Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Airbus a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 3 avril 2019 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Haute-Garonne de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Occitanie a refusé de lui accorder l'autorisation de licencier pour motif économique M. D... C..., ainsi que la décision par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté son recours hiérarchique présenté par une lettre du 3 juin 2019.
Par un jugement n° 1906928 du 16 juin 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 août 2022 et le 10 février 2023, la société Airbus, représentée par Me Buisson, avocat plaidant, et par Me Thalamas, avocat postulant, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 16 juin 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 3 avril 2019 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Haute-Garonne de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Occitanie a refusé de lui accorder l'autorisation de licencier pour motif économique M. D... C..., ainsi que la décision par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté son recours hiérarchique présenté par une lettre du 3 juin 2019 ;
3°) d'enjoindre à l'inspecteur du travail ou, à titre subsidiaire, à la ministre du travail et de l'emploi, de lui délivrer l'autorisation de licencier, pour motif économique, M. C... dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- la décision de l'inspecteur du travail du 3 avril 2019 est insuffisamment motivée en fait et en droit ;
- la réalité du motif économique invoqué est établie :
* elle a été contrainte de se réorganiser pour sauvegarder sa compétitivité à travers le projet dit " B... " ;
* le secteur aéronautique, secteur d'activité prépondérant du groupe, faisait face à des menaces réelles nécessitant de sauvegarder sa compétitivité en raison des profondes mutations impactant l'aviation civile commerciale, tenant, d'une part, au renforcement de la concurrence avec l'émergence de nouveaux acteurs très compétitifs et réactifs dotés d'une organisation souple et, d'autre part, au renforcement de la concurrence avec l'autre leader du marché, le groupe Boeing ;
* le secteur aérospatial et le domaine de la défense connaissent également d'importantes mutations avec la réduction des budgets liés à la défense, la crise du marché de l'hélicoptère, l'arrivée de Space X sur le marché des lanceurs et de nouveaux intervenants dits " E..., Apple, Facebook et Amazon) qui proposent des modèles opérationnels innovants et, enfin la transformation numérique qui modifie les usages et affecte le cœur des métiers ;
* elle doit, en permanence, réaliser de lourds investissements en recherche et développement pour poursuivre une politique d'innovation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité dans un secteur qui connaît de profondes et rapides transformations tout en adoptant de nouveaux modes de travail plus collaboratifs et décloisonnés pour gagner en réactivité et en flexibilité et en maîtrisant ses coûts pour sauvegarder sa compétitivité ;
* outre les menaces pesant sur sa compétitivité, elle connaît une situation financière contrastée avec des indicateurs de performance en déclin, une baisse de 50 % des ventes nettes d'avions commerciaux depuis 2013 et une chute importante des commandes par secteur d'activité à la date de la demande d'autorisation de licenciement ;
* c'est à tort que l'inspecteur du travail s'est fondé sur la hausse de son chiffre d'affaires et l'augmentation du trafic aérien sur les vingt prochaines années pour édicter la décision en litige alors que la réorganisation destinée à assurer la sauvegarde de la compétitivité d'une entreprise peut constituer un motif économique de licenciement, même en l'absence de difficultés économiques avérées à la date du licenciement, et que le chiffre d'affaires, qui ne mesure ni la rentabilité ni la performance de l'entreprise mais retrace la somme des ventes réalisées, ne constitue pas un indicateur attestant du niveau de compétitivité d'une société ;
