Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 31 août 2021, par lequel la préfète du Tarn a rejeté sa demande de délivrance d'un certificat de résidence algérien, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office.
Par un jugement n° 2105483 du 15 novembre 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 janvier, 29 septembre et 1er novembre 2023, Mme D..., représentée par Me Bessa, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 novembre 2022 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) d'annuler l'arrêté du 31 août 2021, par lequel la préfète du Tarn a rejeté sa demande de délivrance d'un certificat de résidence algérien, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Tarn de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation en la munissant dans le même délai, dans l'attente de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- la préfète n'a pas procédé à un examen circonstancié de sa situation personnelle ;
- la décision est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation sur l'existence des violences conjugales dont elle a été victime ;
- elle méconnaît les articles 4, 7 et 7 bis de l'accord franco-algérien ;
- la rupture dans l'égalité de traitement entre les ressortissants algériens victimes de violences et les autres étrangers qui en sont victimes, fondée uniquement sur la nationalité, est discriminatoire ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle est susceptible d'entraîner sur sa situation personnelle ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision est illégale car fondée sur un refus de titre lui-même illégal ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle est susceptible d'entraîner sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2023, le préfet du Tarn conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance en date du 2 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Fougères, rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante algérienne entrée en France le 11 mars 2021 à l'aide d'un visa de long séjour obtenu au titre du regroupement familial, à l'âge de vingt-neuf ans, a présenté une demande de délivrance d'un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale ", à la suite de laquelle la préfète du Tarn, par arrêté du 31 août 2021, a refusé de lui délivrer ce titre, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office. Par la présente requête, Mme D... relève appel du jugement du 15 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, la décision attaquée vise les textes dont elle fait application et comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle mentionne notamment que Mme D... est mariée à un ressortissant algérien en situation régulière mais que la vie commune a été rompue, qu'elle a déposé plainte contre son époux pour des faits de violences conjugales qui n'ont pu être corroborés, qu'elle ne justifie pas de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires lui ouvrant un droit au séjour, et qu'elle n'a pas établi que l'ensemble de ses intérêts seraient en France. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation manque en fait.
3. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté attaqué, ni des autres éléments du dossier que la préfète, qui a expressément mentionné les violences conjugales dont Mme D... se disait victime, aurait procédé à un examen insuffisamment circonstancié de la situation personnelle de l'intéressée.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 de l'accord-franco algérien du 27 décembre 1968 : " Les membres de la famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente (...) ". Aux termes de l'article 7 du même accord : " Les dispositions du présent article et celles de l'article 7 bis fixent les conditions de délivrance du certificat de résidence aux ressortissants algériens autres que ceux visés à l'article 6 nouveau. (...) d) Les ressortissants algériens autorisés à séjourner en France au titre du regroupement familial, s'ils rejoignent un ressortissant algérien lui-même titulaire d'un certificat de résidence d'un an, reçoivent de plein droit un certificat de résidence de même durée de validité, renouvelable et portant la mention " vie privée et familiale de l'article 7 bis ". Aux termes de l'article 7 bis de cet accord : " Le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit (...) : (...) d) Aux membres de la famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence valable dix ans qui sont autorisés à résider en France au titre du regroupement familial ". Ces stipulations régissent de manière complète les conditions dans lesquelles les conjoints et les enfants mineurs des ressortissants algériens peuvent s'installer en France.
5. Il résulte de ces stipulations que le regroupement familial, lorsqu'il est autorisé au profit du conjoint d'un ressortissant algérien résidant en France, a pour objet de rendre possible la vie commune des époux. Par suite, en cas de rupture de cette vie commune intervenant entre l'admission du conjoint sur le territoire et la date à laquelle l'administration statue sur la demande de titre de séjour, l'administration peut légalement refuser pour ce motif la délivrance du titre de séjour sollicité. Dès lors, en se fondant sur l'absence de communauté de vie de Mme D... avec son époux, M. C..., depuis une date antérieure à celle de l'arrêté litigieux, pour lui refuser la délivrance d'un certificat de résidence algérien, la préfète du Tarn n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'accord franco-algérien.
6. En quatrième lieu, si une ressortissante algérienne ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 423-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la première délivrance d'un titre de séjour lorsque l'étranger a subi des violences conjugales et que la communauté de vie a été rompue, il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée, et notamment des violences conjugales alléguées, l'opportunité d'une mesure de régularisation. Il appartient seulement au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation personnelle de l'intéressée.
7. D'une part, si Mme D... soutient que la rupture dans l'égalité de traitement entre les ressortissants algériens et les autres ressortissants étrangers n'est fondée que sur la nationalité des personnes et serait discriminatoire, elle ne précise pas la norme qui serait méconnue du fait de cette rupture d'égalité. Ce moyen, à le supposer évoqué, ne peut, dès lors, qu'être écarté.
