Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association La Bressola a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 28 septembre 2021 par laquelle le maire de Perpignan a exercé au nom de la commune le droit de préemption urbain pour l'acquisition d'un ensemble immobilier situé 107 avenue du maréchal Joffre appartenant à la communauté des religieuses de Sainte-Claire pour un prix de 1 179 000 euros auquel s'ajoute une commission de 21 000 euros.
Par un jugement n° 2105400 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a annulé cette décision et a mis à la charge de la commune de Perpignan une somme de 1 500 euros à verser à l'association La Bressola en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er mars 2023, la commune de Perpignan, représentée par Me Vigo, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance de l'association La Bressola à titre principal comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme infondée ;
3°) de mettre à la charge de l'association La Bressola une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité ; ne détaillant pas les moyens de défense, il a omis de statuer sur la troisième branche de sa fin de non-recevoir qui portait sur l'absence de consignation des fonds ;
- le jugement est également mal fondé ; le tribunal n'a pas accueilli sa fin de non-recevoir tirée d'un défaut d'intérêt à agir de l'association requérante en lui opposant deux motifs irréguliers et en dénaturant ses moyens de défense et les pièces du dossier ;
- compte-tenu de la réalité du projet qu'elle portait, le tribunal a entaché son jugement d'erreur de droit, de fait et de dénaturation des pièces du dossier en retenant une insuffisance de motivation et la méconnaissance des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ;
- la demande de première instance était irrecevable ; l'association requérante n'avait pas, à la date de la saisine, la qualité d'acquéreur évincé du fait de l'absence d'indication de sa qualité d'acquéreur sur le formulaire de déclaration adressé à la commune, lequel s'analyse comme une offre de vente ou comme une mise en demeure d'acquérir, mais aussi du fait de la présence d'une clause résolutoire dans le compromis de vente et de l'absence de consignation de la garantie chez le notaire ;
- les moyens soulevés en première instance par l'association requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 7 décembre 2023, l'association communauté des religieuses de Sainte-Claire, représentée par Me Garcia, s'en remet à la sagesse de la cour sur le fond du litige et sollicite qu'il soit mis à la charge de toute partie perdante le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que la commune n'avait pas manifesté d'intérêt ou d'intention pour l'achat du monastère jusqu'à la signature du compromis de vente avec l'association La Bressola.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2023, l'association La Bressola, représentée par Me Pons-Serradeil, conclut au rejet de la requête comme irrecevable, subsidiairement comme infondée et à ce que les dépens et une somme de 3 000 euros soient mis à la charge de la commune de Perpignan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable en raison du défaut de qualité pour agir du maire de Perpignan et de l'absence d'intérêt à agir de la commune du fait de la caducité de la décision de préemption ;
- le jugement attaqué est régulier, le tribunal ayant statué, de manière motivée, sur la fin de non-recevoir tirée de son défaut d'intérêt à agir ;
- sa qualité d'acquéreur évincé découle de la promesse de vente signée le 6 août 2021 ; le seul fait qu'elle ne soit pas expressément visée dans la déclaration d'intention d'aliéner ne saurait lui faire perdre cette qualité ; la commune ne peut sérieusement soutenir qu'il ne s'agirait pas d'une déclaration d'intention d'aliéner mais d'une mise en demeure d'acquérir ou d'une offre de vente ;
- la clause résolutoire dans le compromis de vente est sans incidence sur l'appréciation de son intérêt à agir, de même que l'absence de consignation des fonds, à la supposer établie ;
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- elle est affectée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que la commune ne justifie d'aucun projet, ni d'aucune opération susceptible de permettre l'exercice du droit de préemption ;
- elle n'a pas un caractère d'intérêt général.
Par une ordonnance du 1er février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience :
- le rapport de M. Teulière, président-assesseur,
- les conclusions de M. Diard, rapporteur public,
- les observations de Me Pons Serradeil, représentant l'association La Bressola ;
- et les observations de Me Garcia, représentant l'association communauté des religieuses de Sainte-Claire.