* les indicateurs de performance et de compétitivité de l'entreprise démontraient bien une menace pesant sur sa compétitivité avec des carnets de commandes en baisse sur l'ensemble des divisions ;
* la seule circonstance selon laquelle le trafic aérien est amené à augmenter d'ici les vingt prochaines années n'est pas de nature à remettre en cause l'impératif de sauvegarde de sa compétitivité en raison de l'apparition de nouveaux acteurs sur le marché issus de pays émergents bénéficiant de coûts de productions inférieurs, des incertitudes liées au prix du carburant et à la tendance de plus en plus marquée des usagers à recourir aux déplacements par trains à grande vitesse, et des conséquences liées à la crise sanitaire résultant de l'épidémie de covid-19 ;
- elle a loyalement et sérieusement satisfait à son obligation de reclassement :
* la circonstance que le salarié n'ait pas été mis en mesure d'accéder à des formations au cours de sa carrière qui auraient pu faciliter son reclassement est sans incidence sur l'appréciation de l'effort de reclassement et ne peut être légalement opposée pour refuser l'autorisation de licenciement ; M. C... a bénéficié de nombreuses formations tout au long de sa carrière et n'a formulé aucune nouvelle demande de formation depuis 2014 ainsi que cela ressort de l'historique des formations communiqué lors de l'enquête contradictoire et des déclarations de l'intéressé à l'inspecteur du travail ;
* les dispositions conventionnelles relatives au droit syndical et au dialogue social au sein d'Airbus SAS ne lui sont pas applicables à défaut d'avoir été salarié de la société Airbus SAS avant sa fusion avec Airbus Group et de se trouver dans la situation d'un salarié mandaté à temps plein retournant à la vie professionnelle à la suite de la perte de son mandat ;
* elle a respecté les dispositions du plan de sauvegarde de l'emploi en matière de reclassement interne et permis à M. C... d'accéder à l'ensemble des structures d'accompagnement et des aides au reclassement interne prévues par ce plan, en dépit du refus de ce dernier de s'associer aux efforts de reclassement ;
* elle a communiqué six offres individualisées, écrites, concrètes et précises à M. C..., dont quatre se situaient en région parisienne, correspondant au dernier emploi exercé, à sa qualification, à sa formation et aux compétences techniques acquises tout au long de sa carrière en lui proposant une formation de remise à niveau pour réactualiser ses compétences techniques, qu'il a toutes refusées ;
* elle a, par une lettre du 4 octobre 2022, adressé une nouvelle proposition d'affectation sur un poste d'agent " Airbus Operating System " (AOS) conforme à la qualification professionnelle de M. C... ;
- il n'existe en tout état de cause aucun lien entre le projet de licenciement pour motif économique de M. C... et l'exercice de ses mandats.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2022, M. C..., représenté par la SELARL LPS Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Airbus au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de l'inspecteur du travail est suffisamment motivée en fait et en droit ;
- la réalité du motif économique motivant la demande d'autorisation de licenciement n'est pas établie en l'absence de menace réelle ou de péril sur sa compétitivité rendant nécessaire la réorganisation des services de la société Airbus ;
- les offres de reclassement proposées ne présentent pas de caractère sérieux dès lors que le salarié intéressé n'a aucune expérience dans le domaine de l'électronique, que les emplois proposés sont susceptibles de diminuer sa rémunération, que la recherche de reclassement n'a pas été réalisée dans l'ensemble du groupe et s'est limitée à la région parisienne, qu'il n'a bénéficié d'aucun entretien d'évaluation depuis 2014 et, enfin, qu'il n'a bénéficié d'aucune formation technique depuis huit ans mais a acquis des compétences multiples en lien avec son mandat dont l'employeur n'a pas tenu compte dans le cadre de son reclassement en méconnaissance de l'article 11.5 de l'accord sur le droit syndical de la société Airbus.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2023, le ministre du travail et de l'emploi conclut au rejet de la requête.
