Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 3 septembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté son recours administratif préalable obligatoire formé à l'encontre de la décision du 4 novembre 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision pour aggravation de sa pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité liée à une " disjonction acromio-claviculaire gauche (...) " et de réviser ses droits à pension au titre de cette infirmité en la fixant au taux d'invalidité aggravé de 25 % à compter du 18 septembre 2017, date d'enregistrement de sa demande de pension et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros en réparation des préjudices subis.
Par un jugement n°2006025 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 3 septembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité avait rejeté la demande de M. A... tendant à la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de son infirmité et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 13 juillet 2022 et le 2 mai 2024, le ministre des armées demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement rendu le 3 mai 2022 ;
2°) de maintenir la décision de la commission de recours de l'invalidité du 3 septembre 2020 ;
3°) de dire et juger que le taux d'invalidité de 15% de l'infirmité liée à la disjonction acromio-claviculaire gauche est maintenu.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;
- le tribunal administratif de Toulouse a statué dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir et a donc méconnu son office de juge de plein contentieux ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a retenu le vice de procédure tiré d'une information insuffisante dans la mesure où le service instructeur disposait de l'entier dossier de l'intéressé ;
- la demande de révision ne pouvait être accueillie dès lors que le rapport d'expertise ne mettait pas en évidence une aggravation fonctionnelle de l'infirmité touchant l'épaule gauche, étant précisé que le taux de 20% n'a jamais été retenu.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2022, M. B... A..., représenté par Me Pradal, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'enjoindre au ministre des armées de bien vouloir lui reconnaître un taux d'invalidité de 25% de lui accorder une pension militaire d'invalidité dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il fait valoir que :
- l'administration n'établissant pas que les trois comptes rendus des expertises médicales, rendues le 24 février 2010, le 6 mars 2012 et le 14 novembre 2012, sur les demandes antérieures de révision déposées par M. A..., ont bien été examinés, le tribunal administratif a accueilli à bon droit le vice de procédure ;
- contrairement à ce qui est allégué, la pathologie de son épaule s'est aggravée et nécessite la fixation d'un taux de pension de 25%.
Par une ordonnance du 3 mai 2024, la date de clôture d'instruction a été reportée au 30 mai 2024.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Got substituant Me Pradal, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... s'est engagé dans l'armée de terre, le 13 septembre 1965, y a exercé ses fonctions et a obtenu, en dernier lieu, le grade de commandant, avant d'être radié des contrôles, le 1er juin 1982. Par un arrêté ministériel du 22 février 1983, une pension militaire d'invalidité lui a été concédée, à compter du 1er juin 1982, au titre de l'infirmité " Disjonction acromio-claviculaire gauche. (...) " pensionnée au taux d'invalidité de 15 %, qui a ainsi été reconnue imputable à un accident de service survenu le 11 mars 1968. Les quatre premières demandes de révision de sa pension formées par M. A..., entre 2002 et 2009, ont été rejetées. Par une nouvelle demande, déposée le 18 septembre 2017, il a sollicité la révision de sa pension pour aggravation de son infirmité à l'épaule gauche. Par une décision du 4 novembre 2019, la ministre des armées a rejeté cette demande au motif qu'aucune aggravation n'avait été constatée. L'intéressé a alors formé le recours administratif préalable obligatoire, que la commission de recours de l'invalidité a, par une décision du 3 septembre 2020, rejeté pour le même motif. Par un jugement, rendu le 3 mai 2022, le tribunal administratif de Toulouse a, d'une part, annulé la décision du 3 septembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité avait rejeté la demande de M. A... tendant à la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de son infirmité et a, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande. Le ministre des armées relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision du 3 septembre 2020 de la commission de recours de l'invalidité. Par la voie de l'appel incident, M. A... sollicite l'attribution d'un taux d'invalidité de 25% pour l'infirmité relative à son épaule gauche et la liquidation de sa pension ainsi révisée.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Le ministre des armées ne peut donc utilement soutenir que le tribunal administratif de Toulouse aurait commis une erreur d'appréciation et une erreur de droit en retenant que le service instructeur n'avait pas pris connaissance des comptes rendus des expertises médicales portant sur ses trois demandes de révisions antérieures.
3. D'autre part, lorsqu'il est saisi d'un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer sur les droits de l'intéressé en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, et aussi, le cas échéant, d'apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens ou au vu de moyens d'ordre public, la régularité de la décision en litige.
4. Contrairement à ce que soutient le ministre des armées, le tribunal administratif de Toulouse ne s'est pas borné à annuler la décision du 3 septembre 2020 rejetant la demande de révision de pension présentée par M. A... au motif qu'elle avait été prise au terme d'une procédure irrégulière, en raison de l'absence de transmission de certaines pièces médicales au service instructeur, mais a également relevé, au point 8, que si une telle annulation n'impliquait pas de faire droit à la révision de la pension sollicitée par l'intéressé, elle impliquait nécessairement que la ministre des armées réexaminât cette demande. Il a donc, en tout état de cause, statué sur le droit à révision pour l'écarter, le dispositif du jugement, après avoir annulé la décision en litige, faisant état d'un rejet du surplus de la demande. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait méconnu son office de juge de plein contentieux ne peut qu'être écarté.
