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25/03/2025 | FRANCE | N°23TL01358

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 2ème chambre, 25 mars 2025, 23TL01358


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier :



-sous le n°2103391, d'annuler l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel le maire de Cazilhac l'a suspendu de ses fonctions à compter du 3 mai 2021 pour une durée de quatre mois, d'enjoindre au maire de Cazilhac, en tant que de besoin, de le réintégrer dans ses fonctions de secrétaire général des services et, à cet effet, de lui remettre un double des clés permettant l'accès à son poste ha

bituel de travail, d'assortir cette injonction d'une astreinte financière de 100 euros par jour de re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier :

-sous le n°2103391, d'annuler l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel le maire de Cazilhac l'a suspendu de ses fonctions à compter du 3 mai 2021 pour une durée de quatre mois, d'enjoindre au maire de Cazilhac, en tant que de besoin, de le réintégrer dans ses fonctions de secrétaire général des services et, à cet effet, de lui remettre un double des clés permettant l'accès à son poste habituel de travail, d'assortir cette injonction d'une astreinte financière de 100 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision à intervenir, de condamner la commune de Cazilhac à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices corporels et moraux subis du fait de l'édiction de l'arrêté en litige, et de mettre à la charge de ladite collectivité la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- sous le n°2200206, d'annuler la décision du 18 novembre 2021 par laquelle le maire de Cazilhac a prononcé son licenciement pour faute avec effet immédiat, sans indemnité de préavis ni de licenciement, d'enjoindre au maire de Cazilhac de le réintégrer dans ses fonctions de secrétaire général des services, d'assortir cette injonction d'une astreinte financière de 500 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision à intervenir, de condamner la commune de Cazilhac à lui régler l'intégralité du salaire qu'il aurait dû percevoir depuis le 3 mai 2021, date de la suspension de fonctions, et jusqu'au 18 novembre 2021, de condamner la commune de Cazilhac à lui payer le salaire qui lui est dû depuis le 19 novembre 2021, de condamner la commune de Cazilhac à lui délivrer les bulletins de salaire correspondants, de condamner la commune de Cazilhac à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice psychologique, corporel et moral, subsidiairement, dans l'hypothèse où le tribunal n'ordonnerait pas sa réintégration, de condamner la commune de Cazilhac à lui payer le complément de salaire depuis le 1er juillet 2021 jusqu'au 18 novembre 2021 avec délivrance des bulletins de salaire correspondants, ainsi que 13 473 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 1 347 euros brut au titre des congés payés sur le préavis, 25 435 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement et 134 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier, matériel et moral, à titre très subsidiaire, dans l'hypothèse où il serait fait application des plafonds " Macron ", de condamner la commune de Cazilhac à lui verser la somme de 89 820 euros, en tout état de cause, de mettre à la charge de ladite collectivité la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et d'ordonner, en application de l'article 1154 du code civil la capitalisation des intérêts dus.

Par un jugement n° 2103391, 2200206 du 16 mai 2023, le tribunal administratif de Montpellier, après avoir joint les affaires, a rejeté les demandes de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 juin 2023 et le 1er octobre 2024, M. A... B..., représenté par Me Cabee, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 16 mai 2023 ;

2°) d'annuler l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel le maire de Cazilhac l'a suspendu pour une durée de quatre mois ;

3°) d'enjoindre à la commune, en tant que de besoin, de le réintégrer dans ses fonctions de secrétaire général des services et, à cet effet, de lui remettre un double des clés lui permettant l'accès à son poste de travail habituel à la mairie de Cazilhac, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la date de notification de la décision à intervenir ;

4°) de condamner la commune de Cazilhac à lui verser une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice corporel et moral subi du fait de l'arrêté du 20 avril 2021, assortie de la capitalisation des intérêts dus pour plus d'une année entière en application de l'article 1154 du code civil ;

5°) d'annuler la décision du 18 novembre 2021 par laquelle le maire de Cazilhac l'a licencié pour faute grave ;

6°) d'enjoindre à la commune de Cazilhac de le réintégrer dans ses fonctions de secrétaire général des services, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la date de notification de la décision à intervenir ;

7°) de condamner la commune de Cazilhac à lui verser l'intégralité du salaire qu'il aurait dû percevoir depuis le 3 mai 2021 jusqu'au 18 novembre 2021, ainsi que le salaire dû à compter du 19 novembre 2021 ;

