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23/01/2025 | FRANCE | N°23TL00288

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 23 janvier 2025, 23TL00288


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Saint-Jacques a demandé au tribunal administratif de Nîmes, par une demande n° 2003855, d'annuler la décision du 16 octobre 2020, valant titre exécutoire n° 876267, par laquelle l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui a réclamé le reversement d'une somme de 23 986,78 euros, au titre de l'avance de 22 844,55 euros regardée comme indument perçue et majorée de 5 % et, par

une demande n° 2101146, d'annuler la même décision, ensemble la décision implicite de re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Saint-Jacques a demandé au tribunal administratif de Nîmes, par une demande n° 2003855, d'annuler la décision du 16 octobre 2020, valant titre exécutoire n° 876267, par laquelle l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui a réclamé le reversement d'une somme de 23 986,78 euros, au titre de l'avance de 22 844,55 euros regardée comme indument perçue et majorée de 5 % et, par une demande n° 2101146, d'annuler la même décision, ensemble la décision implicite de rejet née du silence gardé par cet établissement sur son recours gracieux.

Par un jugement n° 2003855, n° 2101146 du 29 novembre 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 janvier 2023, l'EARL Saint-Jacques, représentée par Me Lemoine, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 29 novembre 2022 du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) d'annuler la décision du 16 octobre 2020 valant titre de recettes par laquelle FranceAgriMer lui a réclamé le reversement de la somme de 23 986,78 euros, ensemble la décision rejetant son recours gracieux contre cette décision ;

3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée ajoute à la décision du directeur général de FranceAgriMer INTV-GPASC-2016-39 du 27 juillet 2016 en ce qui concerne les conditions propres aux 40 % de modification des actions principales de l'opération et est donc entachée d'erreur de droit ;

- il n'est pas démontré que le seuil non atteint de dépenses modifie les actions principales de l'opération pour 40 % du montant initialement approuvé ;

- aucune disposition n'impose un retrait de l'aide ;

- la majoration de 5 % est également dépourvue de base légale ;

- la sanction opposée est disproportionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2023, FranceAgriMer, représenté par Me Vandepoorter, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'EARL Saint-Jacques au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance en date du 25 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers de l'Union ;

- le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 modifié, notamment ses articles 103 decies et suivants ;

- le règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole, en ce qui concerne les programmes d'aide, les échanges avec les pays tiers, le potentiel de production et les contrôles dans le secteur vitivinicole ;

- le décret n° 2013-172 du 25 février 2013 ;

- la décision du directeur général de FranceAgriMer INTV-GPASV n° 2016-39 du 27 juillet 2016, modifiée par sa décision INTV-GPASV-2017-56 du 27 juillet 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fougères,

- les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique,

- les observations de Me Lemoine, avocat représentant l'EARL Saint-Jacques ;

- et les observations de Me Goachet, représentant FranceAgriMer.

Considérant ce qui suit :

