Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2400152 du 4 mars 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté en tant seulement qu'il fixe la Turquie comme pays de renvoi, a mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. A... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédures devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 avril et 20 novembre 2024, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du 4 mars 2024 en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de renvoi.
Il soutient que c'est à tort que le premier juge a estimé que la décision fixant le pays de renvoi méconnaissait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales, la seule circonstance que l'intéressé ait produit, lors de l'audience, un jugement turc assorti pour la première fois d'une traduction partielle, ne peut être de nature à démontrer qu'il encourt un danger réel, actuel et personnel en Turquie.
Vu les autres pièces de ce dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Après avoir entendu le rapport de M. Rey-Bèthbéder au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc d'origine kurde, né le 20 octobre 1991 à Karliova (Turquie), indiquant être entré sur le territoire français le 16 mars 2020, a déposé une demande d'asile le 5 juin 2020, laquelle a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 21 septembre 2022, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 30 août 2023. Par un arrêté pris le 6 décembre 2023, le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination en vue de l'exécution de cette mesure d'éloignement. L'intéressé a sollicité l'annulation de cet arrêté auprès du tribunal administratif de Toulouse. Par un jugement rendu le 4 mars 2024, le magistrat désigné par la présidente de ce tribunal a prononcé l'annulation de l'arrêté du 6 décembre 2023 en tant qu'il fixe la Turquie comme pays de renvoi, a mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. A... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de l'intéressé. Par la présente requête, le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de renvoi précitée.
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. Pour annuler l'arrêté du 6 décembre 2023 du préfet de la Haute-Garonne en tant qu'il désigne la Turquie comme pays à destination duquel l'intimé est susceptible d'être éloigné, le magistrat désigné par la présidente du tribunal s'est fondé sur la circonstance que postérieurement au rejet de sa demande d'asile par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 21 septembre 2022, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 30 août 2023, M. A... a produit la traduction d'un jugement de la Cour d'assise de Bingöl en date du 17 mars 2020 duquel il ressort que l'intéressé a fait l'objet d'une condamnation à une peine d'emprisonnement cumulée de deux ans, neuf mois et vingt-deux jours pour des faits de propagande pour le Parti des travailleurs du Kurdistan. Le magistrat désigné a, en outre, estimé que les propos tenus à l'audience par M. A... sur les risques qu'il dit encourir en cas de retour en Turquie étaient crédibles.
3. L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". En outre, l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
4. Il appartient au préfet chargé de fixer le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, en application de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les mesures qu'il prend n'exposent pas l'étranger à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La personne à qui le statut de réfugié a été refusé ou retiré ne peut être éloignée que si, au terme d'un examen approfondi et complet de sa situation, et de la vérification qu'elle possède encore ou non la qualité de réfugié, il est conclu, en cas d'éloignement, à l'absence de risque au regard des stipulations précitées.
5. Si le préfet est en droit de prendre en considération les décisions qu'ont prises, le cas échéant, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile saisis par l'étranger d'une demande de protection internationale, l'examen et l'appréciation par ces instances des faits allégués par le demandeur et des craintes qu'il énonce, au regard des conditions mises à la reconnaissance de la qualité de réfugié par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et à l'octroi de la protection subsidiaire par les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne lient pas le préfet, et sont sans influence sur l'obligation qui est la sienne de vérifier, au vu de l'ensemble du dossier dont il dispose, que les mesures qu'il prend ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L. 721-4 précité.
6. S'il est saisi, au soutien de conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi, d'un moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier, dans les mêmes conditions, la réalité des risques allégués, sans qu'il importe à cet égard que l'intéressé invoque ou non des éléments nouveaux par rapport à ceux présentés à l'appui de sa demande d'asile.
7. À l'appui de ses allégations selon lesquelles il serait exposé à des risques en cas de retour en Turquie en raison de ses opinions politiques et de son engagement en faveur de la cause kurde, M. A... s'est prévalu de son adhésion en 2015 au Parti démocratique des peuples et de son arrestation par les autorités turques en 2016 en raison de ses publications pro-kurdes sur les réseaux sociaux. Il soutenait également avoir été nommé " représentant officiel " du cousin de sa mère en 2019, lequel s'était porté candidat aux élections municipales de Karliova, et avoir subi des pressions à ce titre. Il indiquait, en outre, avoir été informé par son avocat au début de l'année 2020 de plusieurs condamnations liées à l'affaire judiciaire dans laquelle il a été impliqué, le conduisant à quitter son pays d'origine le 1er mars 2020 et à rejoindre la France le 16 mars 2020.
8. Toutefois, ainsi que le fait valoir le préfet de la Haute-Garonne, le jugement traduit n'est accompagné d'aucun élément permettant de justifier de son origine et de son authenticité. En tout état de cause, à supposer même que ce document permette d'établir que M. A... a adhéré au Parti démocratique des peuples et qu'il a été condamné pour propagande à une peine d'emprisonnement cumulée de deux ans, neuf mois et vingt-deux jour, le jugement partiellement traduit n'est pas suffisant pour établir que l'intéressé encourt des risques de persécutions en cas de retour dans son pays d'origine, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier qu'il s'est maintenu sur le territoire turc postérieurement à cette condamnation et jusqu'en 2020, sans apporter aucune explication relativement à la période écoulée entre sa condamnation et son départ de Turquie et sans produire aucun document ultérieur à 2016, en dehors de rapports généraux, justifiant de l'actualité des risques qu'il encourt personnellement en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en fixant la Turquie comme pays à destination duquel M. A... est susceptible d'être éloigné.
9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi.
Sur les autres moyens invoqués devant le tribunal à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi :
10. En premier lieu, la décision fixant le pays de renvoi, après avoir visé l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles L. 721-3 à L. 721-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne la nationalité de M. A... et relève qu'il n'établit pas être exposé à des peines et traitements inhumains contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. La décision en litige, qui contient l'ensemble des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement, est, dès lors, suffisamment motivée.
11. En second lieu, M. A... n'ayant pas démontré l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, n'est pas fondé à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'appui des conclusions dirigées contre la décision portant fixation du pays de renvoi.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 6 décembre 2023 en tant qu'il fixe la Turquie comme pays de destination. Dès lors, la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse doit être rejetée en tant qu'il sollicite l'annulation de la décision du 6 décembre 2023 fixant la Turquie comme pays de renvoi.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 4 mars 2024 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée en tant qu'il sollicite l'annulation de la décision fixant la Turquie comme pays de renvoi du 6 décembre 2023
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 décembre 2024.
Le président-rapporteur,
É. Rey-Bèthbéder
Le président-assesseur,
N. Lafon Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 24TL00868 2