Il soutient, en se référant à ses écritures de première instance, que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 16 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 9 novembre 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme El Gani-Laclautre,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bijok , représentant la société Airbus.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a été recruté par le groupe Airbus en 1972 par contrat à durée indéterminée en qualité de technicien sur le site de Suresnes (Hauts-de-Seine). En 2012, le groupe Airbus s'est engagé dans un projet de réorganisation intitulé " projet B... " destiné à simplifier sa structure et à rationaliser ses circuits décisionnels en regroupant ses fonctions dédiées aux ressources humaines, aux finances et à la communication au sein d'une entité unique basée à Blagnac (Haute-Garonne). Ce projet s'est traduit par l'absorption, effective au 1er juillet 2017, de la société par actions simplifiée Airbus Group par la société par actions simplifiée Airbus, par la fermeture du site de Suresnes, la suppression de 546 postes dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi validé le 14 juin 2017 par l'administration du travail, et enfin par le transfert de postes de Suresnes vers Blagnac. Une phase d'accompagnement a été prévue pour les salariés acceptant de quitter l'entreprise, pour une durée d'un an à compter du 1er juillet 2017 à l'issue de laquelle pouvaient intervenir des licenciements contraints. M. C..., salarié protégé au titre de ses mandats de délégué syndical et de conseiller prud'homme, ayant refusé de se porter volontaire pour réaliser une mobilité au cours de cette période, la société Airbus a présenté une demande en vue d'être autorisée à le licencier, pour motif économique, le 4 février 2019. Cette demande a été rejetée par une décision de l'inspecteur du travail du 3 avril 2019 au double motif que la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise rendant nécessaire ce licenciement n'était pas justifiée et que la société Airbus avait manqué à son obligation de reclassement du salarié. La société Airbus relève appel du jugement du 16 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision précitée de l'inspecteur du travail du 3 avril 2019 et de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre du travail sur son recours hiérarchique présenté par une lettre du 3 juin 2019, reçue le 7 juin suivant.
Sur la légalité des décisions de l'inspecteur du travail et de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours hiérarchique :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-5 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée ". L'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". La société Airbus reprend en appel, et sans l'assortir d'éléments de fait et de droit nouveaux, le moyen tiré de ce que la décision de l'inspecteur du travail du 3 avril 2019 serait insuffisamment motivée. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs circonstanciés retenus à bon droit par le tribunal au point 4 du jugement attaqué.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) / 3° À une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; (...) / Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. (...) ".
4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. À cet égard, la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, y compris lorsqu'il s'agit d'une association à but non lucratif, peut constituer un motif économique, à la condition que soit établie la réalité de la menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.
5. La société Airbus est une filiale du groupe Airbus SE, société publique européenne dont le siège est à Amsterdam (Pays-Bas). La société Airbus est organisée autour de trois secteurs d'activité : la division " Commercial Aircraft " regroupant la conception, le développement, la fabrication et la commercialisation d'avions commerciaux à usage civil, la division " Helicopters ", regroupant le développement, la fabrication, la commercialisation et la vente d'hélicoptères civils et militaires, et enfin la division " Defence and Space " traitant des activités militaires et spatiales se rapportant à l'aviation militaire, aux systèmes spatiaux, à la communication, l'intelligence, la sécurité et à l'électronique. Dans ces conditions, la réalité et le sérieux du motif économique fondant la demande d'autorisation de licenciement de M. C... doivent être appréciés au regard de ces secteurs d'activité de l'entreprise.
6. En vue de simplifier son organisation et de rationaliser ses circuits décisionnels pour les rendre plus souples et plus réactifs, le groupe Airbus a lancé le projet dit " B... " consistant à fusionner les entités Airbus Group et Airbus SAS à compter du 1er juillet 2017. Cette réorganisation, qui s'est notamment traduite par le regroupement de fonctions dites " support " dans le site de Blagnac, a conduit à la suppression de 546 emplois au sein de l'entité Airbus Group et au transfert de postes du site de Suresnes vers celui de Blagnac. Certains salariés n'ayant pas souhaité effectuer une mobilité dans le cadre de la période de volontariat instaurée du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018 par le plan de sauvegarde de l'emploi, la société Airbus a été conduite à lancer six procédures de licenciement, dont celle de M. C....
7. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la note de synthèse présentée lors de la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise sur le projet de réorganisation des fonctions centrales du groupe Airbus, et du rapport final établi par le cabinet CADECO, que le secteur des avions commerciaux civils, celui des hélicoptères et celui de la défense et du " spatial " représentent respectivement 73%, 9% et 18% du chiffre d'affaires de la société Airbus. Il ressort également des pièces du dossier qu'une augmentation du trafic aérien est attendue au cours des vingt prochaines années au rythme annuel de 4,7%, ce qui entraînera un doublement de la flotte mondiale en raison, notamment, du développement sensible du secteur de l'aviation civile prévu dans les pays émergents. Selon ces mêmes documents, le chiffre d'affaires d'Airbus a connu une légère augmentation pour atteindre 67 milliards d'euros en 2016, soit une hausse de 10 % par rapport à 2014. Il ressort des pièces du dossier qu'en dépit des disparités entre les secteurs, notamment le léger repli du chiffre d'affaires dans les domaines des hélicoptères, de la défense et de l'espace, la société Airbus devrait continuer de partager avec son principal concurrent, la société Boeing, une part importante de la production d'avions neufs d'ici 2032. Si la société appelante se prévaut, d'une part, de la montée en puissance de nouveaux concurrents très agiles et réactifs sur le marché et, d'autre part, de la menace que peuvent représenter les " GAFA " en raison de leur capacité à proposer des solutions innovantes et " disruptives " dans des industries traditionnelles, comme en témoigne l'arrivée de " Space X " sur le marché des " lanceurs ", elle ne produit aucun élément précis sur les parts de marché que ces nouveaux acteurs seraient susceptibles de capter, pas plus qu'elle ne justifie de la perte de compétitivité qu'entraînerait leur arrivée sur le marché à la date de la décision en litige. Il ressort encore des pièces du dossier, en particulier du rapport final " CADECO ", que la société Airbus bénéficie de solides fondations économiques et financières en dépit du ralentissement de l'amélioration de ses performances financières révélé par ses comptes clos au 31 décembre 2016, cette situation étant essentiellement due à des provisions importantes liées à la production de l'avion A400M. S'il est constant que le bénéficie avant résultat financier et impôts, dit " A... ", a légèrement diminué au 31 décembre 2016 et que le niveau de rentabilité n'a pas atteint l'objectif de 10% affiché par la direction générale, lequel correspond au niveau moyen des entreprises du secteur, il ressort toutefois du tableau comparé de " A... " que cet indicateur, permettant de mesurer la compétitivité de l'entreprise, s'est toujours situé aux alentours de 6 % entre 2013 et 2016, avec un taux de 6 % en 2016, 6,4 % en 2015, 6,7 % en 2014 et 6,1 % en 2013, de sorte que la réalité de la menace sur la compétitivité de la société n'était pas établie à la date de la décision en litige. Il ressort également du rapport établi par le cabinet CADECO, dont des extraits sont repris dans le rapport de l'inspecteur du travail, d'une part, que le carnet de commandes d'Airbus, qui s'élève à 6 874 appareils, lui assure plus de huit années de production avec une trésorerie cinq fois plus importante et des investissements en " recherche et développement " plus importants que son principal concurrent, et, d'autre part, que le niveau de concurrence à court et moyen terme reste relativement stable en dépit de l'émergence de nouveaux acteurs. Enfin, il ressort de ce même rapport que le segment des avions long-courriers sur lesquels sont exclusivement présents la société appelante et son principal concurrent, la société Boeing, ne constitue pas une cible pour les nouveaux acteurs susceptibles de les concurrencer. La situation économique favorable de la société Airbus est également attestée par le communiqué de presse diffusé le 30 octobre 2019 retraçant les résultats consolidés de la société européenne Airbus sur les neuf premiers mois de l'année 2019. Selon ce document, qui fait état d'une accélération notable des commandes pendant l'année 2019, le chiffre d'affaires consolidé du groupe s'élève à 30,9 milliards d'euros au premier semestre 2019, contre 25 milliards d'euros au premier semestre 2018, à l'instar du résultat net du groupe qui évolue de 496 millions d'euros au premier semestre 2018 à 1 197 millions d'euros au premier semestre 2019.