Considérant ce qui suit :
1. Le 11 août 2021, la commune de Perpignan (Pyrénées-Orientales) a reçu une déclaration d'intention d'aliéner concernant la vente d'un ensemble immobilier situé 107 avenue du maréchal Joffre, sur une parcelle cadastrée section CO n° 88, propriété de la communauté des religieuses de Sainte-Claire, association déclarée, qui venait de conclure le 6 août 2021 avec l'association La Bressola un compromis de vente de l'immeuble dénommé couvent de Sainte Claire pour un prix de 1 200 000 euros. Par une décision du 28 septembre 2021, le maire de Perpignan a exercé au nom de la commune le droit de préemption urbain pour l'acquisition de cet ensemble immobilier pour un prix de 1 179 000 euros, majoré d'une commission d'agence de 21 000 euros. La commune de Perpignan relève appel du jugement du 30 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a, sur la demande de l'association La Bressola, annulé la décision du maire de Perpignan du 28 septembre 2021.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal administratif de Montpellier a écarté, de manière suffisamment motivée, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Perpignan, tirée du défaut d'intérêt à agir de l'association La Bressola, aux points 5 à 7 du jugement attaqué en relevant d'abord que cette dernière, par la conclusion d'un compromis de vente du 6 août 2021, établissait avoir la qualité d'acquéreur évincé, alors même que son nom n'apparaissait pas dans la déclaration d'intention d'aliéner. Les premiers juges ont également indiqué que la clause relative à l'exercice du droit de préemption présente dans ce compromis de vente ne faisait pas obstacle à ce que, d'un commun accord, les parties donnent suite à leur engagement réciproque et que cette clause était sans incidence sur l'appréciation de l'intérêt à agir de l'association requérante. Dans ces conditions, la seule circonstance que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés au soutien de la fin de non-recevoir, ait implicitement mais nécessairement écarté l'argumentation de la commune relative à l'absence de consignation des fonds à titre de dépôt de garantie prévue par le compromis de vente, n'est pas de nature à entacher son jugement d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la commune de Perpignan à la demande de première instance de l'association La Bressola et tirée de son défaut d'intérêt à agir :
3. La commune de Perpignan persiste à soutenir en appel que l'association La Bressola n'avait pas ou n'avait plus la qualité d'acquéreur évincé à la date de la requête introductive d'instance. Toutefois, l'association La Bressola a conclu le 6 août 2021 avec l'association communauté des religieuses de Sainte-Claire un compromis de vente concernant un ensemble immobilier avec parc et dépendances appartenant à cette dernière et ayant fait ensuite l'objet de la décision de préemption en litige du maire de Perpignan en date du 28 septembre 2021. Elle justifiait ainsi d'un intérêt à agir à l'encontre de cette décision, alors même que le nom de l'association La Bressola n'apparaît pas dans la déclaration d'intention d'aliéner reçue le 11 août 2021 par la commune. Contrairement à ce que soutient l'appelante, cette déclaration ne saurait être regardée comme une offre de vente du bien adressée par son propriétaire au titulaire du droit de préemption ou comme une demande ou une mise en demeure d'acquérir ce bien, les cases cochées sur le formulaire étant à cet égard sans ambiguïté pour établir la nature du document. La circonstance que le compromis de vente comportait une réserve relative à l'exercice du droit de préemption n'est pas de nature à retirer à l'association La Bressola sa qualité d'acquéreur évincé qui lui donnait intérêt à contester la décision mettant en œuvre le droit de préemption urbain. De même, la circonstance que l'acte comportait une stipulation relative à la caducité du compromis en cas de non versement par l'acquéreur du dépôt de garantie " si bon semble au vendeur " n'est également pas de nature à retirer à l'association La Bressola sa qualité d'acquéreur évincé et est ainsi sans incidence sur l'appréciation de son intérêt à agir. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Montpellier n'a pas accueilli cette fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de l'association La Bressola.
En ce qui concerne la légalité de la décision du 28 septembre 2021 :
4. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau et à permettre l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) ". Aux termes de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
6. D'une part, si la décision contestée vise l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, elle se borne à indiquer que " l'acquisition de cet ensemble immobilier s'inscrit dans un objectif de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine bâti (ensemble conventuel) et non bâti (parc) de la ville ", soit à rappeler l'un des objets définis à l'article L. 300-1 précité du code de l'urbanisme et ne se réfère à aucun document permettant d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement projetée sur l'ensemble immobilier dont s'agit. Par suite, en ne faisant pas apparaître la nature du projet, elle est insuffisamment motivée. D'autre part, la commune de Perpignan n'établit pas avoir proposé l'acquisition à l'amiable du bien immobilier en mai 2021. En se limitant à décrire sa politique globale en matière de préservation du patrimoine bâti de la ville et sa traduction budgétaire pour des éléments patrimoniaux autres que celui en litige, elle n'apporte pas davantage d'éléments en appel de nature à justifier, à la date de la décision en litige, de la réalité alléguée d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement sur l'ensemble immobilier dont s'agit. Par suite, la décision en litige méconnaît également les dispositions précitées de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme.
7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense par l'association La Bressola, que la commune de Perpignan n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision de son maire en date du 28 septembre 2021.
Sur les frais liés au litige :
8. En l'absence de dépens, les conclusions présentées par l'association La Bressola sur le fondement des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association La Bressola, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par la commune de Perpignan et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Perpignan une somme de 1 500 euros à verser à l'association La Bressola, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens sur le même fondement. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Perpignan une somme à verser à l'association communauté des religieuses de Sainte-Claire au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Perpignan est rejetée.
Article 2 : La commune de Perpignan versera une somme de 1 500 euros à l'association La Bressola en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'association La Bressola sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative et celles présentées par l'association communauté des religieuses de Sainte-Claire sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Perpignan, à l'association La Bressola et à l'association communauté des religieuses de Sainte-Claire.
Délibéré après l'audience du 20 mars 2025, où siégeaient :
- M. Chabert, président de chambre,
- M. Teulière, président assesseur,
- M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 avril 2025.
Le président assesseur,
T. Teulière
Le président,
D. ChabertLe greffier,
N. Baali
La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 23TL00526