Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société VIROJANGLOR a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle assise sur cet impôt, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2004, 2005 et 2006. Par un jugement n° 1002761 du 19 mai 2011, dont la société VIROJANGLOR a relevé appel, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 11VE02615 du 19 décembre 2013, contre lequel la société VIROJANGLOR s'est pourvue en cassation, la Cour a rejeté sa demande.
Le Conseil d'État, par une décision n° 375796, 383067 du 15 avril 2016, a annulé l'arrêt de la Cour et lui a renvoyé le jugement de l'affaire.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés le 13 juillet 2011 et les 8 juin 2012 et 23 juillet 2013, complétés après la décision précitée du Conseil d'Etat par deux mémoires enregistrés les 11 juillet et 27 octobre 2016, la société VIROJANGLOR, représentée par Me Lafitan, avocat, demande à la Cour d'annuler le jugement et de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôts maintenus à sa charge au titre des exercices clos en 2004, 2005 et 2006.
Elle soutient que :
- l'indemnité versée par la SOCIETE VIROJANGLOR à son bailleur doit être regardée comme un supplément de loyer déductible, en ce qu'elle démontre que le loyer stipulé au contrat de bail, d'un montant annuel, hors taxe, de 98 650 euros, était très inférieur à la valeur locative réelle des locaux, d'une valeur qui peut être établie à 159 000 euros ; le bailleur avait, à cet égard, obtenu une offre de location voisine d'un loyer annuel de 50 euros par m2, alors que le loyer dont elle s'acquitte s'élève à 35,74 euros par m2 ; de plus, le loyer stipulé est quasiment identique à celui stipulé dans un bail conclu le 1er novembre 1986 par le précédent propriétaire des locaux ;
- elle est fondée à se prévaloir du paragraphe 5 de l'instruction administrative référencée n° 4 C-42 du 30 octobre 1997 qui prévoit que, dans le cas où le loyer commercial a été fixé à un montant inférieur à la valeur locative normale des locaux loués, l'indemnité que le preneur a versé au bailleur, lors de l'entrée en jouissance, doit être regardée comme un supplément de loyer susceptible d'être porté dans les charges de l'entreprise, à condition d'être répartie sur la durée du bail, à concurrence de la différence existant entre la valeur locative réelle du local en cause et le loyer effectivement versé ;
- dans sa réponse à la question écrite n° 13109 présentée par M. le député Philippe Auberger, publiée au journal officiel de la République Française du 4 juillet 1994, le ministre chargé du budget précise que des stipulations contractuelles ne permettent pas, à elles seules, de déterminer le traitement fiscal de l'indemnité en cause ;
- sauf lorsque le loyer n'est pas anormalement bas, un droit d'entrée constitue, en principe, un supplément de loyer ;
- dans sa décision n° 375796, 383067 du 15 avril 2016, le Conseil d'Etat a estimé qu'en jugeant que le droit d'entrée ne pouvait donner lieu à aucun amortissement alors qu'elle l'avait versé en contrepartie de la durée exceptionnelle du bail - douze ans au lieu de neuf habituellement - qui lui a été consentie, et de la renonciation, par le bailleur, à exercer sa faculté de résiliation du bail pendant une durée ferme de six ans, la Cour a commis une erreur de droit ;
- la qualification du droit d'entrée en tant que charge ou élément du coût de revient d'un élément de l'actif immobilisé dépend, non seulement des clauses du bail et de son montant, mais également du caractère normal ou anormal du loyer, ainsi que des avantages effectivement offerts par le propriétaire au-delà du droit de jouissance qui découle du bail ; ainsi, lorsque le montant de ce droit d'entrée, augmenté de celui du loyer, n'excède pas la valeur locative réelle de l'immeuble, il est assimilable à un supplément de loyer déductible ; en l'espèce, le loyer pratiqué était anormalement bas, ainsi qu'en attestent notamment le tableau de bord du marché de l'immobilier émanant de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, l'offre de prise à bail émanant de la société Centravet, ainsi que les autres offres locatives afférentes à des locaux similaires ;
- la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a, par deux fois, les 11 février 2009 et 17 mars 2011, au motif que l'indemnité versée avait la nature d'un complément de loyer, émis des avis défavorables au maintien des rappels d'impositions ;
- le droit d'entrée, d'un montant de 350 000 euros, en ce qu'il constitue, selon le Conseil d'Etat, un élément incorporel de l'actif immobilisé pouvait faire l'objet, en l'espèce, d'un amortissement, contrairement à ce que fait valoir le ministre ; par suite, les annuités d'amortissement déduites de ses bénéfices sont fondées ;
- enfin, si l'administration prétend, dans ses dernières écritures, qu'elle aurait commis délibérément une erreur comptable, elle ne l'établit ni dans son principe, ni dans son montant.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Locatelli, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Coudert, rapporteur public.