8. Dès lors qu'aucun élément précis et circonstancié ne permet d'établir l'existence d'une menace réelle et sérieuse pesant sur la compétitivité de la société Airbus dans les domaines de l'aéronautique et du " spatial ", alors que celle-ci poursuit une politique d'innovation active en réinvestissant une part substantielle de ses revenus dans la " recherche et le développement ", ce qui lui permet de rester compétitive et de dominer le marché aéronautique et spatial, qu'il soit civil ou militaire, le motif économique invoqué à l'appui de la demande de licenciement n'est pas caractérisé, la seule recherche d'une amélioration des performances et de l'efficacité de la société, à travers une organisation interne destinée à optimiser les fonctions centrales pour les rendre plus réactives et accélérer le processus de décision, ne pouvant en tenir lieu.
9. Il résulte des considérations qui précèdent que l'inspecteur du travail n'a entaché sa décision ni d'inexactitude matérielle ni d'erreur d'appréciation en considérant que la réalité du motif économique invoqué à l'appui de la demande de licenciement de M. C... n'était pas établie.
10. En troisième lieu, dès lors que l'autorité administrative pouvait légalement refuser de délivrer l'autorisation de licenciement pour le seul motif tiré de ce que la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise n'était pas établie, la circonstance que l'employeur avait respecté son obligation de reclassement n'était pas suffisante pour justifier le licenciement du salarié et est, par suite, sans incidence sur la légalité de la décision en litige de l'inspecteur du travail.
11. En tout état de cause, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. (...) / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. À défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".
12. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient. Il appartient au juge, pour juger du respect par l'employeur de l'obligation de moyens dont il est débiteur pour le reclassement d'un salarié, de tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement conduites au sein de l'entreprise et du groupe ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié.
13. D'une part, aux termes de l'article L. 6321-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. / Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations (...) ". La circonstance qu'un employeur n'a pas mis en mesure un salarié, au cours de sa carrière dans l'entreprise, d'accéder à des formations qui auraient pu faciliter un futur reclassement est sans incidence sur les obligations de recherche d'un reclassement qui incombaient à l'entreprise lors de la procédure de licenciement, et ne peut être utilement invoquée à l'encontre de la décision refusant d'autoriser le licenciement.
14. La circonstance, à la supposer établie, selon laquelle la société Airbus n'aurait pas mis M. C... en mesure de suivre des formations techniques autres que les formations requises par ses fonctions, en vue de faciliter son reclassement à l'occasion d'un possible licenciement économique, est sans incidence sur l'appréciation de la légalité de la décision en litige. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... aurait été empêché d'accomplir les formations de son choix au cours de sa carrière, le relevé des formations produit par l'employeur démontrant, au contraire, que ce dernier a suivi neuf formations entre 2007 et 2014 et qu'il n'a pas sollicité de formations par la suite.
15. D'autre part, aux termes de l'article 11.6 de l'accord sur le droit syndical et le dialogue social au sein de la société Airbus SAS, applicable au sein de la société Airbus SAS selon l'article 14 de ce même accord : " (...) Dans la perspective d'une décroissance ou de l'arrêt de l'engagement syndical, les parties conviennent de renforcer et de sécuriser la gestion de cette étape. / Lorsqu'un salarié souhaite quitter ou faire décroître son activité de représentant du personnel, un entretien est mené avec le responsable hiérarchique et éventuellement le responsable des ressources humaines afin d'examiner : / - les modalités de retour dans son activité professionnelle / - les besoins de formation nécessaires à la reprise de cette activité / - les possibilités de retour dans un autre poste en accord avec le salarié / - le positionnement professionnel de l'intéressé. / Pour les salariés consacrant une fraction élevée de leur temps de travail à des fonctions syndicales, les actions de formation peuvent concerner le métier actuel du salarié mais aussi permettre de commencer à préparer une nouvelle orientation professionnelle en vue de la reprise d'une activité professionnelle à titre principal (...) ".
16. Ces stipulations sont applicables à la seule situation des salariés de la société Airbus investis d'un mandat syndical dit " lourd " envisageant d'y mettre fin ou de le réduire en vue de reprendre une activité professionnelle à titre principal, ce qui ne recouvre pas la situation de M. C..., salarié protégé relevant de la société Airbus Group SAS faisant l'objet d'une procédure de licenciement pour motif économique dont le reclassement est régi par les dispositions générales de l'article L. 1233-4 du code du travail.