1. L'EARL Saint-Jacques, qui exerce une activité de production vitivinicole à Jonquières (Vaucluse), a sollicité, le 2 février 2017, auprès de FranceAgriMer l'octroi d'une aide financière aux investissements dans les entreprises viticoles, qui lui a été accordée par une décision du 21 septembre 2017, annulée et remplacée par une décision du 19 mars 2018 à la suite de la demande de modification du projet adressée le 8 janvier 2018 par l'entreprise. Une avance d'un montant de 22 844,55 euros lui a été versée à ce titre le 29 septembre 2017. Estimant, à la suite d'un contrôle conduit après la réception, le 29 juillet 2019, d'une demande de modification et de paiement, que les conditions mises à son octroi n'avaient pas été respectées, ce qui devait conduire au retrait de l'aide, FranceAgriMer a adressé à l'EARL Saint-Jacques, après l'avoir invitée à présenter ses observations, une décision du 16 octobre 2020, valant titre exécutoire, réclamant le reversement d'une somme de 23 986,78 euros, correspondant au montant de l'avance octroyée majoré de 5 %. Par la présente requête, l'EARL Saint-Jacques relève appel du jugement du 29 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de cette décision, ensemble la décision née du silence gardé sur le recours gracieux qu'elle a présenté le 11 décembre 2020 à l'encontre du titre exécutoire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, les articles 103 decies et suivants du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007, dans sa version en vigueur à compter du 31 décembre 2013, autorisent les États membres à mettre en œuvre un régime d'aide en faveur du secteur vitivinicole, dont l'article 103 quaterdecies fixe les différentes mesures. Aux termes de l'article 1er du décret du 25 février 2013 relatif au programme d'aide national au secteur vitivinicole pour les exercices financiers 2014 à 2018 : " Le programme d'aide national au secteur vitivinicole mentionné à l'article 103 decies du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 susvisé et rendu applicable dans les conditions prévues à l'article 103 duodecies de ce règlement et à l'article 2 du règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 susvisé pour les exercices financiers 2014 à 2018 est mis en œuvre par l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer). / A ce titre, sous réserve de l'article 2, le directeur général de l'établissement détermine notamment, après avis du conseil spécialisé intéressé : 1° Les modalités de demande des aides, les conditions d'éligibilité aux aides, la procédure et les critères de sélection des demandes, le montant des aides attribuables et leurs modalités de paiement ; 2° Le cas échéant, le taux de réduction applicable aux aides, en fonction du taux de dépassement des crédits communautaires disponibles ; 3° Les réductions du montant des aides applicables en cas de non-respect du régime d'aide concerné ". L'article 6.2 (" Modifications du projet ") de la décision du directeur général de FranceAgriMer INTV-GPASV n° 2016-39 du 27 juillet 2016, dans sa version modifiée par la décision INTV-GPASV-2017-56 du 27 juillet 2017, en vigueur à la date de l'octroi de l'aide, dispose : " Une opération approuvée par FranceAgriMer peut faire l'objet de modifications après notification de la décision d'éligibilité, à condition que : ' les objectifs généraux de l'opération et sa finalité ne soient pas remis en cause ; ' la modification n'ait pas d'incidence sur les conditions d'admissibilité de l'opération ; ' la modification portant sur le critère de priorité ne remette pas en cause les conditions de sélection de l'opération aidée ; ' les modalités de notification et d'approbation des modifications décrites ci-dessous soient respectées. / La finalité et les objectifs généraux de l'opération sont considérés comme remis en cause dès lors que la modification affecte les actions principales de l'opération pour plus de 40% de leur montant initialement approuvé. Ces actions principales sont définies comme celles qui, prises dans l'ordre décroissant d'importance des dépenses, totalisent de manière cumulée au minimum 60% du montant de l'opération (...) ".

3. D'une part, les dispositions précitées de la décision du directeur général de FranceAgriMer prévoient expressément, dans leur version en vigueur à la date d'octroi de l'aide et contrairement à ce que soutient l'appelante, qu'une modification qui affecte pour plus de 40 % de leur montant initialement approuvé les actions principales de l'opération à l'origine de la demande d'aide, c'est-à-dire celles qui représentent au moins 60 % du montant de cette opération, est de nature à remettre en cause la finalité et les objectifs généraux de cette dernière. L'EARL Saint-Jacques n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que la décision du 16 octobre 2020 attaquée serait entachée d'une erreur de droit pour avoir ajouté à la décision du directeur général de FranceAgriMer.