8°) d'enjoindre à la commune de Cazilhac de lui délivrer les bulletins de salaire correspondants ;

9°) de condamner la commune de Cazilhac à lui verser 20 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice psychologique, corporel et moral qu'il a subi du fait de la décision de licenciement ;

10°) subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour n'ordonnerait pas sa réintégration, de condamner la commune de Cazilhac à lui verser le complément de salaire depuis le 1er juillet 2021 jusqu'au 18 novembre 2021 avec la délivrance des bulletins de salaire correspondants, ainsi que les sommes de 13 473 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 1 347 euros bruts eu titre des congés payés sur le préavis, 25 435 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement et 134 500 euros au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice financier, matériel et moral qu'il a subis ;

11°) subsidiairement, dans l'hypothèse où il serait fait application des plafonds " Macron ", de condamner la commune de Cazilhac à lui verser la somme de 89 820 euros ;

12°) d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour plus d'une année entière dans les termes de l'article 1154 du code civil ;

13°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune de Cazilhac une somme totale de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne l'arrêté du 30 avril 2021 :

- le signataire de l'arrêté du 30 avril 2021 n'est pas identifiable, en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la mesure de suspension prise à son encontre présente le caractère d'une sanction disciplinaire dès lors qu'elle est fondée sur une faute grave, et non sur l'intérêt du service, et au regard du laps de temps écoulé entre les faits qui lui sont reprochés, connus de tous, et la suspension ; elle n'a pas été prise dans l'intérêt du service au sens de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ;

- elle méconnaît la règle " non bis in idem ", dès lors qu'elle constitue une seconde sanction pour les mêmes faits, voire une troisième sanction, compte tenu de ce qu'il a été sommé par note de service du 16 avril 2021 de fournir au maire sa position sur les faits relevés à son encontre ;

- à la supposer existante, la faute grave qui lui est reprochée, tenant à l'obtention d'une modification de son statut vers la catégorie A, est prescrite en application de l'article 19 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- s'agissant d'une mesure disciplinaire, la mesure de suspension a été prise en méconnaissance de l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'il n'a pas été mis à même de demander la communication du dossier le concernant ;

- en ce qu'il ne précise pas la nature de la faute grave qui lui est reprochée, l'arrêté attaqué est dépourvu de motivation ;

- la mesure de suspension présente un caractère disproportionné et est entachée de détournement de pouvoir et d'excès de pouvoir ;

- le maire de Cazilhac a méconnu le principe d'impartialité en changeant les serrures d'entrée de la mairie le jour même de la notification de l'arrêté, et en diffusant ou en faisant diffuser la nouvelle de la suspension sur les réseaux sociaux avec des insinuations calomnieuses ;

- il a subi un préjudice corporel et moral qu'il évalue à 15 000 euros, dès lors que sa suspension brutale, largement commentée au sein de la commune et sur les réseaux sociaux, les accusations infondées dont il a fait l'objet, la mise en cause de sa probité l'ont choqué au point de provoquer un arrêt cardio-vasculaire et de nécessiter une opération chirurgicale le 6 juillet 2021 ;

- le défaut de diligence de la commune à saisir le conseil de discipline et à régler sa situation rend nulle et de nul effet la décision de suspension ;

En ce qui concerne la décision du 18 novembre 2021 :

- elle méconnaît la règle " non bis in idem " dès lors qu'elle constitue une seconde sanction pour les mêmes faits, à la suite de la mesure de suspension ;

- elle se fonde sur des faits prescrits en application de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, le délai de prescription ayant commencé à courir à compter de la délibération du 20 juin 2016 par laquelle le conseil municipal de la commune de Cazilhac a adopté les modalités de la régularisation de sa situation professionnelle ;

- les fautes qui lui sont reprochées ne sont pas établies ;

- la sanction est disproportionnée ;

- la sanction prononcée est constitutive d'un détournement de procédure ;

- elle a été prise en méconnaissance du principe d'impartialité ;

- il a subi un préjudice moral et des répercussions sur sa santé du fait de la rupture brutale de son contrat de travail qu'il évalue à 20 000 euros ;

- dans l'hypothèse où il ne serait pas enjoint à la commune de le réintégrer, la commune doit lui verser le complément de salaire depuis juillet 2021 jusqu'au 18 novembre 2021, l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuses ;

-le défaut de diligence de la commune à saisir le conseil de discipline et à régler sa situation rend nulle et de nul effet la décision de licenciement.

