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03/12/2024 | FRANCE | N°23TL00188

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 03 décembre 2024, 23TL00188


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée unipersonnelle Ema Meubles Notan a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la société Tisséo Ingénierie à lui verser la somme provisionnelle de 75 000 euros en réparation de la gêne provoquée par les travaux de voirie réalisés sur la route d'Espagne située sur la commune de Portet-sur-Garonne (Haute-Garonne) et d'ordonner une expertise afin d'évaluer le montant exact de ses préjudices.



Par un j

ugement n° 2120296 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier, à qui la requête ava...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée unipersonnelle Ema Meubles Notan a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la société Tisséo Ingénierie à lui verser la somme provisionnelle de 75 000 euros en réparation de la gêne provoquée par les travaux de voirie réalisés sur la route d'Espagne située sur la commune de Portet-sur-Garonne (Haute-Garonne) et d'ordonner une expertise afin d'évaluer le montant exact de ses préjudices.

Par un jugement n° 2120296 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier, à qui la requête avait été transmise par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 4 avril 2022, a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2023, la société Ema Meubles Notan, représentée par Me Nakache, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 1er décembre 2022;

2°) de condamner la société Tisséo Ingénierie à lui verser une indemnité provisionnelle de 75 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la réalisation des travaux publics pour la mise en place d'une ligne de bus ;

3°) d'ordonner avant-dire droit la réalisation d'une expertise afin d'évaluer ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge de la société publique locale Tisséo Ingénierie la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité sans faute de la société Tisséo Ingénierie est engagée du fait des travaux publics réalisés pour la mise en place d'une ligne de bus sur la route d'Espagne à Portet-sur-Garonne ;

- son magasin étant situé route d'Espagne, elle a subi un dommage anormal et spécial du fait de ces travaux publics ; ces travaux ont créé des difficultés d'accès à son magasin en raison de l'installation de barrières de chantier et du stationnement de véhicules ou de camions de chantier sur l'emplacement situé devant le magasin ; des dégradations sur son parc de stationnement ont été provoquées par la réalisation de ces travaux ; elle a également supporté une perte de visibilité préjudiciable pendant quatre mois en raison de la pose de barricades et du caractère peu visible de la signalétique mise en place par la société Tisséo Ingénierie ;

- les modifications apportées à la circulation générale, la fermeture de la voie attenante à son établissement et les détours très importants qu'elle a entraînés, ont eu pour conséquence de rendre excessivement difficile l'accès de sa clientèle à son magasin ;

- pendant la durée de ces travaux, elle a observé une baisse de fréquentation de la clientèle de passage qui représente 80 % de son chiffre d'affaires ; l'augmentation de son chiffre d'affaires sur la période de janvier à juillet 2019 s'est brutalement arrêtée à partir du mois d'août 2019 ; en l'absence de tout autre facteur de nature à expliquer cette baisse de son chiffre d'affaires, cette dernière doit être imputée aux conséquences des opérations de travaux publics ;

- elle a été contrainte de prendre en charge des frais de communication ; elle a supporté des frais de réparation de son parc de stationnement ; à partir du mois d'octobre 2019, les fréquentes coupures de courant l'ont obligée à fermer l'établissement pour des durées variables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2023, le syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération toulousaine Tisséo Collectivités venant aux droits de la société de la mobilité de l'agglomération toulousaine Tisséo Ingénierie, représentée par Me Laffont, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'appelante la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les travaux publics réalisés, d'une durée de 10 mois, qui consistaient à réaménager l'ancienne voirie en surface afin de faciliter le passage d'une nouvelle ligne de bus, n'ont pu que ponctuellement provoquer certaines déviations provisoires de voirie et des gènes momentanées pour le stationnement ;

- pendant ces travaux, le magasin de l'appelante est resté accessible et visible ; les accès ont été maintenus et n'ont jamais été fermés à la circulation automobile ; les perturbations ont seulement été ponctuelles et préalablement annoncées ; une signalétique avait été installée et la pose de grillage à claire-voie, et non de barricades, n'avait pas restreint la visibilité de ce magasin ;

- la preuve d'un préjudice en lien direct avec les travaux publics n'est pas rapportée.

