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26/12/2024 | FRANCE | N°24TL00984

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 26 décembre 2024, 24TL00984


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 11 mars 2024 par lequel le préfet du Var lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.



Par un jugement n° 2400962 du 15 mars 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.


> Procédure devant la cour :



I. Par une requête, enregistrée le 17 avril 2024 sous le n° 24TL00984, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 11 mars 2024 par lequel le préfet du Var lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2400962 du 15 mars 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 17 avril 2024 sous le n° 24TL00984, M. B..., représenté par Me Dridi, demande à la cour :

1°) de prononcer le sursis à exécution de ce jugement du 15 mars 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;

2°) d'annuler ce même jugement ;

3°) d'annuler l'arrêté du 11 mars 2024 du préfet du Var ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa famille a été empêchée d'accéder au tribunal, en méconnaissance de l'article L. 6 du code de justice administrative ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a méconnu le droit d'être entendu garanti par le droit de l'Union européenne ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour est entachée d'un défaut de motivation en fait ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'exécution du jugement contesté est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables, en raison des risques qu'il encourt en cas de retour dans son pays d'origine, et que les moyens qu'il soulève présentent un caractère sérieux.

Par une ordonnance du 21 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2024.

Par une décision du 9 août 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande d'admission à l'aide juridictionnelle présentée par M. B....

II. Par une requête, enregistrée le 30 avril 2024 sous le n° 24TL01120, M. B..., représenté par Me Dridi, demande à la cour :

1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2400962 du 15 mars 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l'exécution du jugement contesté est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables, en raison des risques qu'il encourt en cas de retour dans son pays d'origine, et que les moyens qu'il soulève présentent un caractère sérieux.

Par une ordonnance du 21 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lafon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., de nationalité turque, fait appel du jugement du 15 mars 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 mars 2024 par lequel le préfet du Var lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans. Il demande également à la cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative.

2. Les requêtes n° n° 24TL00984 et n° 24TL01120 présentées par M. B... étant dirigées contre un même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 6 du code de justice administrative : " Les débats ont lieu en audience publique ". Il ressort des mentions du jugement attaqué qu'ont été entendus, au cours de l'audience publique du 15 mars 2024, le rapport de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes, les observations du conseil de M. B..., ainsi que celles de ce dernier, assisté d'une interprète en langue turque. Ces mentions font foi jusqu'à preuve du contraire, laquelle n'est rapportée par aucune pièce produite au dossier. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement n'aurait pas été rendu à l'issue d'une audience publique, en raison d'une fermeture exceptionnelle de l'accueil du tribunal, doit être en tout état de cause écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

4. En premier lieu, depuis la transposition, dans l'ordre juridique interne, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, l'autorité préfectorale doit, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mettre l'intéressé à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce principe général est repris à l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il ressort des pièces du dossier, notamment d'une notice d'identification renseignée par les services de l'établissement pénitentiaire de Draguignan, relative à une audition réalisée le 21 février 2024, que M. B... a été mis en mesure de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Par suite, le droit de M. B... à être entendu n'a pas été méconnu.

5. En deuxième lieu, M. B..., qui est né le 4 octobre 1981, déclare être entré en France en 2013. Il est célibataire et sans charge de famille et n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où résident notamment ses parents et d'autres membres de sa fratrie. Il a été condamné, le 11 juillet 2022, à une peine de trente mois d'emprisonnement pour des faits de violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'une incapacité supérieure à huit jours. Dans ces conditions, la seule circonstance que l'un de ses frères a obtenu le statut de réfugié en France est insuffisante pour admettre que la décision portant obligation de quitter le territoire français a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. En troisième lieu, M. B... ne peut utilement se prévaloir d'une méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui n'a pas pour objet de fixer le pays à destination duquel il sera éloigné.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

7. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Le dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

8. Il appartient au préfet chargé de fixer le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, en application de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les mesures qu'il prend n'exposent pas l'étranger à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La personne à qui le statut de réfugié a été refusé ou retiré ne peut être éloignée que si, au terme d'un examen approfondi et complet de sa situation, et de la vérification qu'elle possède encore ou non la qualité de réfugié, il est conclu, en cas d'éloignement, à l'absence de risque au regard des stipulations précitées.

9. Si le préfet est en droit de prendre en considération les décisions qu'ont prises, le cas échéant, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile saisis par l'étranger d'une demande de protection internationale, l'examen et l'appréciation par ces instances des faits allégués par le demandeur et des craintes qu'il énonce, au regard des conditions mises à la reconnaissance de la qualité de réfugié par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et à l'octroi de la protection subsidiaire par les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne lient pas le préfet, et sont sans influence sur l'obligation qui est la sienne de vérifier, au vu de l'ensemble du dossier dont il dispose, que les mesures qu'il prend ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L. 721-4 précité.

10. S'il est saisi, au soutien de conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi, d'un moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier, dans les mêmes conditions, la réalité des risques allégués, sans qu'il importe à cet égard que l'intéressé invoque ou non des éléments nouveaux par rapport à ceux présentés à l'appui de sa demande d'asile.

11. En se bornant à se prévaloir de ce que l'un de ses frères a obtenu le statut de réfugié en France par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 27 janvier 2022 et de ce qu'ils sont tous deux engagés en faveur du Parti démocratique des peuples (HDP) et à produire des documents montrant que plusieurs autres membres de sa famille ont été inquiétés en raison de leur participation à la défense de la cause kurde, M. B... n'établit pas la réalité de menaces personnelles et actuelles en cas de retour en Turquie, alors d'ailleurs que ses demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile. Il en est de même de la production de la copie d'une consultation informatique, datée du 24 mars 2014, d'un document de situation militaire mentionnant que M. B... est recherché comme " déserteur au recensement " et de deux citations à comparaître en 2012 au tribunal de grande instance de Buyukcekmece (Istanbul). Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

12. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public ". L'article L. 612-10 du même code dispose que : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

13. En premier lieu, la décision portant interdiction de retour, qui comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement, est suffisamment motivée.

14. En deuxième lieu, M. B..., à qui aucun délai de départ volontaire n'a été accordé, n'invoque aucune circonstance humanitaire qui aurait permis de justifier que le préfet du Var n'édictât pas d'interdiction de retour à son encontre. Par ailleurs, l'ensemble des circonstances propres à la situation de M. B..., telle que décrite au point 5 s'agissant de ses liens avec la France, ainsi que les faits de violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'une incapacité supérieure à huit jours qui sont à l'origine de sa condamnation pénale, sont de nature à justifier légalement la durée de trois ans de l'interdiction de retour sur le territoire français.

15. En dernier lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 11, le moyen tiré de ce que l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

16. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :

17. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n° 2400962 du 15 mars 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes, les conclusions de M. B... tendant au sursis à exécution de ce même jugement sont devenues sans objet.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... tendant au sursis à exécution du jugement n° 2400962 du 15 mars 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes.

Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. B... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Var.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, où siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Lafon, président-assesseur,

Mme Fougères, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 décembre 2024.

Le rapporteur,

N. Lafon

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 24TL00984, 24TL01120


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24TL00984
Date de la décision : 26/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: M. Nicolas Lafon
Rapporteur public ?: Mme Restino
Avocat(s) : DRIDI;DRIDI;DRIDI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-26;24tl00984 ?
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