Par un mémoire en défense et un mémoire en production de pièces, enregistrés le 13 février 2024 et le 11 mars 2024, la commune de Cazilhac, représentée par Me Garcia, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 4 novembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Virginie Dumez-Fauchille, première conseillère,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de Me Cabee, représentant M. B..., et de Me Garcia, représentant la commune de Cazilhac.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., recruté par la commune de Cazilhac (Aude) en juillet 2002 comme agent administratif contractuel, a été titularisé par arrêté du maire de Cazilhac du 4 décembre 2003 dans le cadre d'emplois des agents administratifs avec effet au 15 décembre 2003. Occupant les fonctions de directeur général des services, il a démissionné de son poste à compter du 30 juin 2016 et a été recruté le lendemain par la commune, par contrat à durée indéterminée, sur un poste d'attaché territorial. Par un arrêté du 30 avril 2021, le maire de Cazilhac a suspendu M. B... de ses fonctions à titre conservatoire, à compter du 3 mai 2021 pour une durée de quatre mois. Par une décision du 18 novembre 2021, cette même autorité a prononcé son licenciement pour faute avec effet immédiat. Par un jugement du 16 mai 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté les demandes de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 avril 2021 et de la décision du 18 novembre 2021 et à la condamnation de la commune de Cazilhac à l'indemniser des préjudices subis du fait de ces actes administratifs. M. B... relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne l'arrêté du 30 avril 2021 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. (...) ".

3. L'arrêté attaqué ne comporte pas, à proximité de la signature, les nom, prénom et qualité du signataire. Toutefois ces mentions figurent en première ligne de l'arrêté, de sorte que le signataire était identifiable avec certitude. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaît l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration.

4. En deuxième lieu, une mesure de suspension de fonctions ne peut être prononcée à l'encontre d'un agent public que lorsque les faits imputables à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que l'éloignement de l'intéressé se justifie au regard de l'intérêt du service. Eu égard à la nature conservatoire d'une mesure de suspension et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition tenant au caractère vraisemblable des faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision.

5. Pour édicter l'arrêté litigieux, le maire de Cazilhac s'est fondé sur ce qu'il était reproché à M. B... d'avoir commis une faute grave au regard des éléments portés à la connaissance de l'administration au jour de l'arrêté. Il résulte des écritures en défense que cette faute consiste en la signature, après avoir démissionné de son poste de fonctionnaire titulaire de catégorie C, d'un contrat à durée indéterminée le 1er juillet 2016 pour un poste rémunéré au niveau d'un attaché territorial de catégorie A, dans des conditions méconnaissant les règles applicables au recrutement d'un agent public contractuel, et en la perception d'un supplément familial indu, plusieurs années durant, avant cette date.

6. D'une part, la mesure de suspension, à caractère conservatoire, peut être prononcée dans le cas de manquements professionnels passibles de sanction disciplinaire, mais également d'infraction de droit commun. Dès lors, M B... ne peut utilement soutenir que les faits qui lui sont reprochés seraient atteints par la prescription en matière de procédure disciplinaire alors qu'il est constant que la prescription n'était pas acquise en matière pénale. D'autre part, les faits en cause, connus de la commune au jour de l'arrêté attaqué, et dont la matérialité n'est pas contestée par l'intéressé, présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité. Par ailleurs, compte tenu de ce que M. B... occupait un poste à responsabilité au sein de la commune, comme secrétaire général, l'intérêt du service justifiait l'éloignement de l'intéressé. Par suite, et en dépit du temps écoulé entre les faits reprochés à M. B... et la mesure de suspension, l'arrêté attaqué n'est pas disproportionné ni n'est entaché d'erreur d'appréciation.

7. En troisième lieu, la mesure provisoire de suspension prise sur le fondement de ces dispositions ne présente pas par elle-même un caractère disciplinaire mais est uniquement destinée à écarter temporairement un agent du service, en attendant qu'il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation. Dès lors, M. B... ne peut utilement soutenir qu'il n'a pas bénéficié de la garantie liée à la procédure disciplinaire prévue par l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, tenant à la communication préalable de son dossier.

