Vu la requête, enregistrée le 10 août 2012, présentée pour la société SAINT-OUEN LES PARCS, dont le siège est au 174 rue Legendre à Paris (75017), par Me Hanoun, avocat ; la société SAINT-OUEN LES PARCS demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement n° 1106642 du 14 juin 2012 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Ouen à l'indemniser du préjudice causé par la décision de son maire en date du 22 juillet 2008 d'exercer le droit de préemption urbain de la commune sur un bien sis 67 rue Albert Dhalenne, à Saint-Ouen ;
2° de condamner la commune de Saint-Ouen à lui verser la somme de 87 102 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2011 ;
3° de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens ;
Elle soutient que :
- la décision de préemption prise par la commune de Saint-Ouen est entachée d'illégalité externe ; en effet elle est insuffisamment motivée ; elle est en outre irrégulière en raison de son absence de transmission en préfecture, au sens de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, et de l'absence de l'avis du service des domaines ;
- la décision de préemption est également entachée d'illégalité interne, la commune ne disposant d'aucun projet précis et certain sur le bien préempté et la décision étant en outre entachée de détournement de pouvoir ;
- son préjudice s'élève au total à la somme de 87 102 euros, dont il est demandé réparation avec intérêt au taux légal à compter de la demande préalable du 2 mai 2011 ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 février 2014 :
- le rapport de Mme Lepetit-Collin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Delage, rapporteur public,
1. Considérant que, par arrêté en date du 22 juillet 2008, le maire de Saint-Ouen a exercé le droit de préemption urbain de la commune en vue d'acquérir un appartement sis 67 rue Albert Dhalenne à Saint-Ouen, compris dans un bâtiment soumis au régime de la copropriété depuis plus de dix ans ; que, saisi par la société SAINT-OUEN LES PARCS, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé ladite décision par jugement du 4 décembre 2009 ; que la société a ensuite saisi le même tribunal d'une demande tendant à l'indemnisation du préjudice causé par cette illégalité ; qu'elle relève appel du jugement du 14 juin 2012 par lequel le tribunal a rejeté sa demande ;
Sur la responsabilité :
2. Considérant que la décision susvisée du 22 juillet 2008 a été annulée par le jugement susvisé du tribunal administratif de Montreuil devenu définitif, au motif notamment qu'à la date de cette décision, la commune de Saint-Ouen n'établissait pas l'existence d'un projet réel et précis de nature à justifier la préemption litigieuse ; que l'illégalité ainsi commise constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Saint-Ouen à l'égard de la société requérante, ainsi que l'ont à bon droit considéré les premiers juges ;
Sur le préjudice :
En ce qui concerne le caractère direct et certain du préjudice :
3. Considérant que pour considérer que la société requérante n'établissait pas que le préjudice subi du fait de l'illégalité de la décision de préemption du 22 juillet 2008 résultait de façon certaine de la décision de préemption illégale, le tribunal s'est fondé sur la circonstance qu'à la date de la clôture de l'instruction, il ne résultait pas de l'instruction que la condition suspensive figurant dans la promesse de vente du 19 mai 2008, relative à l'obtention par l'acquéreur d'un prêt bancaire sous 45 jours, aurait été levée à la date de la décision de préemption du 22 juillet 2008 ; que toutefois, par un courrier du 1er juillet 2008 dont le caractère probant n'est pas contesté par la commune, l'acquéreur a indiqué avoir obtenu son prêt et a expressément renoncé à la condition suspensive de crédit prévu dans l'avant-contrat signé le 19 mai 2008 ; qu'ainsi la vente doit être regardée comme certaine à la date de la décision de préemption ;
4. Considérant qu'il suit de là que la société requérante est fondée à soutenir que le préjudice qu'elle invoque présente un caractère certain et directement en lien avec la faute commise par la commune ;
En ce qui concerne le montant du préjudice :
