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05/06/2025 | FRANCE | N°23TL01671

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 05 juin 2025, 23TL01671


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée Office Experts a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 3 juin 2013 au 31 décembre 2014.



Par un jugement n° 2003230 du 4 avril 2023, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé la décharge de ce complément.



Procédure devant la cour :

Par une requête et d

es mémoires, enregistrés le 11 juillet 2023 et les 26 janvier et 5 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Office Experts a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 3 juin 2013 au 31 décembre 2014.

Par un jugement n° 2003230 du 4 avril 2023, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé la décharge de ce complément.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 11 juillet 2023 et les 26 janvier et 5 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 4 avril 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Office Experts devant le tribunal administratif de Toulouse et de la rétablir au complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui était réclamé.

Il soutient que :

- l'administration apporte la preuve de l'existence d'une libéralité au profit de la société civile immobilière Office Experts, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ;

- le tribunal a commis une erreur de fait en retenant que l'administration avait abouti à une valeur d'usufruit temporaire de 580 000 euros en recourant à quatre méthodes d'évaluation, sans tenir compte du résultat de l'interlocution, laquelle a corrigé une erreur de calcul et a renoncé à recourir à une de ces quatre méthodes ;

- dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, il entend reprendre l'ensemble de ses moyens de première instance.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 décembre 2023 et le 8 mars 2024, la société Office Experts, représentée par Me Boubal, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a considéré que l'administration ne démontrait pas la surévaluation de l'usufruit, dès lors que les méthodes d'évaluation utilisées par le service sont inappropriées ou entachées d'erreur de calcul et que leur combinaison par la moyenne de chacune des méthodes est également inappropriée ;

- les rehaussements relatifs aux frais d'acquisition de l'immeuble sont infondés pour les mêmes raisons, et dès lors que les frais de démembrement sont des charges des fruits donc devant être à la charge de l'usufruitier ;

- les rehaussements relatifs aux intérêts d'emprunt sont infondés pour les mêmes raisons, et dès lors qu'il est normal que les intérêts soient à la charge de l'emprunteuse ;

- les pénalités pour manquement délibérées sont infondées.

Par ordonnance du 5 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 29 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fougères,

- et les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte du 17 juillet 2013, la société à responsabilité limitée Office Experts et la société civile immobilière Office Experts ont acquis, respectivement, l'usufruit pour une durée de quinze ans et la nue-propriété d'un immeuble à usage de bureaux situé 10 rue du Cassé à Saint-Jean (Haute-Garonne) pour un prix de 1 075 000 euros, dont 870 800 euros pour l'usufruit et 204 200 euros pour la nue-propriété. À la suite d'une vérification de comptabilité de la société à responsabilité Office Experts, l'administration fiscale a estimé que l'usufruit acquitté était très supérieur à sa valeur vénale et que cet excédent de prix constituait une libéralité consentie au profit de la société civile immobilière Office Experts, nue-propriétaire. Estimant par ailleurs que certains frais d'acquisition de l'immeuble démembré auraient dû être acquittés par la nue-propriétaire et l'usufruitière en fonction de la quote-part de chacune dans la propriété, le vérificateur a notamment remis en cause le coefficient de déduction de taxe sur la valeur ajoutée appliqué à ces frais, et a notifié à la société à responsabilité limitée Office Experts un complément de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 3 juin 2013 au 31 décembre 2014, mis en recouvrement le 31 juillet 2017 pour un montant de 8 972 euros. Par la présente requête, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel du jugement du 4 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse, saisi par la société à responsabilité limitée Office Experts, a prononcé la décharge de ce complément de taxe sur la valeur ajoutée.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (...). II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ". Aux termes de l'article 205 de l'annexe II à ce code : " La taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert, importe ou se livre à lui-même est déductible à proportion de son coefficient de déduction ". Aux termes de l'article 206 de cette annexe : " I. - Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission. (...) IV. - 1. Le coefficient d'admission d'un bien ou d'un service est égal à l'unité, sauf dans les cas décrits aux 2 à 4. 2. Le coefficient d'admission est nul dans les cas suivants : 1° Lorsque le bien ou le service est utilisé par l'assujetti à plus de 90 % à des fins étrangères à son entreprise (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes (...) ".