8. En quatrième lieu, M. B... ne peut davantage utilement soutenir que l'arrêté attaqué n'est pas suffisamment motivé, dès lors que la mesure en cause, à caractère conservatoire, n'est pas une sanction, et n'est pas au nombre des décisions devant être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.

9. En cinquième lieu, dès lors que la mesure de suspension prononcée par l'arrêté litigieux n'est pas une sanction, ainsi que cela résulte de ce qui a été dit au point 7, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaîtrait la règle " non bis in idem " prohibant de sanctionner plusieurs fois pour les mêmes faits.

10. En sixième lieu, M. B... ne peut utilement invoquer le défaut de diligence de la commune de Cazilhac à saisir le conseil de discipline postérieurement à l'arrêté attaqué.

11. En septième lieu, le moyen tiré de l'atteinte au principe d'impartialité n'est pas étayé en droit. En tout état de cause, la circonstance que le maire de Cazilhac ait, le jour de l'arrêté, fait changer les serrures de la mairie, et, ensuite, fait diffuser la nouvelle de la suspension de M. B... est sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué.

12. En dernier lieu, le détournement de procédure, alors que, ainsi qu'il a été dit, la mesure de suspension ne revêt pas un caractère disciplinaire, n'est pas établi.

En ce qui concerne la décision du 18 novembre 2021 :

13. Aux termes de l'article 36 du décret du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : " Tout manquement au respect des obligations auxquelles sont assujettis les agents publics, commis par un agent contractuel dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions est constitutif d'une faute l'exposant à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par le code pénal. ". Aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable à l'espèce : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination. / Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. En cas de poursuites pénales exercées à l'encontre du fonctionnaire, ce délai est interrompu jusqu'à la décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, d'acquittement, de relaxe ou de condamnation. Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre de l'agent avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire. ".

14. Il ressort des pièces du dossier que les faits reprochés à M. B... datent, concernant la signature du contrat d'attaché territorial, du 25 juin 2016 et, s'agissant de la perception d'un supplément familial de traitement ne correspondant pas à la situation familiale de M. B..., de janvier 2012 à avril 2016, d'après les bulletins de paie relatifs à cette période. Or, par délibération du 20 juin 2016, le conseil municipal de la commune de Cazilhac a, sur proposition du maire de la commune, approuvé la modification du tableau des effectifs, " compte tenu des nécessités de service ", notamment " en créant un poste d'attaché territorial contractuel afin de régulariser la situation du secrétaire général ", tandis que le maire a nécessairement signé le contrat de travail établi le 25 juin 2016 avec M. B.... En outre, comme il en atteste dans un certificat administratif du 1er juillet 2016, M. C..., maire à la date des faits, indique avoir intégré dans la rémunération de M. B..., outre un quota d'heures supplémentaires, un supplément familial de traitement " pour arriver à un salaire équivalent à ses fonctions de directeur général des services ", et que ces rémunérations annexes ont été intégrées dans le salaire de base de M. B... à compter du 1er juillet 2016. Dès lors, les faits reprochés à M. B... et fondant son licenciement étaient effectivement connus de la commune, qui constitue l'administration, au sens de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, dès leur commission, de sorte que le délai de trois ans prévu à l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 a commencé à courir dès la perception du supplément familial indu et dès la signature du contrat. La circonstance qu'un nouveau maire ait été élu en 2020 et ait découvert les faits en janvier 2021 après son installation est sans incidence sur l'écoulement du délai de prescription, et n'a pas eu pour effet d'en rouvrir un nouveau. Dès lors, en 2021, lorsque le maire de Cazilhac a engagé la procédure disciplinaire à l'encontre de M. B..., et alors qu'il n'est fait état d'aucune cause d'interruption du délai, les faits en cause étaient prescrits, depuis, au plus tard, le 1er juillet 2019, date anniversaire du certificat administratif susmentionné, sans que la commune de Cazilhac puisse utilement soutenir que la prescription en matière pénale n'était alors pas encore acquise. Par suite, la décision attaquée a été prise en méconnaissance de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983.

