Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 23 juin 2022 par lequel le préfet de l'Hérault lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de quatre mois.
Par un jugement n° 2203687 du 26 août 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 6 juillet et le 21 décembre 2023, Mme B..., représentée par Me Ruffel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 août 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 juin 2022 du préfet de l'Hérault ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du présent arrêt, au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- elle n'a pas été informée de ce qu'elle pouvait solliciter son admission au séjour à un autre titre que l'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas été précédée d'un examen réel et complet de sa situation ;
- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de renvoi est privée de base légale ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen de sa situation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est privée de base légale ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est injustifiée, disproportionnée et entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme B... n'est fondé.
Par une ordonnance du 22 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 janvier 2024.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lafon a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité albanaise, a présenté, le 24 août 2021, une demande d'asile, qui a été rejetée par une décision du 28 mars 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision du 9 septembre 2022 de la Cour nationale du droit d'asile. Elle fait appel du jugement du 26 août 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 juin 2022 par lequel le préfet de l'Hérault lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de quatre mois.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 611-3, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour (...) ".
3. La méconnaissance de l'obligation d'information prévue par les dispositions précitées, à la supposer même établie, a seulement pour effet de rendre inopposables à l'étranger les délais de procédure prévus pour solliciter un titre de séjour, mais est sans incidence sur la légalité d'une obligation de quitter le territoire français fondée, comme en l'espèce, sur le 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque l'intéressé a vu sa demande d'asile rejetée. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions est inopérant.
4. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Hérault ne s'est pas livré à un examen particulier de l'ensemble de la situation de Mme B..., qui n'a d'ailleurs pas jugé utile d'informer le préfet de ses problèmes de santé ou de faire usage, dans les délais requis, de la possibilité dont elle disposait de déposer une demande d'admission au séjour sur un fondement autre que celui de l'asile, après s'être vu remettre, lors de sa présentation au guichet le 24 août 2021, une notice rédigée en langue albanaise mentionnant l'ensemble des informations requises par l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Aucune disposition n'exigeait, à ce titre, que le formulaire de demande de rendez-vous pour le dépôt d'un dossier d'admission exceptionnelle au séjour en cas de demande d'asile en cours, qui a été remis le même jour à Mme B..., lui soit communiqué dans une langue qu'elle comprend.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
6. En se bornant à produire un certificat médical du 29 juin 2022 mentionnant qu'elle présente un état anxiodépressif, nécessitant l'avis d'un psychiatre, et des céphalées chroniques, Mme B... n'apporte pas d'élément suffisant pour considérer que son état de santé nécessitait, à la date de l'arrêté attaqué, une prise en charge médicale dont le défaut risquait d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'elle ne pourrait pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié en Albanie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen, dirigé contre la décision fixant le pays de renvoi, tiré de l'illégalité, par voie d'exception, de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
8. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Le dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
9. Il appartient au préfet chargé de fixer le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, en application de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les mesures qu'il prend n'exposent pas l'étranger à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La personne à qui le statut de réfugié a été refusé ou retiré ne peut être éloignée que si, au terme d'un examen approfondi et complet de sa situation, et de la vérification qu'elle possède encore ou non la qualité de réfugié, il est conclu, en cas d'éloignement, à l'absence de risque au regard des stipulations précitées.
10. Si le préfet est en droit de prendre en considération les décisions qu'ont prises, le cas échéant, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile saisis par l'étranger d'une demande de protection internationale, l'examen et l'appréciation par ces instances des faits allégués par le demandeur et des craintes qu'il énonce, au regard des conditions mises à la reconnaissance de la qualité de réfugié par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et à l'octroi de la protection subsidiaire par les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne lient pas le préfet, et sont sans influence sur l'obligation qui est la sienne de vérifier, au vu de l'ensemble du dossier dont il dispose, que les mesures qu'il prend ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L. 721-4 précité.
11. S'il est saisi, au soutien de conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi, d'un moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier, dans les mêmes conditions, la réalité des risques allégués, sans qu'il importe à cet égard que l'intéressé invoque ou non des éléments nouveaux par rapport à ceux présentés à l'appui de sa demande d'asile.
12. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Hérault, au vu de l'ensemble du dossier dont il disposait, ne s'est pas livré à un examen approfondi et complet de la situation de Mme B..., y compris des risques encourus dans son pays d'origine, avant de prendre la décision contestée.
13. D'autre part, Mme B... soutient qu'elle encourt des risques pour sa sécurité en cas de retour en Albanie et se prévaut à ce titre de ce que sa famille a fait l'objet de menaces de mort répétées, à la suite d'une altercation dans laquelle son époux a été impliqué en 2019. En se bornant à verser au dossier un article de presse reprenant les déclarations de ce dernier et un rapport établi en 2016 par l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés, relatif à la vendetta en Albanie, elle n'apporte aucun élément permettant d'établir le risque de subir personnellement des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine, alors d'ailleurs que sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a fixé le pays de renvoi serait intervenue en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
14. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". L'article L. 612-10 du même code dispose que : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".
15. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen, dirigé contre la décision d'interdiction de retour sur le territoire français, tiré de l'illégalité, par voie d'exception, de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
16. En deuxième lieu, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, notamment des éléments précis et non stéréotypés concernant la situation de Mme B..., est suffisamment motivée.
17. En dernier lieu, Mme B..., qui est née le 22 septembre 1970, déclare être entrée en France le 13 août 2021, accompagnée de son fils mineur, né le 29 janvier 2010. Elle ne justifie pas avoir de lien particulier avec la France. Dans ces conditions, l'ensemble des circonstances propres à sa situation sont, alors même que sa présence ne représenterait pas une menace pour l'ordre public et qu'elle n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, de nature à justifier légalement, dans son principe et sa durée de quatre mois, la décision d'interdiction de retour sur le territoire français, qui n'est pas disproportionnée.
18. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 6 février 2025, où siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2025.
Le rapporteur,
N. Lafon
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°23TL01618 2