4. En cas d'acquisition par des personnes distinctes de l'usufruit temporaire et de la nue-propriété du même bien immobilier, le caractère délibérément majoré du prix payé pour l'acquisition de l'usufruit temporaire par rapport à la valeur vénale de cet usufruit, sans que cet écart de prix ne comporte pour l'usufruitier de contrepartie, révèle, en ce qu'elle conduit à une minoration à due concurrence du prix acquitté par le nu-propriétaire pour acquérir la nue-propriété par rapport à la valeur vénale de celle-ci, l'existence, au profit du nu-propriétaire, d'une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c de l'article 111 du code général des impôts. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre les prix convenus et les valeurs vénales respectives de l'usufruit et de la nue-propriété, d'autre part, s'agissant des parties au démembrement du droit de propriété, de l'intention de l'usufruitier d'octroyer, et pour le nu-propriétaire, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de l'acquisition dudit bien. En l'absence de toute transaction ou de transaction équivalente, l'appréciation de la valeur vénale doit être faite en utilisant les méthodes d'évaluation qui permettent d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où l'acquisition est intervenue. Dans le cas de l'acquisition d'un bien en démembrement de propriété, constitue une telle méthode d'évaluation celle qui définit des prix de la nue-propriété et de l'usufruit tels qu'ils offrent le même taux de rendement interne de l'investissement pour l'usufruitier et le nu-propriétaire.

5. Il résulte de l'instruction que le service, pour établir l'existence d'une libéralité octroyée par la société à responsabilité Office Experts, usufruitière, à la société civile immobilière Office experts, nue-propriétaire, s'est initialement fondé sur quatre méthodes d'évaluation distinctes : la méthode par actualisation des flux financiers futurs, la méthode de valorisation de l'usufruit comme composante de la pleine propriété (dite méthode Aulagnier), la méthode par comparaison et la méthode fiscale applicable aux droits d'enregistrement et à la taxe de publicité foncière prévue à l'article 699 du code général des impôts. Il résulte également de l'instruction qu'à la suite de la saisine de l'interlocuteur inter-régional, cette quatrième méthode a été regardée comme inappropriée par l'administration fiscale, qui l'a abandonnée, et que le calcul de la première méthode a été revu à la hausse. Dans le dernier état de ses écritures, l'administration évalue ainsi l'usufruit à la somme de 654 000 euros, au lieu des 870 800 euros inscrits dans l'acte d'acquisition.

6. S'agissant de la méthode par comparaison, l'administration soutient que l'opération en litige, relative à l'évaluation de l'usufruit d'un bien immobilier professionnel dans une commune de moins de 12 000 habitants de l'agglomération toulousaine, peut être rapprochée du marché de l'usufruit locatif social initié par une société filiale du groupe Nexity, aux motifs que l'intégralité des charges d'entretien et de réparation de l'immeuble est transférée aux entreprises exploitantes et que tous les travaux sont acquittés par l'usufruitier pour une durée moyenne de 15 à 20 ans. Toutefois, en se bornant à produire un tableau faisant référence à trois opérations de valorisation de l'usufruit, pour des valeurs de pleine propriété très inférieures à celle de l'immeuble en cause, lors de l'acquisition, entre le 22 mars 2012 et le 8 juillet 2013, d'immeubles affectés à l'habitation dans les communes de Levallois-Perret (Hauts-de Seine) et de Nice (Alpes-Maritimes) par des sociétés d'habitat à loyer modéré, l'administration n'établit pas que la transaction ponctuelle effectuée par la société à responsabilité limitée Office Experts et la société civile immobilière Office Experts pour l'acquisition de locaux à caractère professionnel, loués à des cabinets d'experts automobiles, présente des caractéristiques intrinsèquement similaires avec celles auxquelles elle a été comparée. Par suite, les différences de caractéristiques entre ces opérations sont de nature à retirer sa pertinence à la méthode comparative suivie, et c'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulouse l'a écartée.