Par une ordonnance du 6 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 20 juin 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces de ce dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Beltrami,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ema Meubles Notan exploite, depuis le mois de janvier 2018, un magasin de vente de meubles de maison situé au 46 route d'Espagne dans la commune de Portet-sur-Garonne (Haute-Garonne). Estimant subir un préjudice en raison de travaux de voirie réalisés de janvier à novembre 2019 sous la maîtrise d'ouvrage de la société Tisséo Ingénierie pour la création de la ligne de bus " Linéo 5 ", elle a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse afin d'obtenir le versement d'une provision et la réalisation d'une expertise. Par une ordonnance n° 2001240 du 2 octobre 2020, ses demandes ont été rejetées. Le 6 novembre 2020, la société Ema Meuble Notan a demandé à la société Tisséo Ingénierie l'indemnisation de l'ensemble des préjudices qu'elle estimait subir du fait des travaux publics d'aménagement réalisés pour l'insertion d'une ligne de bus sur la route d'Espagne. Cette demande indemnitaire préalable a été rejetée le 27 novembre 2020. La société Ema Meuble Notan relève appel du jugement du

1er décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. D'une part, lorsque, du fait de travaux publics, l'accès à un commerce est rendu plus difficile, le préjudice qui en résulte pour l'exploitant est indemnisé sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques, si la victime établit subir un préjudice grave et spécial et le lien de causalité entre les travaux publics et les dommages allégués.

3. D'autre part, les allongements de parcours et les difficultés d'accès des commerçants riverains à leur établissement, et de leurs clients, du fait de la disparition d'une voie d'accès qu'ils utilisaient, que celle-ci résulte d'un parti d'aménagement de la collectivité publique ou d'un défaut d'entretien de la voie, ne peuvent ouvrir droit à indemnisation à leur profit que si elles excèdent les sujétions qui doivent normalement être supportées sans indemnité. Dans le cas où des travaux réalisés sur la voie publique elle-même sont à l'origine de l'allongement de parcours, le riverain a la qualité d'usager de l'ouvrage.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du document de présentation des travaux et des lettres d'information sur la nature et l'avancement des travaux communiquées aux riverains par la société Tisséo Ingénierie, que les travaux de réaménagement affectant la route d'Espagne en bordure de laquelle est situé le magasin d'ameublement de la société appelante avaient pour objet l'insertion d'un couloir de bus dans le sens Portet-sur-Garonne -Toulouse et la création de cheminements pour les piétons et les cycles. Ces travaux se sont déroulés en deux phases, la première, côté Garonne, qui a duré sept mois de janvier à juillet 2019, et la seconde phase, du côté des habitations et des commerces riverains, qui a duré cinq mois, d'août à décembre 2019 et a eu pour finalité le réaménagement de la chaussée avec, notamment, la création de trottoirs et la pose de bordures. Au cours de ces deux phases de travaux successives, la route d'Espagne, qui comprenait deux voies à double sens de circulation, a été réduite à une seule voie à double sens qui a été située successivement côté Garonne, puis côté habitation et commerces. Seule l'avenue de Larrieu, perpendiculaire à la route d'Espagne, a été mise en impasse et des panneaux de déviation de la circulation ont été mis en place afin de guider les automobilistes.

5. Il en résulte que la société appelante n'a supporté, pendant ces travaux, aucune fermeture de la voie en bordure de laquelle son magasin est situé et qu'ainsi, la circulation automobile a continué pendant la période des travaux. Si elle soutient que la réduction de la route d'Espagne à une seule double voie de circulation, côté Garonne, a rendu l'accès à son magasin impossible, elle ne l'établit cependant pas, pas plus qu'elle n'établit que sa clientèle aurait subi un allongement de parcours pour accéder à son magasin. Il résulte au contraire de l'instruction que même pendant les travaux réalisés du côté de la voie attenante à son commerce, l'accès à son magasin a été maintenu. Enfin, dès lors qu'elle soutient que sa clientèle est constituée à 80 % d'une clientèle de passage empruntant la route d'Espagne en provenance de Toulouse, la mise en impasse temporaire d'une portion de l'avenue de Larrieu desservant d'autres commerces proches n'a pu avoir pour effet de rendre plus difficile l'accès à son magasin. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que les travaux d'aménagement de la voie réalisés par la société Tisséo Ingénierie sur la période de janvier à décembre 2019 auraient eu pour effet de rendre excessivement difficile l'accès au magasin de la société appelante. Cette dernière n'est donc pas fondée à réclamer une indemnité du fait des travaux réalisés sur la voie publique par la société Tisséo Ingénierie dont il n'est pas établi qu'ils auraient induit des allongements de parcours de sa clientèle pour se rendre à son magasin.

