Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Groupe Luque du Bâtiment a demandé au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler la décision du 3 février 2021 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 109 500 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 13 203 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, ainsi que la décision du 5 mai 2021 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, d'annuler les deux titres de perception émis le 16 février 2021 en vue du recouvrement de ces créances et de la décharger de l'obligation de payer ces sommes.
Par un jugement n° 2103133 du 14 avril 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé les titres de perception du 16 février 2021 pour un motif tiré de leur irrégularité formelle, ainsi que la décision du 5 mai 2021 rejetant le recours gracieux formé contre ces titres de perception, et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 juin 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 avril 2023 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a annulé les titres de perception émis le 16 février 2021 ;
2°) de rejeter la demande de la société Groupe Luque du Bâtiment tendant à l'annulation des titres de perception émis le 16 février 2021 en vue du recouvrement des sommes de 109 500 euros et de 13 203 euros correspondant, respectivement, à la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et à la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur ;
3°) de mettre à la charge de la société Groupe Luque du Bâtiment la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les titres de perception en litige ont été compétemment établis, l'État étant l'ordonnateur de la contribution spéciale en application de l'article L. 8253-1 du code du travail et leur signataire, M. D... C..., directeur de l'évaluation de la performance, des achats, des finances et de l'immobilier, disposait d'une délégation de signature en vertu du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;
- en vertu de la convention de délégation de gestion conclue le 29 mai 2019, la direction de l'évaluation de la performance, des achats, des finances et de l'immobilier du ministère de l'intérieur est chargée de l'émission des titres de perception pour le recouvrement des contributions en litige ;
- l'état récapitulatif des créances destiné à la mise en recouvrement des titres de perception en litige, ainsi que la délégation de signature de Mme A... B..., signataire de l'état revêtu de la formule exécutoire en application de l'article 55 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2020, sont produits au dossier.
La requête a été communiquée à la société Groupe Luque du Bâtiment et son liquidateur judiciaire, la société à responsabilité limitée AEGIS, prise en la personne de Me Haddani-Agday, lesquels n'ont pas produit d'observations, en dépit de la mise en demeure adressée par une lettre du 23 janvier 2024, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
La requête a également été communiquée au directeur régional des finances publiques de l'Essonne en qualité d'observateur.
Par une ordonnance du 28 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 novembre 2024, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;
- et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 13 octobre 2020, les services de gendarmerie ont procédé au contrôle d'un chantier de construction immobilière dénommé " Les Villages d'Or " situé à Grimaud (Var) dans le cadre duquel intervenait la société Groupe Luque du Bâtiment, société dont le siège social se situe dans le département de l'Hérault. L'enquête a permis de découvrir que cette société employait six ressortissants étrangers dépourvus de titre les autorisant à séjourner et à travailler en France. Par une décision du 3 février 2021, notifiée le 9 février suivant, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à la charge de la société Groupe Luque du Bâtiment la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, pour un montant de 109 500 euros, et la contribution forfaitaire, prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, pour un montant de 13 203 euros, pour l'emploi irrégulier de ces six salariés. Par deux titres de perception émis le 16 février 2021, la direction départementale des finances publiques de l'Essonne a mis en recouvrement ces deux créances. Par une décision du 5 mai 2021, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a rejeté le recours gracieux formé à l'encontre de ces titres de perception par la société Groupe Luque du Bâtiment le 20 avril 2021. Par un jugement du 14 avril 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé, pour un motif de régularité en la forme, ces deux titres de perception, ainsi que la décision rejetant le recours gracieux de la société Groupe Luque du Bâtiment, et rejeté le surplus des demandes cette dernière, notamment ses conclusions à fin de décharge. L'Office français de l'immigration et de l'intégration relève appel de ce jugement.
Sur le cadre juridique applicable au litige :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " (...) L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'État selon des modalités définies par convention. / L'État est ordonnateur de la contribution spéciale. À ce titre, il liquide et émet le titre de perception. / Le comptable public compétent assure le recouvrement de cette contribution comme en matière de créances étrangères à l'impôt et aux domaines ".
3. D'autre part, l'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse, à la différence d'une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre. Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens qui seraient de nature à justifier le prononcé de la décharge mais retient un moyen mettant en cause la régularité formelle du titre exécutoire, le juge n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler le titre : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande de décharge de la somme litigieuse. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande de décharge. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à cette demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". Le V de l'article 55 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificatives pour 2010 prévoit que pour l'application de ces dispositions " aux titres de perception délivrés par l'État en application de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales, afférents aux créances de l'État ou à celles qu'il est chargé de recouvrer pour le compte de tiers, la signature figure sur un état revêtu de la formule exécutoire, produit en cas de contestation ".
5. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le titre de perception individuel délivré par l'État doit mentionner les nom, prénom et qualité de l'auteur de cette décision, et d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier, en cas de contestation, que l'état revêtu de la formule exécutoire comporte la signature de cet auteur. Ces dispositions n'imposent pas de faire figurer sur cet état les nom, prénom et qualité du signataire. Les nom, prénom et qualité de la personne ayant signé l'état revêtu de la formule exécutoire doivent, en revanche, être mentionnés sur le titre de perception, de même que sur l'ampliation adressée au redevable.
6. Lorsque l'état récapitulatif revêtu de la formule exécutoire est signé non par l'ordonnateur lui-même mais par une personne ayant reçu de lui une délégation de compétence ou de signature, ce sont, dès lors, les noms, prénoms et qualité de cette personne qui doivent être mentionnés sur le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif, de même que sur l'ampliation adressée au redevable.
7. Les premiers juges ont relevé que les ampliations des titres de perception notifiées à la société Groupe Luque du Bâtiment mentionnaient l'identité de leur émetteur, M. D... C..., directeur de l'évaluation de la performance, des achats, des finances et de l'immobilier au ministère de l'intérieur, mais ne comportaient pas la signature de ce dernier. Ils ont néanmoins relevé que ni l'Office ni le ministre ne produisaient l'état revêtu de la formule exécutoire comportant la signature de l'auteur des titres en litige émis le 16 octobre 2021, pour en déduire que ces derniers ne répondaient pas aux exigences des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration.
8. Si l'Office français de l'immigration et de l'intégration produit, pour la première fois en appel, un état récapitulatif des créances pour mise en recouvrement mentionnant les titres exécutoires en litige, celui-ci n'est pas signé par M. C..., mais par Mme A... B..., cheffe du pôle recettes du centre des prestations financières de la direction de l'évaluation de la performance, des achats, des finances et de l'immobilier. Il s'ensuit qu'il existe une discordance entre les mentions portées sur les titres de perception et celles figurant sur l'état revêtu de la formule exécutoire. Dans ces conditions, les ampliations des titres de perception adressées à la société Groupe Luque du Bâtiment ne peuvent être regardées comme satisfaisant aux exigences de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, alors même que leur signataire, par ailleurs, aurait reçu du directeur de l'évaluation de la performance, des achats, des finances et de l'immobilier délégation de signature.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé les titres de perception émis à l'encontre de la société Groupe Luque du Bâtiment le 16 février 2021, ainsi que la décision du 5 mai 2021 rejetant le recours gracieux formé par cette société. Par suite, la requête de l'Office français de l'immigration et de l'intégration doit être rejetée y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.
DÉCIDE:
Article 1 : La requête de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée AEGIS, prise en la personne de Me Souad Haddani-Agday, liquidateur judiciaire de la société par actions simplifiée unipersonnelle Groupe Luque du Bâtiment.
Copie en sera adressée au directeur départemental des finances publiques de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.
La rapporteure,
N. El Gani-LaclautreLe président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL01317