1. Considérant que la société VIROJANGLOR a pris à bail, à compter du 1er avril 2004, pour une durée de douze ans renouvelable, des locaux d'une superficie de 2 760 m², comprenant 2400 m² d'entrepôts et 360 m² de bureaux sis 10, avenue Albert Einstein au Blanc-Mesnil, dans le département de la Seine-Saint-Denis ; que le contrat de bail, conclu avec la société Les Fruitiers stipulait, outre un loyer annuel de 98 650 euros hors taxes, le versement, au bailleur, d'une somme de 350 000 euros, qualifiée de " droit d'entrée " ; que la société VIROJANGLOR, après l'avoir comptabilisée en immobilisation incorporelle, a pratiqué un amortissement linéaire sur six ans, correspondant à la période pendant laquelle le bailleur s'engageait, en application des clauses de l'article 11.2 du contrat de bail, à renoncer à sa faculté de le résilier, sous réserve du paiement des loyers ; que l'administration, estimant que ce " droit d'entrée " devait être regardé comme un élément incorporel inscrit à l'actif du bilan qui ne pouvait donner lieu à aucun amortissement, a remis en cause la déduction des annuités d'amortissement ainsi pratiquées par la société VIROJANGLOR, notamment au titre des années 2004 à 2006 ; que, par un jugement du 19 mai 2011, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle assise sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie en conséquence du rehaussement de ses bases imposables ; que, par un arrêt du 19 décembre 2013, contre lequel la société VIROJANGLOR s'est pourvue en cassation, la Cour a confirmé les rappels d'impôts et rejeté la requête de l'appelante ; que, toutefois, par une décision du 15 avril 2016, le Conseil d'État, après avoir relevé que la Cour n'avait pas recherché si certains des éléments du " droit d'entrée " litigieux ne pouvaient faire l'objet d'un amortissement alors qu'il résultait du contrat de bail que la somme de 350 000 euros avait été versée, notamment en contrepartie de la renonciation du bailleur à exercer sa faculté de résiliation du bail pendant six ans sur les douze qu'il comportait, avantage indépendant du caractère renouvelable du contrat et dont les effets bénéfiques sur l'exploitation cesseraient à une date prévisible, a annulé l'arrêt de la Cour et lui a renvoyé le jugement de l'affaire ;
Sur le bien-fondé des impositions résultant de la réintégration des dotations aux amortissements :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 38 du code général des impôts, dont les dispositions sont applicables à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation./ 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés./ " ; qu'aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1°) Les frais généraux de toute nature, (...) le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire (...) / 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation (...) " ;
3. Considérant que, pour déterminer si une indemnité versée par le preneur au bailleur est une charge de loyer déductible ou le prix d'acquisition d'éléments incorporels de fonds de commerce ou relève pour partie de l'une ou l'autre de ces catégories, il y a lieu de tenir compte, non seulement des clauses du bail et du montant de l'indemnité stipulée mais aussi du niveau normal de loyer correspondant au local, ainsi que des avantages effectivement offerts par le propriétaire en sus du droit de jouissance qui découle du contrat de bail ; que, pour porter cette appréciation, il convient de se placer à la date où l'indemnité litigieuse a été stipulée ; que lorsque cette indemnité ressortit, partiellement ou en totalité, à un élément incorporel de l'actif immobilisé, cet élément d'actif ne peut faire l'objet d'une dotation annuelle à un compte d'amortissements que s'il est normalement prévisible, dès sa création ou son acquisition, que ses effets bénéfiques sur l'exploitation de l'entreprise prendront fin à une date déterminée ; que, lorsque tel n'est pas le cas, l'entreprise peut seulement constituer à la clôture de chaque exercice, comme pour tout autre élément d'actif, une provision pour dépréciation correspondant à la différence entre la valeur comptable de l'élément d'actif et sa valeur probable de réalisation ;
