Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 avril 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2302747 du 20 juillet 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté en tant seulement qu'il fixe le Bangladesh comme pays à destination duquel M. A... pourra être reconduit d'office, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Bachelet, avocate de M. A..., en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 août 2023, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il prononce l'annulation de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prise à l'encontre de M. A... et qu'il met à la charge de l'Etat une somme à verser à l'avocate de ce dernier en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a retenu l'existence de risques en cas de retour de M. A... dans son pays d'origine pour caractériser une violation par la décision fixant le pays de destination de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- alors que sa demande d'asile a été rejetée tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que par le Cour nationale du droit d'asile, les documents judiciaires produits à la suite de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prise à son encontre ne suffisent pas à caractériser l'existence de risques réels, actuels et personnels en cas de retour dans son pays d'origine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2024, M. A..., représenté par Me Bachelet, conclut au rejet de la requête du préfet de la Haute-Garonne et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours prise à son encontre, à l'annulation de cette mesure d'éloignement et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête d'appel du préfet de la Haute-Garonne est irrecevable à défaut de justifier de la compétence de son signataire ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés ;
- c'est à tort que le premier juge, après avoir admis les risques encourus dans son pays d'origine, n'a pas tiré les conséquences de cette situation en annulant la décision l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;
- il reprend l'ensemble de ses arguments présentés dans sa requête introductive d'instance.
Par décision du 1er mars 2024, M. A... a obtenu le maintien de plein droit du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa demande, de prononcer des conclusions à l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Chabert, président.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 19 décembre 1997, de nationalité bangladaise, déclare être entré en France le 15 avril 2022 après avoir fui son pays d'origine. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 29 septembre 2022, laquelle a été confirmée par une ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile du 16 février 2023, notifiée le 6 mars suivant. Par un arrêté du 20 avril 2023, le préfet de la Haute-Garonne a obligé l'intéressé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Par la présente requête, le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 20 juillet 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a prononcé l'annulation de la décision fixant le pays de destination et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à l'avocate de M. A... en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par la voie de l'appel incident, M. A... sollicite l'annulation du même jugement en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions et de la décision par laquelle le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel du préfet de la Haute-Garonne :
2. Aux termes de l'article R. 431-12 du code de justice administrative : " (...) Les recours, les mémoires en défense et les mémoires en intervention présentés au nom de l'État sont signés par le ministre intéressé ". Aux termes de l'article R. 811-10 du même code : " (...) Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'État (...) ". L'article R. 811-10-1 du même code dispose que : " Par dérogation aux dispositions de l'article R. 811-10, le préfet présente devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'État lorsque le litige est né de l'activité des services de la préfecture dans les matières suivantes : / 1° Entrée et séjour des étrangers en France (...) ".
3. Par un arrêté du 13 mars 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture n° 31-2023-099 le 15 mars 2023, le préfet de la Haute-Garonne a délégué sa signature à Mme E... C..., adjointe à la cheffe du bureau de l'éloignement et du contentieux et signataire de la requête, à l'effet de signer, notamment, l'ensemble des mémoires en défense et requêtes en appel relatifs au contentieux des étrangers devant les juridictions administratives. La présente requête n'étant pas exclue de cette délégation de signature, la fin de non-recevoir tirée de l'incompétence du signataire de la requête doit, dès lors, être écartée.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Toulouse :
4. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Selon l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
5. Il appartient à l'étranger qui conteste son éloignement de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Pour justifier des risques personnels, directs et actuels auxquels il serait exposé en cas de retour dans son pays d'origine, M. A... réitère son récit relatif à des poursuites judiciaires engagées à son encontre qui lui feraient encourir, en cas de condamnation, la peine de mort. Il produit sur ce point des documents traduits du bangladais en français, notamment une déposition et une instruction d'affaire pour viol et meurtre établie le 18 décembre 2021, un acte d'accusation du 15 février 2022 ainsi qu'une attestation sur l'honneur d'un avocat au Bangladesh datée du 1er février 2023 rappelant les poursuites dont M. A... fait l'objet et mentionnant l'acte d'accusation ainsi qu'un mandat d'arrêt. Toutefois, alors que ne figure aucune date sur les versions traduites de ces documents, lesquels sont tous antérieurs au rejet de sa demande d'asile en dernier lieu par ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile du 16 février 2023, l'intimé n'apporte aucune précision sur les conditions dans lesquelles il a pu en prendre possession et les circonstances qui l'auraient empêché de les produire dans le cadre de l'instruction de sa demande d'asile. Dans les circonstances de l'espèce, la seule réitération du récit à l'origine de sa demande d'asile et la production de ces seuls documents ne permettent pas de regarder M. A... comme établissant le caractère personnel et actuel des risques qu'il invoque en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge, pour annuler la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de M. A..., s'est fondé sur la méconnaissance des stipulations et dispositions citées au point précédent.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens soulevés par M. A... à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... à l'encontre de la décision fixant le pays de destination :
8. En premier lieu, par un arrêté du 13 mars 2023 publié au recueil administratif spécial n° 31-2023-099 le 15 mars 2023, le préfet de la Haute-Garonne a donné délégation à
Mme D... B..., directrice des migrations et de l'intégration, en matière de police des étrangers, et notamment pour signer les mesures d'éloignement et les décisions les assortissant. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision fixant le pays de destination doit être écarté.
9. En deuxième lieu, il ressort des termes de l'arrêté en litige que le préfet de la Haute-Garonne a mentionné le rejet de la demande d'asile présentée par M. A... tant devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que devant la Cour nationale du droit d'asile et a précisé que l'intéressé n'établissait pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. La décision est ainsi suffisamment motivée.
10. En troisième lieu, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Garonne n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation de M. A... pour fixer le pays à destination il est susceptible d'être reconduit au besoin d'office.
11. En dernier lieu, si M. A... s'est prévalu du défaut de base légale de la décision fixant le pays de destination en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, il y a lieu d'écarter les moyens dirigés contre la mesure d'éloignement par adoption des motitfs retenus à bon droit par le premier juge aux points 3 à 8 du jugement attaqué.
12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 20 avril 2023 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a fixé le pays de destination pour l'exécution de la mesure d'éloignement prononcée à son encontre.
Sur l'appel incident de M. A... à l'encontre du jugement en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de sa demande :
13. En premier lieu, si M. A... soutient que le premier juge n'a pas tiré les conséquences de son jugement annulant la décision fixant le pays de destination en raison des risques encourus dans son pays d'origine pour annuler la mesure d'éloignement prononcée à son encontre, il résulte de ce qui a été exposé ci-dessus que la décision fixant le pays de destination n'a pas été prise en violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
14. En second lieu, l'intimé indique dans ses écritures en défense qu'il reprend en outre l'ensemble de ses arguments présentés dans le cadre de sa requête introductive d'instance devant la juridiction de première instance. Toutefois, à défaut de joindre à l'appui de ses conclusions d'appel incident cette requête, ces moyens ne peuvent qu'être écartés comme non assortis des précisions permettant d'en apprécier la portée et le bien-fondé.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le premier juge a annulé la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de M. A... et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à l'avocate de ce dernier en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2302747 du tribunal administratif de Toulouse du 20 juillet 2023 sont annulés.
Article 2 : La demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prononcée à son encontre par le préfet de la Haute-Garonne le 20 avril 2023 ainsi que ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. F... A... et à Me Bachelet.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, où siégeaient :
- M. Chabert, président de chambre,
- M. Teulière, président-assesseur
- M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2025.
Le président-rapporteur,
D. Chabert
Le président-assesseur,
T. Teulière La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23TL02101