17. Enfin, il ressort des pièces du dossier qu'en dépit du refus clairement exprimé par M. C... de s'inscrire dans une démarche de reclassement en bénéficiant de l'ensemble des structures d'accompagnement et d'aides au reclassement prévues dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi et, en particulier, de l'assistance du cabinet spécialisé " Alixio Mobilité " et de la plateforme " AGEO ", et de son silence gardé sur la lettre du 30 mai 2018 l'invitant à exprimer son souhait d'être reclassé à l'étranger, la société Airbus a, dans le cadre de son obligation de reclassement, communiqué six offres sérieuses d'emploi dont un poste de cadre ingénieur " ME Tolerancing and capacity specialist ", un poste de cadre ingénieur " FTI Manufacturing Engineering ", respectivement situés à Saint-Éloi et à Toulouse, et quatre postes de technicien câbleur vernisseur de cartes électroniques, technicien contrôleur de cartes électroniques, technicien d'assemblage et de contrôle microélectronique, et enfin de technicien " monteur intégrateur d'équipements " dans la division de la défense et de l'espace, ces quatre derniers postes se situant en région parisienne et étant assortis du maintien de la rémunération précédemment détenue et de la possibilité de bénéficier d'une formation de remise à niveau. Si l'inspecteur du travail a considéré que la société Airbus n'a pas tenu compte de l'ensemble des compétences acquises dans le cadre de l'exercice de ses fonctions syndicales, il ressort toutefois des pièces du dossier, en particulier des courriels produits par la société appelante, d'une part, que deux des six postes précités sont classés au niveau " ingénieur ", et, d'autre part, que l'intéressé a refusé de communiquer son curriculum vitae et expressément indiqué qu'il refuserait toute proposition de reclassement au seul motif qu'il " attend d'être licencié ". Dès lors, contrairement à ce qu'a retenu l'inspecteur du travail, qui s'est borné à relever que la société Airbus n'avait pas pris en compte l'expérience du salarié dans l'exercice de ses mandats, il ne peut être reproché à cette dernière de s'être abstenue d'envisager d'autres possibilités de reclassement. Dans ces conditions, la société Airbus doit être regardée comme ayant loyalement rempli son obligation de reclassement.
18. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par la décision en litige, l'inspecteur du travail a estimé que la société appelante avait méconnu son obligation en matière de reclassement.
19. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 2421-7 du code du travail : " L'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé ". Dès lors que le refus de délivrer l'autorisation de licencier M. C... repose sur l'absence de motif économique et sur le non-respect de l'obligation de reclassement pesant sur l'employeur, l'autorité administrative n'était pas tenue de se prononcer sur le lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats détenus par M. C... lequel n'est, en tout état de cause, pas établi. Par suite, la société Airbus ne peut utilement se prévaloir de la circonstance qu'il n'existe aucun lien entre la mesure de licenciement envisagée et les mandats syndicaux exercés par l'intimé pour contester la légalité de la décision attaquée.
20. Pour autant, et ainsi qu'il a été dit au point 8, le motif tiré de ce que la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise n'était pas établie suffit, à lui seul, à fonder légalement le refus de licenciement en litige. Dès lors, la société Airbus n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 3 avril 2019 refusant de lui délivrer l'autorisation de licencier M. C... pour motif économique, ainsi que la décision implicite de rejet opposée par la ministre du travail à son recours hiérarchique.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
21. Le présent arrêt, qui confirme le rejet de la demande de la société Airbus par le tribunal, n'implique aucune mesure d'exécution au titre des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la société appelante doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Airbus demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Airbus une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE:
Article 1 : La requête de la société Airbus est rejetée.
Article 2 : La société Airbus versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Airbus, à M. D... C... et à la ministre du travail et de l'emploi.
Copie en sera adressée pour information à la direction régionale de l'économie, de l'emploi du travail et des solidarités de la région d'Occitanie.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.
La rapporteure,
N. El Gani-LaclautreLe président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°22TL21834 2