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26/12/2024 | FRANCE | N°23TL01211

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 26 décembre 2024, 23TL01211


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 27 décembre 2022, par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2300475 du 17 avril 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 27 décembre 2022, par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2300475 du 17 avril 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 mai 2023, Mme B..., représentée par Me Chninif, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du 17 avril 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;

3°) d'annuler l'arrêté du 27 décembre 2022, par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;

4°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte en la munissant, dans l'attente de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour ;

5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant des décisions lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et portant obligation de quitter le territoire français :

- les décisions sont insuffisamment motivées ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen circonstancié de sa situation personnelle et n'a notamment pas examiné la demande sur le fondement de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision est entachée d'erreur de droit dès lors que la circonstance qu'elle était divorcée était sans incidence sur la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreur de fait sur la réalité des violences conjugales qu'elle a subies ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dans l'application de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté et le jugement du tribunal sont fondés sur de précédentes décisions qui ont été annulées par la cour administrative d'appel et sont donc privés de base légale ;

- en refusant de l'admettre au séjour, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- la décision est dépourvue de base légale, dès lors qu'elle est prise pour l'application d'un refus de séjour et d'une obligation de quitter le territoire français illégaux ;

- le préfet s'est abstenu de se prononcer sur les critères de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'a pas vérifié s'il existait des circonstances humanitaires ;

- la précédente mesure d'éloignement mentionnée pour justifier la décision a été annulée par la cour administrative d'appel ;

- la décision est disproportionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2024, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 14 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 22 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Fougères, rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante marocaine entrée en France le 30 octobre 2017 sous couvert d'un visa long séjour d'un an en qualité de " conjoint de Français ", à l'âge de dix-neuf ans, a ensuite obtenu la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle en cette qualité, valable jusqu'au 25 octobre 2020. La demande de renouvellement de ce titre a été rejetée par un arrêté du 2 juillet 2021, confirmé par le tribunal administratif de Montpellier du 13 décembre 2021. Par un arrêt du 17 mai 2023, la présente cour a annulé ce jugement et cet arrêté. Mme B... a présenté entre temps une nouvelle demande de titre de séjour, le 15 novembre 2022, à la suite de laquelle le préfet de l'Hérault, par arrêté du 27 décembre 2022, a refusé à nouveau de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Par la présente requête, Mme B... relève appel du jugement du 17 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :

2. Mme B... n'a pas déposé de demande d'aide juridictionnelle depuis l'introduction de sa requête. Dans ces conditions, en l'absence d'urgence, il n'y a pas lieu de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la demande présentée par Mme B... le 14 novembre 2022 via un formulaire d'admission exceptionnelle au séjour ne précise pas le fondement sur lequel elle porte et mentionne uniquement " annulation de la demande de Mr Jimmy Désarnaud, pour annuler notre mariage. Mr Désarnaud a été débouté et sa demande annulée. Le jugement de divorce en ma faveur. Le jugement en ma faveur de la cour administrative de Toulouse ". Outre qu'elle ne comporte aucune référence expresse ni à l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni à des violences conjugales, cette demande a été déposée alors que Mme B... était en situation irrégulière et ne pouvait s'analyser que comme une nouvelle demande de titre de séjour et non comme visant au renouvellement du titre en qualité de conjoint de Français dont elle disposait précédemment, quand bien même elle aurait été déposée en réaction au mémoire en défense présenté par la préfecture dans l'instance les opposant devant la cour portant sur la légalité de l'arrêté du 2 juillet 2021. Dès lors, c'est sans commettre d'erreur de droit ni procéder à un examen insuffisamment circonstancié que le préfet de l'Hérault n'a pas examiné sa demande sur le fondement de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais s'est seulement prononcé sur le droit au séjour de l'intéressée en qualité de salariée, sur le fondement de l'article L. 423-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sur le fondement de l'article L. 435-1 du même code.

4. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué vise les textes dont il fait application et comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Dès lors que la demande, ainsi que dit au point précédent, ne pouvait s'analyser que comme une première demande de titre de séjour, la seule circonstance que le préfet n'ait pas fait état des violences conjugales subies par Mme B... n'est pas de nature à l'entacher d'insuffisance de motivation.

5. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, Mme B... ne peut utilement invoquer la méconnaissance de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En quatrième lieu, l'arrêté attaqué ne se prononce pas sur la réalité des violences conjugales subies par Mme B... et ne peut, dès lors, être entaché d'erreur de fait.

7. En cinquième lieu, s'il est exact que la présente cour, par un arrêt du 17 mai 2023, a annulé pour erreur de fait le précédent arrêté du 2 juillet 2021 portant refus de renouvellement de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français à l'encontre de Mme B... et a enjoint au préfet de l'Hérault de réexaminer sa situation, ni cet arrêté, ni la décision de la cour ne constituent le fondement de l'arrêté du 27 décembre 2022. Dès lors, cette annulation, intervenue au demeurant postérieurement à l'adoption de l'arrêté du 27 décembre 2022, n'est pas susceptible de priver de base légale ce dernier.

8. En dernier lieu, il ressort clairement des pièces du dossier, en particulier du jugement de divorce du 12 juillet 2022 et des procès-verbaux d'audition de l'ex-conjoint de Mme B... que celui-ci a admis l'avoir giflée et avoir jeté un téléphone sur elle, et que plusieurs de leurs proches ont témoigné de son caractère violent et agressif. Dès lors, et ainsi que la présente cour l'a jugé dans son arrêt du 17 mai 2023, les violences conjugales dont elle a fait l'objet doivent être tenues pour établies. Pour autant, à la date de l'arrêté attaqué, ces violences avaient cessé depuis plus de deux ans, et l'intéressée avait obtenu le divorce, prononcé aux torts exclusifs de son ex-époux. Il ne ressort, en outre, d'aucune pièce du dossier qu'un suivi psychologique en lien avec ces violences serait en cours, ni que celles-ci auraient, plus de deux ans après leur cessation, des répercussions juridiques ou matérielles importantes sur l'appelante. Par ailleurs, Mme B... est divorcée, sans charge de famille, et si elle dispose d'attaches familiales en France en la personne de sa tante de nationalité française, elle dispose également d'attaches familiales fortes au Maroc où résident a minima ses parents et où elle a vécu jusqu'à ses dix-neuf ans. Enfin, s'il est constant que Mme B... a produit au préfet un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'agent de service, établi le 28 septembre 2020 et ayant fait l'objet d'un avenant en janvier 2021, elle ne verse aucun bulletin de paie au dossier permettant de justifier de la durée de cette expérience professionnelle, au demeurant à temps partiel. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que le préfet a pu refuser de mettre en œuvre son pouvoir de régularisation exceptionnelle à l'égard de Mme B....

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

9. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

10. À la date de l'arrêté attaqué, Mme B... était présente en France depuis cinq ans, disposait d'attaches familiales sur le territoire français et ne constituait pas une menace à l'ordre public. Si l'arrêté attaqué se fonde sur l'existence d'une précédente mesure d'éloignement qui n'avait pas été exécutée, celle-ci a été annulée par la cour le 17 mai 2023 pour erreur de fait sur l'existence des violences conjugales dont elle a été victime. Dès lors, le préfet de l'Hérault n'a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, prendre à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 27 décembre 2022 en tant que le préfet de l'Hérault a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'un an, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cette décision. Elle est également fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions à fin d'annulation en tant qu'elles portaient sur cette décision.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution particulière, de sorte que les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme B... doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... ait présenté une demande d'aide juridictionnelle dans la procédure d'appel. Dans ces conditions, son avocat ne peut pas se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par suite et en tout état de cause, les conclusions présentées à ce titre par Me Chninif, avocat de Mme B..., doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2300475 du 17 avril 2023 du tribunal administratif de Montpellier est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la requête de Mme B... à fin d'annulation dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Hérault pris le 27 décembre 2022 à l'encontre de Mme B... est annulé en tant qu'il prononce une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par Mme B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Nicolas Lafon, président-assesseur,

Mme Fougères, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 décembre 2024.

La rapporteure,

A. Fougères

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL01211


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01211
Date de la décision : 26/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: Mme Aurore Fougères
Rapporteur public ?: Mme Restino
Avocat(s) : CHNINIF

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-26;23tl01211 ?
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