8. D'autre part, Mme D... soutient que la rupture de la vie commune avec son époux a pour origine des violences commises à son encontre à compter du jour où elle a découvert que ce dernier avait une liaison, caractérisées en particulier, selon ses déclarations à la police, par un coup de poing dans le bras, des menaces de la " mettre dehors " et des rapports sexuels consentis uniquement sous cette menace. Toutefois, la plainte déposée par l'intéressée le 26 mai 2021 pour violences et viols a été classée sans suite le 8 septembre suivant au motif que l'infraction était insuffisamment caractérisée. De plus, l'examen médical conduit par le docteur B... à la suite du dépôt de sa plante n'a révélé aucune lésion et, si le compte-rendu note une anxiété réactionnelle et précise que " cet examen n'est pas contributif ce qui n'est pas surprenant car à mon avis elle est sous l'emprise de son mari ", la durée de l'incapacité totale de travail a été limitée à un jour. De même, le rapport d'expertise psychologique établi le 12 juin 2021 dans le cadre de l'examen de sa plainte, qui reprend un certain nombre de déclarations de l'intéressée et établit son profil psychologique, note que " le discours fait apparaître des retentissements psychologiques : difficultés d'endormissement, tristesse et pleurs, amaigrissement (...) ", sans se prononcer sur la vraisemblance de son récit en ce qui concerne précisément les violences. À cet égard, si l'appelante a mentionné lors de cet entretien que son mari l'avait chassée du domicile conjugal le 12 avril 2021, aucune pièce du dossier ne permet de le confirmer. Mme D... produit également deux attestations rédigées par son oncle et sa tante, qui l'ont temporairement recueillie à son départ du domicile conjugal, aux termes desquelles " elle a dû faire face à beaucoup de problème dans sa vie commune (...) (beaucoup de violence morale) " et "[s]on mari a changé envers elle après 2 mois car A... a découvert qu'il menait une double vie. Les conflits sont alors arrivés au sein du couple et cela a [provoqué] une séparation ". L'ensemble de ces pièces, si elles confirment le contexte conflictuel de la rupture entre les époux, sont insuffisamment circonstanciées pour corroborer l'existence des violences alléguées. Il en va de même des attestations établies par le centre d'information sur les droits des femmes et des familles, où l'intéressée a ensuite été hébergée, qui se bornent à mentionner que Mme D... a rencontré à trois reprises la juriste du centre et a bénéficié de onze entretiens avec une accompagnatrice sociale pour un " suivi dans ses démarches administratives, sociales et de santé ", mais qui ne portent aucune appréciation sur son récit. En outre, si Mme D... soutient avoir fait l'objet d'un suivi psychologique, elle se borne à verser à cet égard une attestation d'une psychologue du centre médico-psychologique de Castres, au demeurant postérieure à la décision attaquée, mentionnant uniquement la participation à un entretien en date du 10 septembre 2021. Enfin, l'appelante ne verse aucune pièce au dossier corroborant les menaces dont elle aurait fait l'objet de la part de la prétendue maîtresse de son conjoint et notamment le dépôt d'une main courante. Le mari de Mme D..., de son côté, a nié l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés, a écrit à la préfecture deux courriers antérieurs au dépôt de plainte de Mme D..., dont rien n'indique qu'ils ne seraient pas authentiques, par lesquels il remettait en cause l'intention matrimoniale de celle-ci et annonçait son intention d'obtenir l'annulation de leur mariage, et a déposé une main courante le 16 juin 2021 pour confirmer le départ du domicile conjugal et indiquer son intention de divorcer. S'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ait entamé effectivement des démarches en ce sens, Mme D... ne justifie pas davantage avoir entrepris des démarches pour obtenir le divorce aux torts exclusifs de son époux. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la préfète du Tarn n'a commis ni erreur de fait, ni erreur manifeste d'appréciation en considérant que la réalité des violences n'était pas établie.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Mme D... soutient avoir le centre de ses intérêts privés et familiaux en France dès lors qu'elle s'y est très vite intégrée professionnellement, qu'elle y dispose d'attaches familiales, en particulier son oncle et sa tante, et qu'elle est désormais mère d'un enfant. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que la requérante, séparée de son mari et présente en France depuis moins de six mois à la date de la décision attaquée, n'est pas dépourvue de toute attache dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans au moins et où résident ses parents, sa sœur et son frère. À la date de la décision attaquée, son insertion professionnelle était en outre très récente. Enfin, si l'appelante se prévaut de la naissance de sa fille le 15 mai 2023, cette circonstance est postérieure à la décision attaquée. En tout état de cause, l'intéressée ne précise pas sa situation conjugale actuelle et, en se bornant à faire état de difficulté pour les femmes seules avec enfant de retourner en Algérie, ne justifie pas d'obstacle dirimant à reconstituer son foyer familial dans ce pays. Par suite, la préfète du Tarn n'a pas porté à son droit au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus et n'a donc ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences que sa décision est susceptible d'entraîner sur la situation personnelle de l'intéressée.
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la décision obligeant Mme D... à quitter le territoire français :
11. En premier lieu, l'illégalité du refus de délivrance d'un titre de séjour opposé à Mme D... n'étant pas établie, l'exception d'illégalité de ce refus, soulevée à l'appui des conclusions d'annulation dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écartée.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. / Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour (...) ". En l'espèce, et alors que le refus de séjour est suffisamment motivé, ainsi qu'il a été dit au point 2 du présent arrêt, l'arrêté attaqué vise expressément les dispositions des articles L. 611-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi, la mesure d'éloignement litigieuse est elle-même suffisamment motivée.
13. En troisième lieu, Mme D... n'invoque aucun argument distinct de ceux énoncés à l'encontre de la décision portant refus de séjour propre à faire ressortir que la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaîtrait les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Il s'ensuit que ces moyens doivent être écartés par les motifs qui ont été opposés aux mêmes moyens articulés contre la décision de refus de titre de séjour.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Tarn.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Nicolas Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2025.
La rapporteure,
A. Fougères
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL00230