4. D'autre part, et contrairement à ce que soutient l'appelante, une modification qui affecte pour plus de 40 % le montant des dépenses éligibles au titre d'une action principale suffit à remettre en cause les objectifs généraux ou la finalité de l'opération, quand bien même la modification n'affecterait pas pour plus de 40 % le montant des dépenses éligibles au titre des actions principales prises dans leur ensemble. En l'occurrence, il ressort des décisions du 21 septembre 2017 et du 19 mars 2008 prononçant l'éligibilité de l'EARL Saint-Jacques à percevoir une aide aux investissements vitivinicoles que les objectifs principaux de l'opération, listés en annexe de celles-ci, comportaient une action " bâtiment rénové de production " pour un montant de dépenses de 72 380,37 euros, dont 48 140 euros éligibles, une action " vinification/cuverie/stockage, assemblage, élevage " pour un montant de 33 030 euros, abaissé à 26 490 euros, ainsi qu'une action " chaîne de réception de vendange " pour un montant de 30 128 euros. Les montants minimums de dépenses pour chacune de ces actions, d'ailleurs expressément énumérés dans ces décisions d'éligibilité, s'élevaient donc à 60 % de ces sommes, soit respectivement 28 884 euros, 19 818 euros et 18 076,8 euros. Or, au titre de l'action " chaîne de réception de vendange ", l'EARL Saint-Jacques n'a pu justifier de dépenses qu'à hauteur d'une somme de 12 500 euros. Dès lors, FranceAgriMer était fondé à considérer qu'une des conditions mises à l'octroi de l'aide n'avait pas été respectée.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : " Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu : - par l'obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus, - par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l'appui de la demande d'un avantage octroyé ou lors de la perception d'une avance. 2. L'application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l'avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d'intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire. (...) 4. Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions ". Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, du même règlement : " Les contrôles et les mesures et sanctions administratives sont institués dans la mesure où ils sont nécessaires pour assurer l'application correcte du droit communautaire. Ils doivent revêtir un caractère effectif, proportionné et dissuasif, afin d'assurer une protection adéquate des intérêts financiers des Communautés ". Aux termes de l'article 6.2.2 de la décision du directeur général de FranceAgriMer INTV-GPASV n° 2016-39 du 27 juillet 2016 modifiée : " (...) Au-delà de ces modifications, soit approuvées par FranceAgriMer, soit répondant à la définition des modifications mineures, et sauf cas de force majeure ou circonstances exceptionnelles (cf. article 2§2 du règlement (UE) n° 1306/2013), toute sous-réalisation entraîne le rejet de l'opération, c'est-à-dire de l'ensemble du projet (...) ". Aux termes de l'article 11 de cette décision (" Non versement de l'aide ou reversement de l'indu ") : " (...) si tout ou partie de l'avance a été indûment perçue, le bénéficiaire doit reverser le montant d'avance concerné majoré de 5 % en application des règlements (UE) n° 282/2012 ou n° 907/2014 (...) ".

6. D'une part, il résulte expressément de ces dispositions que toute irrégularité dans la perception des aides est susceptible d'entraîner non seulement l'obligation de rembourser l'intégralité des montants indûment perçus, mais également la perte de la garantie constituée à l'appui de la demande d'aide, et que ces conséquences ne peuvent être regardées comme des sanctions. En l'espèce, la modification de l'action " chaîne de réception de vendange " pour plus de 40 % du montant des dépenses initialement envisagées constitue une irrégularité et justifie donc tant la restitution de l'avance indûment perçue que la majoration de 5 %, l'ensemble correspondant à la garantie constituée à hauteur de 105 % du montant de l'avance à l'appui de la demande d'aide.

7. D'autre part, le reversement intégral de l'aide perçue, majorée de 5 %, à défaut, comme en l'espèce, de réalisation complète d'une des actions principales de l'opération contribue pleinement à l'effectivité du droit de l'Union européenne et ne porte pas atteinte au principe de proportionnalité, énoncé à l'article 2, paragraphe 1 du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995, alors, d'ailleurs, que les décisions d'octroi de l'aide du 21 septembre 2017 et du 19 mars 2018 mentionnaient expressément les conséquences d'une sous-réalisation ainsi que les montants minimums de dépenses à réaliser pour chacune des actions principales.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'EARL Saint-Jacques n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que FranceAgriMer, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à l'EARL Saint-Jacques une somme quelconque au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EARL Saint-Jacques une somme au titre des frais exposés par FranceAgriMer et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de l'EARL Saint-Jacques est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par FranceAgriMer sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'exploitation agricole à responsabilité limitée Saint-Jacques et à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Nicolas Lafon, président-assesseur,

Mme Fougères, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2025.

La rapporteure,

A. Fougères

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL00288


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00288
Date de la décision : 23/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Agriculture et forêts - Exploitations agricoles - Aides à l'exploitation.

Agriculture et forêts - Exploitations agricoles - Aides de l’Union européenne.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: Mme Aurore Fougères
Rapporteur public ?: Mme Restino
Avocat(s) : SEBAN ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-23;23tl00288 ?
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