Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier, par une requête enregistrée sous le n° 2201077, d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Aude a implicitement rejeté sa demande, présentée par une lettre du 4 novembre 2021, tendant à la mise en œuvre de l'article 40 du code de procédure pénale. Par une seconde requête enregistrée sous le n° 2201076, Mme A... a également demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État à lui verser différentes indemnités en réparation des préjudices moral et matériels qu'elle estime avoir subis du fait de l'expulsion de son logement dans le cadre du concours de la force publique accordé par le préfet de l'Aude par une décision du 7 mai 2021, ces sommes devant être assorties des intérêts au taux légal capitalisés.
Par deux jugements rendus sous les n°s 2201076 et 2201077 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 16 décembre 2023 et les 25 mars et 14 avril 2025, sous le n° 23TL02948, Mme A..., représentée par Me George, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2201077 du 13 juin 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Aude a implicitement rejeté sa demande tendant à la mise en œuvre l'article 40 du code de procédure pénale ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aude de saisir le procureur de la République pour l'informer de la situation portée à sa connaissance sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale.
Elle soutient que, compte tenu de l'ensemble des éléments dont il disposait dans le cadre de la demande de concours de la force publique dont il était saisi, lesquels étaient de nature à caractériser le recel successoral commis par la compagne de son défunt père au préjudice de ses droits successoraux en qualité d'héritière réservataire, le refus du préfet de l'Aude de mettre en œuvre l'article 40 du code de procédure pénale est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2025, le ministre d'État, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 18 octobre 2023, rectifiée par une décision du même jour, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par une ordonnance du 17 avril 2025, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 3 juin 2025, à 12 heures.
II. Par une requête et trois mémoires, enregistrés le 16 décembre 2023 et les 25 mars, 14 et 16 avril 2025, sous le n° 23TL02949, Mme A..., représentée par Me Georges, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2201076 du 13 juin 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner l'État à lui verser une indemnité globale de 664 478,36 euros, à parfaire, s'agissant de la perte de valeur vénale de l'immeuble, en réparation des préjudices moral et matériels qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du préfet de l'Aude du 7 mai 2021 accordant le concours de la force publique en vue de son expulsion de l'immeuble qu'elle occupe et de l'illégalité de la décision du préfet refusant implicitement de saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, cette somme devant être majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande préalable formée le 4 novembre 2021 et de leur capitalisation.
Elle soutient que :
- elle a été victime de faits de recel successoral commis par la compagne de son père décédé et détient une créance successorale à l'encontre de cette dernière, laquelle a organisé son insolvabilité afin d'échapper au paiement de cette créance ; la matérialité de ces faits a été reconnue par l'autorité judiciaire ;
- le préfet de l'Aude a commis une illégalité fautive en s'abstenant de transmettre un signalement au procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ;
- le préfet a également commis une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'État en prenant la décision illégale d'accorder le concours de la force publique à la compagne de son défunt père afin qu'il soit procédé à son expulsion du bien immobilier qu'elle occupe, sans tenir compte de l'intention abusive et frauduleuse de cette dernière de contourner les obligations d'une précédente décision de justice la condamnant pour des faits de recel successoral commis à son préjudice ;
- en accordant illégalement le concours de la force publique en vue de procéder à son expulsion de l'immeuble qu'elle occupe, le préfet de l'Aude a commis une faute dans la mission dont il est investi de préserver l'ordre public et porté atteinte à son droit de propriété tel que protégé par l'article 1er du protocole additionnel n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à la créance successorale qu'elle détient contre la compagne de son défunt père ;
- elle a subi des préjudices directement en lien avec les agissements fautifs de l'État dont elle est fondée à obtenir la réparation par le versement des indemnités suivantes, à parfaire :
* 532 759,91 euros correspondant à la créance successorale dont elle est créancière à l'égard de la compagne de son défunt père et dont le montant a été aggravé tant par l'octroi du concours de la force publique que par l'abstention fautive du préfet de l'Aude à transmettre un signalement au procureur de la République compétent sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ;
* 20 000 euros au titre de son préjudice moral ;
* 3 027,09 euros au titre des préjudices matériels liés à l'expulsion ;
* 48 469,83 euros, à parfaire, au titre de l'indemnité d'occupation dont est débitrice sa mère envers la compagne de son défunt père ;
