Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Roger B... Entreprise a demandé au tribunal administratif de Montpellier, directement et par une réclamation soumise d'office par le directeur de contrôle fiscal Sud-Pyrénées en application des articles R. 199-1 et R. 200-3 du livre des procédures fiscales et valant requête introductive d'instance, de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2015 au 28 février 2018.
Par un jugement nos 2100221, 2201589 du 17 avril 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juin 2023, la société Roger B... Entreprise, représentée par Me André, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 17 avril 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2015 au 28 février 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors que le tribunal n'a pas analysé les écritures en défense de l'administration fiscale ;
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de ce que la vérificatrice n'a pas suspendu son intervention après avoir été informée de ce que l'État était débiteur à son égard de sommes d'argent en exécution de marchés publics ;
- la procédure de vérification est irrégulière, dès lors qu'elle était créancière sur l'État d'une somme afférente au solde de l'exécution d'un marché public ;
- son administrateur judiciaire n'a été ni avisé de l'engagement des opérations de vérification, ni convié aux différentes interventions sur place et à la réunion de synthèse ;
- l'administration n'a pas donné suite à sa demande de saisine de l'interlocuteur départemental ;
- la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires était territorialement incompétente et a méconnu le principe du contradictoire ;
- la proposition de rectification du 20 juin 2018 est insuffisamment motivée, dès lors que la méthode de reconstitution de la taxe sur la valeur ajoutée restant due au titre de l'exercice 2017 n'est pas explicitée ; en conséquence, le délai de prescription n'a pas été interrompu ;
- la créance est forclose, faute pour le comptable public de l'avoir admise à titre définitif dans le délai prévu à l'article L. 624-1 du code de commerce ;
- l'inscription de la taxe sur la valeur ajoutée au passif avec la mention " à régulariser " a pour origine une erreur de son service comptable concernant la déclaration de chiffre d'affaires du mois de juillet 2017 ;
- la méthode de reconstitution de son chiffre d'affaires est radicalement viciée ;
- les rectifications opérées sur le fondement des 2° et 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts sont entachées d'une erreur d'appréciation ;
- elle doit être déchargée de la majoration pour manquement délibéré en conséquence du caractère infondé des rectifications ;
- cette majoration est insuffisamment motivée ;
- elle n'est pas justifiée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société appelante sont inopérants ou ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 27 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur,
- les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique,
- et les observations de Me Perez, représentant la société Roger B... Entreprise.
Considérant ce qui suit :
1. La société Roger B... Entreprise fait appel du jugement du 17 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes tendant à la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2015 au 28 février 2018 et qui procède de la reconstitution, après rejet de sa comptabilité, de la taxe restant due au titre de son activité de travaux d'installation d'équipements thermiques et de climatisation.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, les premiers juges ont pu, sans entacher leur jugement d'irrégularité, se borner, dans l'analyse des écritures en défense produites devant eux par l'administration fiscales, à relever que cette dernière soutenait que les moyens des demandes de la société Roger B... Entreprise n'étaient pas fondés, dès lors que ces mémoires se limitaient à la réfutation de ces moyens.
3. En second lieu, il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Montpellier a expressément répondu, au point 2 et de manière suffisante, au moyen tiré de ce que la procédure d'imposition serait irrégulière au motif que la vérificatrice aurait dû suspendre les opérations de vérification après avoir été informée de ce que la société Roger B... Entreprise était créancière sur l'État d'une somme afférente au solde de l'exécution de marchés publics.
4. Il résulte de ce qui précède que la société Roger B... Entreprise n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
5. En premier lieu, la circonstance, à la supposer établie, que la société Roger B... Entreprise aurait détenu une créance sur l'État, correspondant au solde de l'exécution d'un marché public, n'était pas de nature à impliquer la suspension des opérations de vérification et est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " (...) une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification ou par l'envoi d'un avis d'examen de comptabilité (...) ". L'article L. 631-12 du code de commerce, relatif à la procédure de redressement judiciaire, dispose que : " Outre les pouvoirs qui leur sont conférés par le présent titre, la mission du ou des administrateurs est fixée par le tribunal. / Ce dernier les charge ensemble ou séparément d'assister le débiteur pour tous les actes relatifs à la gestion ou certains d'entre eux, ou d'assurer seuls, entièrement ou en partie, l'administration de l'entreprise (...) ". Aux termes enfin de l'article L. 622-3 du même code : " Le débiteur continue à exercer sur son patrimoine les actes de disposition et d'administration, ainsi que les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission de l'administrateur (...) ".