15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête soulevés à l'encontre de la décision du 18 novembre 2021, que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du maire de Cazilhac du 18 novembre 2021, et à demander l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :

16. L'annulation de la décision du 18 novembre 2021 implique nécessairement la réintégration juridique de M. B... et la reconstitution de sa carrière à la date de la prise d'effet de son licenciement, soit le 18 novembre 2021. Il y a lieu d'ordonner à la commune de Cazilhac d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions aux fins d'indemnité :

17. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction et les revenus de remplacement perçus au titre de cette même période.

18. D'une part, le montant du préjudice matériel subi par M. B... du fait de l'illégalité de la décision prononçant son licenciement doit être évalué au montant correspondant à la perte de salaire qu'il aurait dû percevoir à compter du 19 novembre 2021 jusqu'à la date du présent arrêt, de laquelle doit être déduit le montant des rémunérations qu'il a pu se procurer au cours de cette période. M. B... n'est en revanche pas fondé à demander l'indemnisation d'une perte de traitement pour la période du 30 avril 2021 au 18 novembre 2021 dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il a été privé de salaire sur cette période, l'arrêté du 30 avril 2021 prévoyant le maintien de salaire pendant la période de suspension. L'état du dossier ne permettant pas à la cour de déterminer le montant de la somme due sur ces bases à M. B..., il y a lieu de renvoyer celui-ci devant la commune de Cazilhac, pour qu'il soit procédé à la liquidation de son préjudice matériel indemnisable dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte.

19. D'autre part, si M. B... soutient que la situation liée à son licenciement a eu des répercussions sur son état de santé, il ne peut utilement invoquer avoir subi un accident vasculaire cérébral et une opération chirurgicale le 6 juillet 2021, ces faits étant antérieurs à la décision attaquée. De même, pour étayer le préjudice causé par l'illégalité de la décision de licenciement, il ne peut utilement invoquer le caractère brutal de la mesure de suspension dont il a fait l'objet et des commentaires qu'elle a suscités sur les réseaux sociaux. Enfin, dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'établit pas la réalité du préjudice moral subi du fait de l'illégalité de la décision de licenciement.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

20. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1153-1 du code civil : " la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement ".

21. En se bornant à demander la capitalisation des intérêts, M. B... doit être regardé comme demandant également l'application des intérêts moratoires sur l'indemnité au versement de laquelle la commune est condamnée. Par suite, l'intéressé a droit aux intérêts au taux légal sur la somme à déterminer selon les modalités précisées au point 18, et ce à compter du 18 janvier 2022, date de communication de la requête de première instance par le tribunal à la commune de Cazilhac, cette requête ayant été introduite le 14 janvier 2022, le même jour que l'envoi de la demande indemnitaire préalable, dont la réception par la commune n'est pas contestée.

22. En second lieu, aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. ".

23. Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. M. B... a demandé la capitalisation des intérêts pour la première fois en appel, le 10 juin 2023. A cette date, les intérêts échus étaient dus au moins pour une année entière. Dès lors il y a lieu de faire droit à cette demande.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la commune de Cazilhac au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Cazilhac une somme de 1 500 euros à verser à M. B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 18 novembre 2021 par laquelle le maire de Cazilhac a licencié M. B... est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la commune de Cazilhac de réintégrer juridiquement M. B..., à compter du 18 novembre 2021, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision et de procéder à la reconstitution de sa carrière.

Article 3 : La commune de Cazilhac est condamnée à verser à M. B... une indemnité correspondant à la perte de rémunération subie dans les conditions prévues au point 18 de la présente décision. M. B... est renvoyé devant cette commune pour qu'il soit procédé à la liquidation de cette somme. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2022. Les intérêts échus à la date du 10 juin 2023 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : L'article 1er du jugement n°2103391, 2200206 du tribunal administratif de Montpellier du 16 mai 2023 est annulé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : La commune de Cazilhac versera une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 7 : Les conclusions de la commune de Cazilhac présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de Cazilhac.

Délibéré après l'audience du 18 février 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Dumez-Fauchille, première conseillère,

Mme Bentolila, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2025.

La rapporteure,

V. Dumez-Fauchille

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au préfet de l'Aude en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23TL01358


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01358
Date de la décision : 25/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-10-06 Fonctionnaires et agents publics. - Cessation de fonctions. - Licenciement.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Virginie Dumez-Fauchille
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : CABEE-BIVER

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-25;23tl01358 ?
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