d'attaché territorial à temps complet, à compter du 1er août 2020, à

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Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I. Sous le n°2005497, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 29 septembre 2020 par lequel le président du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers a retiré l'arrêté du 1er juillet 2020 le titularisant au grade d'attaché territorial, d'enjoindre à cette même autorité de le réintégrer en qualité de fonctionnaire titulaire du grade d'attaché territorial à temps complet, à compter du 1er août 2020, à titre principal, dans l'emploi de directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Les Jardins du Canalet " ou, à titre subsidiaire, dans un emploi identique ou équivalent, de reconstituer sa carrière et ses droits sociaux à compter de cette même date, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°2005497 du 16 juin 2022, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 29 septembre 2020 ayant procédé au retrait de sa titularisation, mis à la charge du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de la demande.

II. Sous le n° 2005498, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté en date du 30 septembre 2020 par lequel le président du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, d'enjoindre à cette même autorité de le réintégrer en qualité de fonctionnaire stagiaire, à titre principal, dans l'emploi de directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Les Jardins du Canalet " ou, à titre subsidiaire, dans un emploi identique ou équivalent, à compter du 30 septembre 2020 et de reconstituer sa carrière et ses droits sociaux, dans le délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

III. Sous le n° 2101264, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2021 par lequel le président du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers a prononcé son exclusion définitive du service, d'enjoindre à cette même autorité de le réintégrer en qualité de fonctionnaire stagiaire, à titre principal, dans l'emploi de directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Les Jardins du Canalet " ou, à titre subsidiaire, dans un emploi identique ou équivalent, à compter du 1er février 2021 et de reconstituer sa carrière et ses droits sociaux, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°2005498 et n°2101264 du 16 juin 2022, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 30 septembre 2020 par lequel le président du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers a suspendu M. A... de ses fonctions à titre conservatoire, ainsi que l'arrêté du 27 janvier 2021 prononçant son exclusion définitive du service, a enjoint à cette même autorité de procéder rétroactivement à la réintégration juridique et à la reconstitution de la carrière et des droits sociaux de M. A... à compter du 1er février 2021 et de procéder, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à la réintégration effective de l'intéressé dans son emploi de directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Les Jardins du Canalet ", dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et mis à la charge du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2022, sous le n°22TL21612, le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers, représenté par Me Moreau, de l'association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle MB avocats, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n°2005497 du 16 juin 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montpellier à l'encontre de l'arrêté du 29 septembre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur le jugement attaqué :

- le jugement est entaché d'une erreur de droit ;

- il est également entaché d'une erreur d'appréciation ;

Sur l'illégalité de la décision de titularisation de l'agent :

- contrairement à ce qui a été retenu, la décision de titularisation de M. A..., intervenue par anticipation, le 1er juillet 2020, était illégale et pouvait légalement être retirée par la décision du 29 septembre 2020 ;

- en outre, la décision de titularisation de M. A..., qui ne relève pas de la gestion des affaires courantes, est également illégale dans la mesure où elle a été prise, après les élections municipales, par le maire sortant, qui n'était pas compétent pour ce faire ;

Sur la décision de retrait :

- le principe du contradictoire issu des dispositions de l'article L.121-2 du code des relations entre le public et l'administration comme de celles de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, a été respecté ;

- les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration n'ont pas été méconnues ;

- c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu la substitution de motif, sollicitée et tirée de ce que la décision de titularisation était entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de la manière de servir de M. A....

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 février 2024, M. A..., représenté par Me Rosier, de la société civile professionnelle (SCP) CGCB et associés, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 29 février 2024 la clôture d'instruction a été fixée au 29 mars 2024.

II. Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2022, sous le n°22TL21613, le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers, représenté par Me Moreau, de l'association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle MB avocats, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n°2005498 et n°2101264 du 16 juin 2022 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Montpellier relatives à la décision du 30 septembre 2020 prononçant sa suspension et à l'arrêté du 27 janvier 2021 lui infligeant une sanction disciplinaire ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la mesure de suspension à caractère conservatoire :

- elle n'avait pas à être précédée d'une procédure comportant les garanties de la procédure disciplinaire, ni celles précédant la mesure prise en considération de la personne ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, les faits imputés à l'intéressé présentaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et justifiaient légalement la mesure de suspension ;

Sur la sanction de l'exclusion définitive de service :

- en retenant que les griefs retenus à l'encontre de M. A... n'étaient pas matériellement établis, le tribunal a commis une erreur d'appréciation ;

- la sanction est suffisamment motivée ;

- le principe du contradictoire a été respecté dès lors qu'il n'existait aucun rapport d'enquête ni procès-verbal à communiquer à l'intéressé ;