7. S'agissant des méthodes par actualisation des flux de revenus futurs et par valorisation de l'usufruit comme composante de la pleine propriété, et pour obtenir des évaluations de l'usufruit à hauteur respectivement de 843 000 euros et 582 000 euros, l'administration a d'abord réévalué la valeur de la pleine propriété de l'immeuble à la somme de 1 169 698 euros, incluant le prix d'acquisition de 1 075 000 euros auxquels elle a ajouté les frais d'agence, frais de notaire, droits de mutation et frais bancaires. Elle a ensuite retenu un revenu net d'un montant de 87 000 euros, correspondant à la valeur locative non contestée de 110 000 euros dont sont déduites des charges usufructuaires d'un montant de 23 000 euros, pour en déduire un taux de rendement de 7,44 %. Enfin, pour évaluer tant l'évolution du revenu dans le cadre de la première méthode que l'évolution de la valeur de la pleine propriété à l'issue de l'usufruit dans le cadre de la seconde méthode, l'administration a tenu compte d'un taux d'actualisation des loyers de 2 %. La prise en compte de l'ensemble de ces données l'a conduite à évaluer l'usufruit, selon la première méthode, à 843 000 euros et, selon la seconde méthode, à 582 000 euros.

8. Toutefois, d'une part, le service, qui n'a jamais contesté que les baux conclus entre la société à responsabilité limitée Office Experts et les sociétés exploitantes locataires de l'immeuble prévoient la refacturation à ces dernières de l'ensemble des charges usufructuaires, ne justifie pas davantage en appel qu'en première instance que les 23 000 euros de charges refacturées devraient être déduits du revenu, qui doit dès lors être évalué à 110 000 euros. Par voie de conséquence, à supposer même que la valeur de pleine propriété doive être évaluée à 1 169 698 euros comme l'affirme l'administration, le taux de rendement devrait alors être évalué à 9,4 % (110 000 / 1 169 698) et non à 7,44 % (87 000 / 1 169 698). À cet égard, dès lors qu'il n'est ni soutenu ni a fortiori établi que la refacturation des charges aux sociétés locataires serait elle-même constitutive d'un acte anormal de gestion, la seule circonstance que le taux retenu par l'administration soit plus proche des taux de 6 à 8 % relevés par le rapport établi par le cabinet d'expertise Oumehdi versé au dossier, n'est pas de nature à remettre en cause le taux de 9,4 % résultant de l'application des données propres aux entreprises concernées.

9. D'autre part, si l'administration a tenu compte, ainsi qu'il a été dit au point 6, d'un taux d'actualisation des loyers de 2 %, il ressort toutefois de ses calculs, comme le fait valoir à bon droit l'intimée, que ce taux a été pris en compte uniquement au numérateur des deux formules, sans modification corrélative du taux de rendement figurant au dénominateur de celles-ci. Dès lors, ces évaluations reposent sur des termes de calcul non homogènes qui ont pour effet de surestimer la valeur de la nue-propriété et de sous-estimer la valeur de l'usufruit, ce qui ressort d'ailleurs clairement de la différence d'évaluation de l'usufruit de plus de 300 000 euros entre les deux méthodes, qui sont pourtant complémentaires et devraient, mathématiquement, conduire à des résultats proches.

10. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulouse a considéré que l'administration fiscale n'établissait pas la réalité d'un écart significatif entre la valeur vénale de l'usufruit et la valeur de 870 800 euros retenue dans l'acte d'acquisition de l'immeuble.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société à responsabilité limitée Office Experts au titre de la période du 3 juin 2013 au 31 décembre 2014.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à la société Office Experts de la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.

Article 2 : L'État versera une somme de 500 euros à la société Office Experts sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société à responsabilité limitée Office Experts.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Occitanie.

Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Lafon, président-assesseur,

Mme Fougères, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.

La rapporteure,

A. Fougères

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL01671


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01671
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Bénéfices industriels et commerciaux - Détermination du bénéfice net - Acte anormal de gestion.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Procédure de taxation - Procédure de rectification (ou redressement).


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: Mme Aurore Fougères
Rapporteur public ?: Mme Restino
Avocat(s) : BOUBAL

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-05;23tl01671 ?
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