4. Considérant que c'est volontairement, au vu des clauses stipulées à l'article 11.2 du contrat de bail, que la société VIROJANGLOR a immobilisé le " droit d'entrée " et l'a amorti à raison du sixième de son montant par exercice vérifié et ainsi estimé que le versement de la somme de 350 000 euros constituait, dans son intégralité, la contrepartie de l'acquisition d'un élément d'actif incorporel amortissable, correspondant à l'avantage contractuel constitué par la renonciation du propriétaire à résilier le bail sur la moitié de sa durée, laquelle courait elle-même avantageusement sur une période anormalement longue de douze années, dont les effets bénéfiques sur l'exploitation se produiraient sur une période prévisible prenant fin à l'ouverture de la septième année du bail ; que, dans la mesure où l'administration n'a pas remis en cause cette qualification, mais seulement la possibilité d'amortir cet élément d'actif et où elle ne se prévaut de la commission d'aucune erreur comptable rectifiable quant à la comptabilisation de cette somme, la société VIROJANGLOR ne saurait utilement soutenir qu'elle présentait le caractère d'un supplément de loyer - qui, pour le preneur, a la nature d'une charge d'exploitation, non amortissable par construction - et non celui d'une dépense ayant pour contrepartie un accroissement de l'actif, dont il s'agit uniquement de savoir s'il pouvait faire l'objet d'un amortissement annuel sur une durée normalement prévisible ou seulement d'une provision pour dépréciation, ainsi qu'il a été rappelé au point précédent ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des stipulations précitées de l'article 11.2 du contrat de bail, que la somme de 350 000 euros a été versée en contrepartie, non seulement de la durée exceptionnelle de douze années du bail initial tacitement reconductible, mais aussi de la renonciation du bailleur à sa faculté de résiliation pendant six ans ; qu'ainsi, les effets bénéfiques de ce dernier avantage, indépendant du caractère renouvelable du bail, devaient, dès sa constitution, prendre fin à une date prévisible, à l'ouverture de la septième année du contrat de bail ; que, par suite, il était amortissable sur une durée de six ans ; que, compte tenu de sa nature et en l'absence d'autre précision apportée par la société requérante, la valeur de cet avantage sera fixée, par une juste appréciation, à la somme de 175 000 euros ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société VIROJANGLOR est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté la moitié de sa demande en décharge des suppléments d'impôt auxquels elle a été assujettie, en droits et intérêts de retard, au titre des exercices clos en 2004, 2005 et 2006 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat, le versement, à la société VIROJANGLOR, d'une somme de 2 000 euros, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La base d'imposition à l'impôt sur les sociétés de la société VIROJANGLOR est réduite à hauteur de 24 306 euros pour l'exercice clos en 2004, et de 29 167 euros pour les exercices clos en 2005 et 2006.
Article 2 : La société VIROJANGLOR est déchargée de la moitié des rappels d'impôts et intérêts de retard mis à sa charge au titre des exercices clos en 2004, 2005 et 2006.
Article 3 : Le jugement n° 1002761 du Tribunal administratif de Montreuil, en date du 19 mai 2011, est réformé en ce qu'il à de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la société VIROJANGLOR une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société VIROJANGLOR est rejeté.
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N° 16VE01184