7. Il résulte de l'instruction que, par un jugement du 4 avril 2018, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Roger B... Entreprise et désigné, à cette occasion, un administrateur judiciaire chargé d'assister le débiteur dans tous les actes relatifs à la gestion de la société. M. A... B..., co-gérant et représentant légal de cette dernière, conservait ainsi ses pouvoirs de direction et de gestion. Les opérations de vérification de comptabilité, qui ont été menées avec M. B..., assisté d'un expert-comptable, pouvaient donc, sans priver la société de débat oral et contradictoire, ne pas associer l'administrateur judiciaire. Par suite, le moyen tiré de ce que ce dernier n'a été ni avisé de l'engagement des opérations, ni convié aux différentes interventions sur place et à la réunion de synthèse doit être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". L'article R. 57-1 du même livre dispose que : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile.
9. La proposition de rectification que le service a adressée le 20 juin 2018 à la société Roger B... Entreprise comportait les mentions exigées par les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, permettant à la société contribuable de présenter utilement ses observations. La méthode de reconstitution de la taxe sur la valeur ajoutée due au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2017, dont il était indiqué qu'elle reposait sur un rapprochement effectué par le cabinet comptable de la société, dont le détail chiffré était joint en annexe, avec le chiffre d'affaires déclaré en matière d'impôt sur les sociétés, et non sur la comptabilité de la société, regardée comme irrégulière et non probante, mais corroboré par l'inscription de la taxe au passif du bilan de clôture, était, à ce titre, présentée de façon suffisamment précise. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification manque en fait et doit être écarté.
10. En quatrième lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " Les dispositions contenues dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 47 sont opposables à l'administration ". Dans la version remise à la société Roger B... Entreprise, cette charte prévoit la possibilité, pour le contribuable, de saisir l'inspecteur principal pour obtenir des éclaircissements supplémentaires sur les redressements envisagés, maintenus par le vérificateur, puis, si des divergences importantes subsistent, de faire appel à l'interlocuteur départemental. Il en résulte que le contribuable ne peut faire appel à l'interlocuteur départemental qu'à la double condition d'avoir saisi au préalable le supérieur hiérarchique du vérificateur et qu'à l'issue de cette saisine un désaccord persiste.
11. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 27 septembre 2018, la société Roger B... Entreprise a notamment sollicité la saisine du supérieur hiérarchique et de l'interlocuteur départemental. Elle ne s'est pas présentée au rendez-vous fixé le 9 novembre 2018 par le supérieur hiérarchique de la vérificatrice. Par lettre adressée à ce dernier le 13 novembre 2018, la société a précisé avoir communiqué à l'administration, par messagerie électronique et télécopie, une correspondance du 7 novembre 2018 faisant état de ce que " la situation [lui] paraissait rendre inopérante, en l'état, le rendez-vous " et de ce qu'elle " n'entend[ait] pas, en l'état, persister dans le recours hiérarchique et d'interlocution ". Dans ces conditions, alors d'ailleurs que la demande de saisine de l'interlocuteur départemental était prématurée, la société appelante n'est pas fondée à se prévaloir de ce qu'il n'a pas été donné suite à cette dernière, en méconnaissance de la garantie prévue par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 1651 du code général des impôts : " Il est institué, dans le ressort de chaque tribunal administratif, une commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (...) ". L'article 1651 G du même code dispose que : " Pour des motifs de confidentialité, le contribuable peut demander la saisine d'une autre commission relevant du ressort de la cour administrative d'appel territorialement compétente. Cette commission est choisie par le président de la cour administrative d'appel (...) ". Il résulte de l'instruction que la société Roger B... Entreprise a demandé à la vérificatrice, par lettres des 20 juillet et 27 septembre 2018, de " voir son affaire portée devant la commission consultative compétente, laquelle, en tout état de cause, pour la sauvegarde du secret des affaires et de sa confidentialité, ne saurait être celle du département du siège social du contribuable ". Compte tenu des termes ainsi employés, la société, qui ne s'opposait pas à la saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires relevant du ressort du tribunal administratif de Montpellier, territorialement compétente, et qui ne précisait pas les motifs de confidentialité qu'elle entendait faire valoir, ne saurait être regardée comme ayant sollicité une demande de dépaysement sur le fondement de l'article 1651 G du code général des impôts. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence territoriale de la commission relevant du ressort du tribunal administratif de Montpellier et de la méconnaissance du principe du contradictoire, compte tenu de l'absence de représentation de la société lors de la séance tenue par cette commission le 28 mai 2019, à laquelle elle était régulièrement convoquée, doit être en tout état de cause écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
13. En premier lieu, aux termes de l'article L. 624-1 du code de commerce : " Dans le délai fixé par le tribunal, le mandataire judiciaire établit, après avoir sollicité les observations du débiteur, la liste des créances déclarées avec ses propositions d'admission, de rejet ou de renvoi devant la juridiction compétente (...) ". La circonstance que le comptable public n'aurait pas respecté le délai prévu par ces dispositions est sans incidence sur le bien-fondé des impositions contestées.