* 50 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de l'immeuble.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2025, le ministre d'État, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la décision implicite par laquelle le préfet de l'Aude a refusé de saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale sont irrecevables dès lors que le contentieux n'a pas été lié, la demande préalable du 4 novembre 2021 ne portant que sur les préjudices résultant de l'illégalité fautive entachant la décision octroyant le concours de la force publique en vue de son expulsion ;
- le représentant de l'État, saisi d'une demande en ce sens, est tenu de prêter le concours de la force publique en vue de l'exécution des décisions de justice ayant force exécutoire ; en l'absence de considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou de circonstances postérieures à la décision de justice ordonnant l'expulsion de Mme A... du logement qu'elle occupe sans droit ni titre depuis le 13 février 2013 de nature à caractériser une atteinte à la dignité humaine, le préfet de l'Aude n'a commis aucune illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'État en accordant le concours de la force et en refusant implicitement d'aviser le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ;
- en vertu du principe d'exception d'illégitimité, Mme A... n'est pas fondée à se prévaloir des préjudices qui ne sont que la conséquence directe et exclusive de la situation irrégulière dans laquelle elle s'est elle-même placée ;
- il n'existe pas de lien de causalité direct et certain entre la faute et les dommages invoqués dont la matérialité n'est pas établie.
Par une décision du 18 octobre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle auprès du tribunal judiciaire de Toulouse a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à Mme A....
Par une ordonnance du 17 avril 2025, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 3 juin 2025 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- la loi du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme El Gani-Laclautre, première conseillère,
- et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 2 novembre 2015, confirmé sur ce point par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 19 décembre 2019, le tribunal d'instance de Carcassonne a ordonné l'expulsion de Mme A... de la maison où elle résidait à Alet-les-Bains (Aude), appartenant à la compagne de son père décédé le 3 juin 1992. Un commandement de quitter les lieux a été signifié à Mme A... le 10 juin 2020. Saisi le 25 septembre 2020, après qu'un procès-verbal de tentative d'expulsion a été dressé le 23 septembre, le préfet de l'Aude a, par une décision du 7 mai 2021, accordé, à compter du 1er juin 2021, le concours de la force publique afin de faire procéder à l'expulsion de Mme A... du logement qu'elle occupe. Par un courrier du 4 novembre 2021, Mme A... a saisi le préfet de l'Aude d'une demande tendant à la mise en œuvre de l'article 40 du code de procédure pénale et d'une demande préalable indemnitaire tendant à la réparation de ses préjudices qu'elle impute à l'illégalité fautive entachant la décision d'octroi du concours de la force publique. Le silence gardé par l'administration pendant plus de deux mois sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Mme A... relève appel du jugement du 13 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté, d'une part, sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de l'Aude a implicitement refusé de saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale et, d'autre part, sa demande tendant à condamner l'Etat à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité fautive entachant dernière cette décision ainsi que la décision accordant le concours de la force publique en vue de son expulsion.
Sur la jonction :
2. Les requêtes n°s 23TL02948 et 23TL02949, présentées par Mme A..., présentent à juger des questions connexes. Il y a lieu, dès lors, de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 23TL02948 :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 40 du code de procédure pénale : " Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1. Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ".
4. En vertu de ces dispositions, il appartient à l'autorité administrative d'aviser le procureur de la République des faits dont elle a connaissance dans l'exercice de ses attributions, si ces faits lui paraissent suffisamment établis et si elle estime qu'ils portent une atteinte suffisamment caractérisée aux dispositions dont elle a pour mission d'assurer l'application dès lors, notamment, que la méconnaissance de ces dispositions est constitutive d'un crime ou d'un délit.
5. Par son courrier du 4 novembre 2021, Mme A... a demandé au préfet de l'Aude d'aviser sans délai le procureur de la République de l'ensemble du dossier par lequel ses services ont été saisis d'une demande de concours de la force publique pour l'exécution de la décision de justice ordonnant son expulsion du logement qu'elle occupe. Elle y indique s'estimer victime et lésée, par le comportement de la propriétaire de ce bien, compagne de son père décédé, qu'elle estime coupable de recel successoral, d'enrichissement illégal et de fraude paulienne à son égard en ayant organisé son insolvabilité et en persistant à s'affranchir de précédentes décisions de justice ayant retenu à son encontre des faits de recel successoral.