- la sanction est proportionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 février 2024, M. A..., représenté par Me Rosier, de la société civile professionnelle (SCP) CGCB et associés, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 29 février 2024 la clôture d'instruction a été fixée au 29 mars 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 87-1099 du 30 décembre 1987 ;

- le décret n°92-1194 du 4 novembre 1992 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lancrey représentant le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté en qualité de directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Les Jardins du Canalet ", géré par le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers (Hérault). Il a ainsi été nommé attaché territorial stagiaire pour une durée d'un an, à compter du 1er août 2019. Par un arrêté du 1er juillet 2020, il a été titularisé au grade d'attaché territorial à compter du 1er août 2020. Toutefois, par un arrêté du 29 septembre 2020, le président de l'établissement public communal de Villeneuve-les-Béziers a procédé au retrait de cet acte. Puis, par une décision du 30 septembre 2020, il a suspendu M. A... de ses fonctions à titre conservatoire. Par courrier du 10 novembre 2020, M. A... a ensuite été informé de l'ouverture d'une procédure disciplinaire à son encontre et, par un arrêté du 27 janvier 2021, le président du centre communal d'action sociale a prononcé son exclusion définitive du service à compter du 1er février 2021. M. A... a demandé l'annulation de la décision retirant sa titularisation, de la mesure de suspension et de la sanction disciplinaire d'exclusion définitive dont il a fait l'objet. Par un premier jugement, rendu le 16 juin 2022 sous le n°2005497, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 29 septembre 2020 ayant procédé au retrait de sa titularisation. Par un second jugement n°2005498 et n°2101264, rendu le même jour, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 30 septembre 2020 par lequel le président du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers a suspendu M. A... de ses fonctions à titre conservatoire, ainsi que l'arrêté du 27 janvier 2021 prononçant son exclusion définitive du service, a enjoint à cette même autorité de procéder rétroactivement à la réintégration juridique et à la reconstitution de la carrière de M. A... à compter du 1er février 2021 et de procéder, sous astreinte, à la réintégration effective de l'intéressé dans son emploi de directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Les Jardins du Canalet ". Le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers relève appel de ces deux jugements.

2. Les requêtes n° 22TL21612 et n°22TL21613 sont relatives à la situation administrative d'un même agent. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement n°2005497 :

3. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de procédure ou de forme qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée, dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, l'appelant ne peut utilement se prévaloir de l'existence d'une erreur de droit ni d'une erreur manifeste d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé des jugements attaqués :

En ce qui concerne le retrait de la décision de titularisation :

S'agissant du motif d'annulation retenu par les premiers juges :

4. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. ".

5. L'arrêté du 1er juillet 2020 prononçant la titularisation M. A... en tant qu'attaché territorial a créé des droits au profit de ce dernier. S'il a été retiré le 29 septembre 2020, soit dans le délai de quatre mois prévu à l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration précité, la légalité d'un tel retrait demeure subordonnée, en application de ces mêmes dispositions, à l'illégalité de l'arrêté initial de titularisation.

6. En premier lieu, le retrait était fondé sur le motif tiré de l'incompétence du président du centre communal d'action sociale pour signer, le 1er juillet 2020, la titularisation de M. A... dès lors que cet acte ne relevait pas de la gestion des affaires courantes qu'il appartenait seulement au maire sortant, qui exerce les fonctions de président du centre communal d'action sociale, d'expédier dans l'attente de la mise en place du nouveau conseil municipal, après le second tour, le 28 juin 2020, des élections municipales.

7. D'une part, aux termes de l'article 40 de la loi du 26 janvier 1984, alors en vigueur : " La nomination aux grades et emplois de la fonction publique territoriale est de la compétence exclusive de l'autorité territoriale. ". Aux termes de l'article L. 2122-15 du code général des collectivités territoriales : " (...) Le maire et les adjoints continuent l'exercice de leurs fonctions jusqu'à l'installation de leurs successeurs, sous réserve des dispositions des articles L. 2121-36, L. 2122-5, L. 2122-16 et L. 2122-17. Toutefois, en cas de renouvellement intégral, les fonctions de maire et d'adjoint sont, à partir de l'installation du nouveau conseil jusqu'à l'élection du maire, exercées par les conseillers municipaux dans l'ordre du tableau. (...) ". Selon l'article L. 2121-7 du même code : " Lors du renouvellement général des conseils municipaux, la première réunion se tient de plein droit au plus tôt le vendredi et au plus tard le dimanche suivant le tour de scrutin à l'issue duquel le conseil a été élu au complet. (...) ".