14. En deuxième lieu, la seule circonstance que la méthode de reconstitution retenue par le service vérificateur en matière de taxe sur la valeur ajoutée, qui est décrite au point 9 du présent arrêt, repose sur un rapprochement avec le chiffre d'affaires global de l'exercice 2017 et aboutit à une rectification pour l'ensemble de la période en cause, alors que la société Roger B... Entreprise, qui relève du régime réel d'imposition, souscrivait mensuellement ses déclarations de taxe sur la valeur ajoutée, ne permet pas de regarder cette méthode comme radicalement viciée dans son principe.
15. En troisième lieu, la circonstance que l'inscription de la taxe sur la valeur ajoutée au passif du bilan de clôture de l'exercice 2017, au titre de la taxe à régulariser, aurait pour origine une omission du service comptable de la société Roger B... Entreprise concernant la déclaration de chiffre d'affaires du mois de juillet 2017 n'est pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de la rectification opérée par l'administration fiscale.
16. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que les rectifications opérées sur le fondement des 2° et 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts sont entachées d'une erreur d'appréciation n'est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.
En ce qui concerne les pénalités :
17. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens des articles L. 211-2 à L. 211-7 du code des relations entre le public et l'administration, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable (...) ".
18. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré de ce que la société Roger B... Entreprise doit être déchargée de la majoration pour manquement délibéré en conséquence du caractère infondé des impositions contestées doit être écarté.
19. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la proposition de rectification adressée le 20 juin 2018 par l'administration fiscale à la société Roger B... Entreprise mentionne les circonstances de droit et de fait ayant conduit à l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts.
20. En dernier lieu, la vérificatrice a constaté que les déclarations de taxe sur le chiffre d'affaires de la société appelante étaient minorées à la clôture de chacun des exercices vérifiés et que cette dernière procédait à une comptabilisation systématique d'une taxe à régulariser. La taxe éludée s'est élevée, pour l'exercice 2017, à 423 627 euros, représentant une minoration de chiffre d'affaires de 38,56 % et incluant une minoration de taxe collectée de 42,74 %. Le service a également relevé l'impossibilité, pour l'entreprise, compte tenu de son activité de prestataire de services, d'ignorer cette situation, qui apparaissait clairement dans ses écritures comptables. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant, eu égard d'ailleurs à la répétition des manquements, dont certains avaient été précédemment relevés dans le cadre d'une procédure de rectification concernant l'exercice 2011, la volonté délibérée d'éluder l'impôt dû. Par suite, le moyen tiré de ce que l'application de la majoration prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts n'est pas justifiée doit être écarté.
21. Il résulte de tout ce qui précède que la société Roger B... Entreprise n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Roger B... Entreprise est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Roger B... Entreprise et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Occitanie.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, où siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur,
Mme Fougères, première conseillère,
Mme Chalbos, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.
Le président-rapporteur,
É. Rey-BèthbéderL'assesseure la plus ancienne
dans l'ordre du tableau,
A. Fougères
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23TL01444 2