6. Il ressort des pièces du dossier que les faits dénoncés par Mme A... sont liés à un contentieux successoral sur lequel le juge civil s'est prononcé le 26 février 1998. Les faits de recels successoraux commis à son encontre ont bien été retenus par le juge judiciaire à cette date sans que Mme A... ait, ensuite, choisi de déposer une plainte au pénal ou de solliciter l'exécution forcée des décisions du juge civil rendues en sa faveur. Si les éléments adressés au préfet décrivent le contexte successoral et les difficultés auxquelles Mme A... est confrontée dans le règlement de la succession de son défunt père pour recouvrer les sommes qui lui reviennent, ils se rapportent à un litige civil entre deux personnes privées et ne sont pas suffisants pour établir que l'autorité préfectorale aurait eu connaissance de faits graves de nature à porter une atteinte suffisamment caractérisée aux dispositions dont elle a pour mission d'assurer l'application et susceptibles, notamment, de recevoir la qualification pénale de crime ou de délit ainsi que l'exigent les dispositions précitées de l'article 40 du code de procédure pénale. Par suite, le préfet de l'Aude n'a pas entaché sa décision d'une erreur de droit ni d'une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant d'aviser le procureur de la République du litige successoral opposant Mme A... à la compagne de son défunt père.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
7. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation de la décision contestée, n'implique aucune mesure d'exécution au titre des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrtaive. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A... doivent être rejetées.
Sur la requête n° 23TL02949 :
En ce qui concerne l'illégalité fautive entachant la décision accordant le concours de la force publique :
8. Aux termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation ".
9. Toute décision de justice ayant force exécutoire peut donner lieu à une exécution forcée, la force publique devant, si elle est requise, prêter main forte à cette exécution. Toutefois, des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire d'expulsion telles que l'exécution de celle-ci serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique. En cas d'octroi de la force publique il appartient au juge de rechercher si l'appréciation à laquelle s'est livrée l'administration sur la nature et l'ampleur des troubles à l'ordre public susceptibles d'être engendrés par sa décision ou sur les conséquences de l'expulsion des occupants compte tenu de la survenance de circonstances postérieures à la décision de justice l'ayant ordonné, n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. Il est constant que le préfet de l'Aude a été saisi d'une décision de justice, ayant force exécutoire, ordonnant l'expulsion de Mme A... de la maison située à Alet-les-Bains, appartenant à la compagne de son défunt père, qu'elle occupait sans droit ni titre. Si Mme A... soutient que le préfet aurait dû s'abstenir de prêter le concours de la force publique à l'exécution de cette décision de justice compte tenu, notamment, de l'importance des sommes que lui doit la propriétaire dans le règlement de la succession de son défunt père, et qu'en permettant son expulsion l'autorité préfectorale aurait obéré ses chances d'en obtenir le recouvrement, les circonstances ainsi invoquées ne sont toutefois pas susceptibles, à elles seules, de caractériser un risque manifeste de trouble à l'ordre public ou une atteinte à la dignité de la personne humaine.
11. Ainsi, la décision du préfet de l'Aude le 7 mai 2021 ne procède pas d'une erreur manifeste d'appréciation, et n'est dès lors pas entachée d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'État.
En ce qui concerne l'illégalité fautive entachant la décision par laquelle préfet de l'Aude a implicitement refusé d'aviser le procureur de la République :
12. Le refus implicite du préfet de l'Aude de saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale n'étant, pour les motifs mentionnés aux points 3 à 6, pas entaché d'illégalité, les conclusions à fin d'indemnisation présentées par Mme A..., tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute de l'État, doivent être rejetées.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense par le ministre de l'intérieur tirée de l'absence de liaison du contentieux s'agissant des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait du refus implicite de saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
DÉCIDE :
Article 1 : Les requêtes n°s 23TL02948 et 23TL02949 de Mme A... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de l'Aude.
Délibéré après l'audience du 10 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. Frédéric Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2025.
La rapporteure,
N. El Gani-LaclautreLe président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 23TL02948 - 23TL02949