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :
5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-15 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé sa décision prise sur le recours, qui se substitue à la décision contestée. Cette notification est effectuée par tout moyen lui conférant date certaine de réception. L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que les décisions prises par la commission de recours d'invalidité sur le recours administratif préalable obligatoire se substituent aux décisions initiales et sont seules susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux. Cette substitution ne fait toutefois pas obstacle à ce que soient invoqués à leur encontre des moyens tirés de la méconnaissance de règles de procédure applicables aux décisions initiales qui, ne constituant pas uniquement des vices propres à ces décisions, sont susceptibles d'affecter la régularité des décisions soumises au juge.
7. En deuxième lieu, l'examen d'une demande de révision pour aggravation d'une infirmité pensionnée présentée en application de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre nécessite que l'administration compare le taux d'invalidité de l'infirmité auquel la pension a été concédée au demandeur avec celui prévalant à la date de la demande de révision de cette pension.
8. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 151-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les renseignements médicaux ou pièces médicales dont la production est indispensable pour l'examen des droits définis au présent livre sont communiqués sur leur demande aux services administratifs chargés de l'instruction des demandes de pension, de la liquidation et de la concession des pensions, dans des conditions de confidentialité et de respect du secret médical définies par décret en Conseil d'Etat. (...). ". Selon l'article R. 151-4 du même code : " Dès réception de la demande émanant de l'ancien militaire, le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre réclame au corps ou service auquel a appartenu en dernier lieu le postulant, les états de ses services et tous les documents concernant les blessures, infirmités ou maladies qui motivent la demande de pension. / Ce service peut, en outre, correspondre avec les autorités civiles ou militaires en vue d'obtenir tous renseignements utiles à l'instruction de l'affaire. ".
10. M. A... invoquant l'irrégularité de procédure issue de ce que l'administration aurait omis de verser des pièces médicales à son dossier requises pour l'examen de sa demande de révision, et notamment les conclusions des expertises médicales rendues en 2010 et 2012 sur ses trois demandes antérieures de révision de pension, le tribunal administratif de Toulouse a adressé, en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, au ministre des armées, une mesure d'instruction visant à obtenir l'inventaire des pièces figurant au dossier médical de M. A.... En réponse à cette mesure, l'administration n'a ni établi ni même allégué que ces conclusions des trois dernières expertises médicales y figuraient. Or, dans le cadre de la comparaison du taux d'invalidité de l'infirmité pensionnée avec le taux d'invalidité de cette infirmité constatée à la date de la demande de révision, rappelée au point 7, ces documents médicaux sont susceptibles d'éclairer le service instructeur sur l'évolution de l'infirmité en cause et donc nécessaires à l'examen de la demande de sorte que M. A... était fondé à soutenir qu'en l'absence de preuve de leur versement au dossier, il a été privé de la garantie d'un examen éclairé de sa situation médicale et de l'évolution de l'infirmité touchant son épaule gauche. Dans ces conditions, et dès lors qu'il n'est pas davantage établi que la commission de recours de l'invalidité aurait statué en ayant eu connaissance de l'ensemble de ces documents médicaux, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulouse a accueilli le vice de procédure ainsi soulevé.
11. Il résulte de ce qui précède que le ministre des armées n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 3 septembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité avait rejeté la demande de M. A... tendant à la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de son infirmité.
Sur l'appel incident :
12. Aux termes de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre en vigueur à la date de la demande de l'intéressé : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. (...) / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la pension d'invalidité concédée à titre définitif dont la révision est demandée pour aggravation n'est susceptible d'être révisée que lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités se trouve augmenté d'au moins dix points.
13. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise, réalisée, à la suite de la demande de révision déposée, le 18 septembre 2017, et remise, le 19 juillet 2019, comme de l'avis du médecin conseil de la sous-direction des pensions, qui a relevé une stabilité des impotences fonctionnelles de l'épaule gauche, que l'intéressé présente une abduction à 90% et une flexion à 80%, une légère raideur à la rotation latérale et à la flexion-extension justifiant un taux d'invalidité de 15%, l'examen comparatif de cette expertise et de celles réalisées le 29 mars 1975 et le 14 novembre 2012, laquelle retenait un taux d'invalidité relatif à cette infirmité de 20%, n'ayant révélé aucune aggravation fonctionnelle significative des séquelles liées à l'infirmité pensionnée. Dans ces conditions, et en l'absence d'une telle aggravation, les demandes de fixation d'un taux d'invalidité à 25% et de révision de pension ne sauraient être accueillies.
14. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par M. A..., par la voie de l'appel incident, doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Pradal renonce à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Pradal de la somme de 1 200 euros en application de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le recours du ministre des armées et les conclusions présentées, par la voie de l'appel incident, par M. A... sont rejetés.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me Pradal en application des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et des anciens combattants, à M. B... A... et à Me Rudy Pradal.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024.
La rapporteure,
D. Teuly-Desportes
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées et des anciens combattants en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°22TL21584 2