6. En deuxième lieu, la société appelante se prévaut de multiples nuisances subies du fait de la réalisation des travaux de réaménagement de la route d'Espagne. Toutefois, d'une part, en se bornant à produire deux constats d'huissier des 30 octobre et 19 novembre 2019, elle n'établit pas le caractère régulier du stationnement de véhicules ou d'engins de chantier sur l'emplacement réservé au stationnement de sa clientèle. De même, il ne résulte pas de l'instruction que le déversement d'un important tas de granulats devant l'entrée latérale du magasin, constaté le 19 novembre 2019, se serait reproduit, si bien que l'évènement décrit dans ce constat présente un caractère isolé et ne permet pas d'estimer qu'il aurait gravement nui à ses conditions d'exploitation.

7. D'autre part, si la société appelante se prévaut de l'incidence de ces travaux sur la perte de visibilité de son magasin, les photographies des barrières de chantier mentionnées par le constat d'huissier du 30 octobre 2019 ne sont pas produites et le constat du 19 novembre 2019 n'en fait pas état. Il résulte de l'instruction, et notamment des photographies produites par le syndicat mixte intimé, que les barrières installées le long de la voie litigieuse, qui étaient constituées de panneaux métalliques non pleins posés sur des plots béton ou sur une barrière pleine de faible hauteur, n'occultaient pas la vue des automobilistes sur le magasin, dont il n'est pas établi que l'entrée aurait été condamnée, même temporairement, par la pose de ces barrières. Par ailleurs, le constat d'huissier du 30 octobre 2019 fait état de la présence d'un panneau signalant l'accès au magasin de la société appelante accompagné d'une flèche montrant la direction de l'entrée. Il ne résulte donc pas de l'instruction que le magasin de cette dernière aurait supporté une perte de visibilité du fait des travaux d'aménagement de la voie publique.

8. Il résulte de l'instruction que les coupures d'électricité dont la société appelante soutient qu'elles l'ont conduite à fermer son magasin, ont été réalisées par la société Enedis afin d'entretenir et de renforcer la distribution du réseau d'électricité. Dès lors, ces nuisances ne sont pas en lien avec les travaux réalisés par la société Tisséo Ingénierie.

9. Il résulte de ce qui précède que la gêne subie par la société Ema Meubles Notan, liée principalement à l'indisponibilité de son parc de stationnement, établie pour les dates des

30 octobre et 19 novembre 2019, a présenté un caractère temporaire ou isolé au cours de la seconde période des travaux de réaménagement de la route d'Espagne qui a duré, au plus, six mois. La société appelante n'est donc pas fondée à réclamer une indemnité du fait des travaux publics réalisés par la société Tisséo Ingénierie dont il n'est pas établi qu'ils auraient rendu l'accès à son commerce particulièrement difficile pendant une longue période.

10. Par ailleurs, d'une part, si la société appelante se prévaut d'une perte de clientèle subie à compter du mois d'août 2019, il résulte toutefois de l'instruction, et en particulier de l'attestation de son propre expert-comptable, que l'augmentation de son chiffre d'affaires, en progression constante depuis le mois de janvier 2019, a seulement ralenti à compter du mois d'août 2019. De plus, comparé à la période allant du mois d'août au mois de décembre 2018, son chiffre d'affaires a enregistré une augmentation de 19 % en moyenne sur la même période de 2019. Au surplus, ce ralentissement de la progression de son chiffre d'affaires dont il n'est pas établi qu'il serait directement en lien avec la réalisation des travaux litigieux, est susceptible d'être compensé par les avantages que la société appelante retirera de l'aménagement de la voie publique qui rendra son commerce accessible à une clientèle nouvelle empruntant la nouvelle ligne de bus mise en circulation ou les cheminements créés pour les piétons et les cycles.

11. D'autre part, la société appelante qui demande à être indemnisée des dégâts causés selon elle à son parc de stationnement du fait du stationnement d'engins de chantier, de ses frais de réparation de ses véhicules et de publicité, n'établit pas que ces dépenses seraient en lien direct avec la réalisation des travaux publics en litige.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, la société Ema Meubles Notan n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération toulousaine Tisséo Collectivités, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société appelante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

14. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société appelante une somme de 1 500 euros à verser au syndicat mixte intimé au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de la société Ema Meubles Notan est rejetée.

Article 2 : La société Ema Meubles Notan versera une somme de 1 500 euros au syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération toulousaine Tisséo Collectivités au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée unipersonnelle Ema Meubles Notan et au syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération toulousaine Tisséo Collectivités.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL00188


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00188
Date de la décision : 03/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages créés par l'exécution des travaux publics.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages créés par l'exécution des travaux publics - Travaux publics de voirie.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: Mme Karine Beltrami
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : LAFFONT JEAN-FRANÇOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-03;23tl00188 ?
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