8. D'autre part, aux termes de l'article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles : " Le centre d'action sociale est un établissement public administratif communal ou intercommunal. Il est administré par un conseil d'administration présidé, selon le cas, par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale. / Dès qu'il est constitué, le conseil d'administration élit en son sein un vice-président qui le préside en l'absence du maire, nonobstant les dispositions de l'article L. 2122-17 du code général des collectivités territoriales, ou en l'absence du président de l'établissement de coopération intercommunale. ".

9. Il résulte de ces dispositions qu'en cas de renouvellement intégral du conseil municipal, le maire sortant continue d'exercer ses fonctions, y compris celles de président du conseil d'administration du centre communal d'action sociale, jusqu'à l'installation de son successeur.

10. Si le renouvellement intégral du conseil municipal de la commune de Villeneuve-les-Béziers est intervenu à la suite du second tour des élections qui a eu lieu le 28 juin 2020, il est constant que les membres du nouveau conseil municipal issu de ces élections n'étaient pas installés au 1er juillet 2020, date de l'arrêté de titularisation de M. A... de sorte que, en application des dispositions précitées de l'article L. 2122­15 du code général des collectivités territoriales, le maire sortant, en sa qualité de président du conseil d'administration de l'établissement public communal, demeurait compétent pour prononcer la nomination dans le grade de l'intéressé. Il suit de là que le nouveau président du centre communal d'action sociale n'a pu légalement se fonder sur l'incompétence de l'auteur de l'arrêté de titularisation pour en prononcer le retrait.

11. En deuxième lieu, selon l'article 7 du décret du 30 décembre 1987 portant statut particulier du cadre d'emplois des attachés territoriaux : " Les candidats inscrits sur la liste d'aptitude prévue à l'article 4 ci-dessus et recrutés sur un emploi d'une des collectivités ou établissements publics mentionnés à l'article 2 sont nommés attachés stagiaires pour une durée d'un an par l'autorité territoriale investie du pouvoir de nomination (...). ". Selon l'article 9 du même décret : " La titularisation des stagiaires intervient, par décision de l'autorité territoriale, à la fin du stage mentionné aux articles 7 et 8 ci-dessus. (...). ".

12. Contrairement à ce qui est soutenu par l'établissement public appelant, il ressort des pièces du dossier que M. A..., nommé attaché territorial stagiaire, pour une durée d'un an, à compter du 1er août 2019, a été titularisé, par l'arrêté du 1er juillet 2020, avec effet au 1er août 2020, soit au terme de son stage. C'est donc à tort que, pour prononcer le retrait de ce dernier arrêté, le président du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers s'est fondé sur la circonstance que la titularisation était intervenue avant la fin de la période de stage de l'intéressé.

13. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Montpellier a censuré les motifs qui ont fondé l'arrêté retirant la titularisation de M. A..., pour en déduire que cette nomination dans le grade n'était pas illégale.

14. Néanmoins et en troisième lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

15. Devant les premiers juges, le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers, qui maintient sa demande en appel, a soutenu qu'un autre motif était de nature à fonder légalement l'arrêté du 29 septembre 2024 portant retrait de titularisation de M. A..., celui tiré de ce que, au regard de la manière de servir de ce dernier, l'arrêté prononçant sa titularisation était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. A cet égard, le centre communal d'action sociale a exposé que, postérieurement à l'édiction de l'arrêté de titularisation, il avait été informé que, lors de sa période de stage, M. A... s'était autorisé à utiliser l'identité d'un médecin intervenant dans l'établissement pour renouveler le traitement de certains résidents ou qu'il lui était arrivé de ne pas intervenir pour résoudre une difficulté au sein de l'établissement alors qu'il était d'astreinte, faits pour lesquels il a prononcé, le 30 septembre 2020, une mesure de suspension à titre conservatoire et initié, le 10 novembre suivant, une procédure disciplinaire à son encontre.

16. D'une part, il convient de relever que le rapport de stage aux fins de titularisation, établi le 22 juin 2020, comportait un avis favorable et relevait les aptitudes professionnelles de M. A.... Ainsi, en admettant même que ces faits, antérieurs à la titularisation puissent légalement fonder la décision de retrait de titularisation, ils ne sont pas établis par les pièces versées aux débats de première instance et d'appel. En effet, la falsification, pour le renouvellement de traitements de résidents, de documents dédiés aux prescriptions médicales qui ne comportaient aucune signature et n'auraient donc pu donner lieu à la délivrance des médicaments, ne saurait être imputée à M. A..., au demeurant, sur le seul témoignage, insuffisamment circonstancié, d'un agent. Enfin, s'il est établi qu'une société d'optique est intervenue au sein de l'établissement au cours du mois de mai 2020, à la demande de M. A..., pour proposer des équipements optiques aux résidents, sans satisfaire, par la suite, à ses obligations commerciales, cette circonstance, pour regrettable qu'elle soit pour les résidents concernés, ne saurait révéler, à elle seule, l'incapacité de M. A... à accomplir correctement les missions de direction.

17. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 14, le motif dont la substitution est demandée doit être fondé, à l'instar du motif initial, sur la situation existant à la date de la décision contestée. Aussi, le comportement fautif qui aurait été celui de M. A... lors d'une astreinte effectuée, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2020, comme la mesure de suspension à titre conservatoire, le 30 septembre 2020, circonstances intervenues postérieurement à la décision de titularisation, ne sauraient venir au soutien du moyen tiré de l'appréciation manifestement erronée de sa manière de servir pour prononcer sa nomination dans le grade. Il en va de même de la pétition des agents de l'établissement rédigée le 28 avril 2021 et désapprouvant le retour de l'intéressé à la direction de l'établissement comme du courrier du médecin de prévention, rédigé le 17 mai 2021, se bornant à évoquer " des distorsions managériales responsables de stress et de tensions entre agents au cours de l'année 2020 " et ne comportant pas de précisions suffisantes pour retenir l'existence de faits antérieurs et de nature à faire regarder l'arrêté de titularisation comme entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

18. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont refusé de faire droit à la demande de substitution de motifs présentée par le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers.

En ce qui concerne la suspension de M. A... à caractère conservatoire :

19. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. (...) ".

20. La mesure de suspension prévue par ces dispositions est une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l'intérêt du service, qui peut être prononcée lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité. Eu égard à la nature de l'acte de suspension et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition de légalité tenant au caractère vraisemblable des faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision.

21. Des éléments nouveaux qui seraient, le cas échéant, portés à la connaissance de l'administration postérieurement à sa décision, ne peuvent ainsi, alors même qu'ils seraient relatifs à la situation de fait prévalant à la date de l'acte litigieux, être utilement invoqués au soutien d'un recours en excès de pouvoir contre cet acte.

22. Pour annuler, par le jugement attaqué, la décision de suspension de M. A..., le tribunal administratif de Montpellier s'est fondé sur la circonstance que les faits relevés à l'encontre de M. A... ne présentaient pas un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité pour justifier une telle mesure de suspension.

23. Si le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers fait valoir qu'il a été informé de faits très graves imputables au directeur de l'établissement, les seuls éléments dont disposait l'autorité territoriale, à la date de la décision de suspension, figuraient dans une attestation, rédigée le 24 septembre 2020, par laquelle un pharmacien indiquait que son officine avait reçu des ordonnances, à l'en-tête d'un médecin intervenant dans l'établissement médico-social, pour des patients dont ce dernier n'était habituellement pas le médecin prescripteur. Or, ce document ne comportait aucune indication permettant d'imputer vraisemblablement l'édition de ces ordonnances à M. A... et, en tout état de cause, ainsi qu'il a été dit au point 16, en l'absence d'une quelconque signature, ces ordonnances ne pouvaient légalement permettre la délivrance des prescriptions médicales qu'elles contenaient. Ainsi, en l'absence d'informations en ce sens à la date de sa décision, l'administration ne peut utilement invoquer, pour fonder une telle mesure de suspension, les difficultés de l'intéressé en matière de management et sa carence supposée fautive, le 6 juillet 2020, lors d'une astreinte. Comme l'ont relevé les premiers juges, en l'état des éléments portés alors à sa connaissance, l'autorité territoriale, n'a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, estimer que les faits imputés à M. A... revêtaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.

En ce qui concerne l'exclusion définitive du service :

24. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont matériellement établis, constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

25. Pour annuler l'arrêté du 17 janvier 2021, les premiers juges ont estimé que la sanction d'exclusion définitive du service, qui a été retenue, présente un caractère disproportionné au regard des faits qui l'ont motivée.

26. La décision en litige reproche à M. A... trois manquements, le premier tiré de l'établissement de fausses ordonnances médicales, le deuxième issu de son comportement fautif, lors d'une astreinte, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2020, et ayant entraîné l'absence de mise à disposition de médicaments des résidents, et le troisième, lié à des défaillances dans la gestion administrative et managériale de l'établissement.

27. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit aux points 16 et 23, à la date du 30 septembre 2020, les éléments dont disposait l'autorité territoriale n'établissaient pas la matérialité du grief tiré de la rédaction de fausses prescriptions médicales. En outre, si une attestation d'un infirmier de l'établissement, rédigée le 3 novembre 2020, a été produite dans le cadre de la procédure disciplinaire et mentionne que le 3 juillet 2020, M. A... aurait établi des ordonnances, sous l'identité d'un médecin traitant de certains résidents, M. A... justifie de l'animosité de cet infirmier à son égard, ce qui remet au cause l'impartialité de ce témoignage, M. A... ayant déposé, le 28 septembre 2020, une main courante pour faire cesser les agissements de cet agent. Ainsi, à la date du prononcé de la sanction, le premier grief tiré de la falsification d'ordonnances n'est pas établi.

28. En deuxième lieu, il est reproché à M. A..., lors d'une astreinte effectuée dans la nuit du 6 au 7 juillet 2020, l'absence d'administration à certains résidents de leur traitement, les médicaments ayant été enfermés par l'infirmière coordonnatrice, dans un local sous clé. Or, il ressort des pièces du dossier que lorsque M. A... a été prévenu de cet incident, il a tenté de joindre, en vain, l'infirmière ayant accès à ces médicaments et qu'en tout état de cause, ces médicaments correspondaient à des traitements hypnotiques, dont l'absence d'administration n'entraînait pas un risque vital pour le patient. Ainsi, en l'absence de faute de l'agent, lequel a diligenté les mesures nécessaires lors de cette astreinte, ce grief tiré de la mise en danger de résidents de l'établissement ne justifiait pas, dans les circonstances de l'espèce, une sanction.

29. En dernier lieu, s'il est également reproché à M. A... une gestion administrative et financière défaillantes et le nombre anormalement élevé de recrutements ayant induit de graves difficultés budgétaires, ni la dérive du nombre d'emplois au sein de l'établissement, ni la dégradation de sa situation financière ne sont démontrées. Enfin, l'attestation du médecin de prévention, comme la pétition des agents, au regard des termes dans lesquels elles sont rédigées, ainsi qu'il a été dit au point 16, ne sauraient établir les défaillances dans l'exercice de ses missions qui ont été retenues à son encontre.

30. Il résulte de ce qui précède que l'administration n'établit pas la matérialité de deux des trois griefs, le dernier manquement retenu à l'encontre de l'agent n'étant pas susceptible de revêtir le caractère d'une faute, ce qui a conduit le conseil de discipline, dans son avis du 18 janvier 2021, à proposer, à l'unanimité, qu'aucune sanction ne soit prononcée à l'encontre de M. A.... Ainsi, en lui infligeant la sanction la plus importante à l'encontre d'un stagiaire, contre l'avis de ce conseil, à savoir une exclusion définitive du service, le maire et président du conseil communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers a pris une sanction présentant un caractère disproportionné.

31. En admettant que l'établissement public administratif communal, qui invoque la faute qu'aurait commise M. A..., en laissant intervenir dans l'établissement, lors de la période de confinement, au mois de mai 2020, une société commerciale spécialisée dans le domaine de l'optique qui, au surplus, après avoir démarché les résidents, n'aurait pas satisfait à ses obligations commerciales à leur égard, ait entendu opposer un grief qui n'était pas au nombre de ceux figurant dans l'arrêté prononçant l'exclusion définitive du service, une telle demande de substitution, qui aurait pour effet de priver le fonctionnaire d'une garantie, celle de s'expliquer sur ces faits dans le cadre de la procédure disciplinaire, ne saurait être accueillie.

32. Il résulte de tout ce qui précède que le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, annulé la décision de retrait de la titularisation de M. A... au grade d'attaché et a, d'autre part, annulé la mesure de suspension à titre conservatoire, ainsi que la sanction prononcée à son encontre, avec injonction, sous astreinte, de procéder à la réintégration effective de l'intéressé dans son emploi de directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Les Jardins du Canalet ".

Sur les frais liés aux litiges :

33. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers au titre des frais exposés et non compris dans les dépens soient mises à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.

34. Il y a lieu, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes n°22TL21612 et n°22TL21613 du centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers sont rejetées.

Article 2 : Le centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers versera la somme de 2 000 euros à M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre communal d'action sociale de Villeneuve-les-Béziers et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

Mme Bentolila, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.

La rapporteure,

D. Teuly-Desportes

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22TL21612 et N°22TL21613


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21613
Date de la décision : 22/10/2024

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Suspension.

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Sanctions - Erreur manifeste d'appréciation.

Fonctionnaires et agents publics - Cessation de fonctions.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Delphine Teuly-Desportes
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : SCP CGCB & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-22;22tl21613 ?
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