5. Considérant que lorsque le propriétaire a cédé le bien après renonciation de la collectivité, son préjudice résulte en premier lieu, dès lors que la réalisation de cette vente était probable, de la différence entre le prix figurant dans cet acte et la valeur vénale du bien à la date de la décision de renonciation ; que pour l'évaluation de ce préjudice, le prix de vente effectif peut être regardé comme exprimant cette valeur vénale si un délai raisonnable sépare la vente de la renonciation, eu égard aux diligences effectuées par le vendeur, et sous réserve que ce prix de vente ne s'écarte pas anormalement de cette valeur vénale ; que le propriétaire placé dans la situation indiquée ci-dessus subit un autre préjudice qui résulte, lorsque la vente initiale était suffisamment probable, de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de disposer du prix figurant dans la promesse de vente entre la date de cession prévue par cet acte et la date de vente effective, dès lors que cette dernière a eu lieu dans un délai raisonnable après la renonciation de la collectivité ; qu'en revanche, lorsque la vente a eu lieu dans un délai ne correspondant pas aux diligences attendues d'un propriétaire désireux de vendre rapidement son bien, quelles qu'en soient les raisons, le terme à prendre en compte pour l'évaluation de ce préjudice doit être fixé à la date de la décision de renonciation ;
6. Considérant, en premier lieu, qu'en raison de l'illégalité fautive commise par la commune de Saint-Ouen, la société a subi un préjudice financier correspondant à la diminution de la valeur de son bien entre le prix figurant dans la promesse de vente et le prix, qui ne s'écarte pas de manière anormale de la valeur vénale à la date d'annulation de la décision de préemption, auquel elle a vendu ledit bien au terme d'un délai raisonnable, eu égard notamment au délai d'appel afférent au jugement d'annulation de la décision de préemption ; qu'il résulte ainsi de l'instruction qu'alors que la société requérante disposait initialement d'une offre d'achat pour la somme de 170 000 euros, elle a finalement vendu son bien pour un montant de 140 000 euros ; qu'il n'y pas lieu de déduire de cette somme les frais d'intermédiaire, lesquels ne constituent pas une charge impérative du vendeur ; que la société requérante justifie donc d'un préjudice afférent à la diminution de valeur vénale s'élevant à la somme de 30 000 euros ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que la société requérante a également subi un préjudice tiré de l'impossibilité de disposer et de tirer profit de la somme qu'elle aurait pu retirer du produit de la vente si celle-ci était intervenue à la date et au prix initialement envisagés, soit 170 000 euros à percevoir à la date du 30 août 2008 ; que la vente ayant été conclue le 18 avril 2011, il a lieu d'appliquer à la somme de 170 000 euros, sur la période écoulée entre le 30 août 2008 et le 18 avril 2011, le taux d'intérêt légal de 3,99 % du 31 août 2008 au 31 décembre 2008, de 3,79 % pour l'année 2009, de 0,65% pour l'année 2010 et de 0,38 % du 1er janvier au 17 avril 2011 ; que, compte tenu de ce calcul, le préjudice tiré de l'indisponibilité du produit de la vente s'élève à 9 918 euros ;
8. Considérant, en troisième et dernier lieu, que s'agissant des impôts locaux que la société a dû acquitter au titre du bien illégalement préempté, ainsi que des charges foncières y afférentes et des frais de portage financier, la société requérante n'établit pas que ces dépenses aient été exposées en vain, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante n'aurait pas conservé la pleine jouissance de ce bien au cours de la période de responsabilité ;
9. Considérant que la société SAINT-OUEN LES PARCS justifie ainsi d'un préjudice qui doit être estimé à la somme totale de 39 918 euros ainsi qu'il a été dit ci-dessus ; que, dès lors, elle est fondée à demander le remboursement par la commune de ladite somme, laquelle portera en outre intérêt au taux légal à compter du 2 mai 2011, date de sa première demande préalable ; que le jugement attaqué du Tribunal administratif de Montreuil doit être réformé dans cette mesure ;
Sur les dépens :
10. Considérant que la présente instance n'ayant pas donné lieu à dépens, les conclusions présentées à ce titre par la requérante ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société SAINT-OUEN LES PARCS et non compris dans les dépens ; qu'en revanche ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société requérante, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la commune de Saint-Ouen au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La commune de Saint-Ouen est condamnée à verser à la société SAINT-OUEN LES PARCS une somme de 39 918 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2011.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil en date du 14 juin 2012 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune de Saint-Ouen versera à la société SAINT-OUEN LES PARCS une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société SAINT-OUEN LES PARCS est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune de Saint-Ouen tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N°12VE03102 2