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14/03/2017 | FRANCE | N°15VE01529

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 14 mars 2017, 15VE01529


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société parisienne de canalisations (SPAC) a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler les décisions du 5 décembre 2011 et du 22 février 2012 par lesquelles l'inspectrice du travail de la 11ème section des Hauts-de-Seine lui a enjoint de retirer les dispositions de l'article 14 de son projet de règlement intérieur relatives au contrôle de l'usage de substances stupéfiantes, ensemble la décision du 22 juin 2012 par laquelle le directeur régional de la concurrence, de la consommati

on, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France a confirmé ces déc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société parisienne de canalisations (SPAC) a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler les décisions du 5 décembre 2011 et du 22 février 2012 par lesquelles l'inspectrice du travail de la 11ème section des Hauts-de-Seine lui a enjoint de retirer les dispositions de l'article 14 de son projet de règlement intérieur relatives au contrôle de l'usage de substances stupéfiantes, ensemble la décision du 22 juin 2012 par laquelle le directeur régional de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France a confirmé ces décisions et lui a en outre enjoint de modifier ou de retirer certaines dispositions de l'article 14 relatives au contrôle de l'alcoolémie et de modifier les dispositions de l'article 5 relatives à la fouille des effets personnels des salariés.

Par un jugement n° 1206719 du 19 mars 2015, le Tribunal administratif de

Cergy-Pontoise a annulé la décision du 22 juin 2012 en tant qu'elle enjoint la modification du règlement intérieur dans ses dispositions relatives aux contre-expertises et dans ses dispositions relatives à la préservation de la dignité et de l'intimité des personnes concernées par les vérifications des casiers et effets personnels. Le Tribunal a rejeté le surplus des conclusions de la société.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 19 mai 2015, le 8 juin 2015, le 1er juillet 2015, le 27 octobre 2015 et le 18 janvier 2017, la société parisienne de canalisations (SPAC), représentée par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à ses demandes ;

2° d'annuler les décisions de l'inspectrice du travail de la 11ème section des Hauts-de-Seine du 5 décembre 2011 et du 22 février 2012 et du DIRECCTE d'Ile-de-France du 22 juin 2012 ;

3° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- les décisions attaquées sont insuffisamment motivées ;

- le règlement intérieur peut légalement comporter des mesures de dépistage de consommation d'alcool ou d'autres substances stupéfiantes dès lors que ces mesures concernent l'ensemble des personnels intervenant sur les chantiers et carrières et comme tels, exposés à des risques spécifiques ;

- le règlement intérieur peut légalement prévoir le recours à un test salivaire pour dépister l'usage de stupéfiants, y compris de manière inopinée, sans en réserver l'usage au médecin du travail.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guibé,

- les conclusions de Mme Orio, rapporteur public,

- et les observations MeA..., substituant Me Le Prado, pour la SPAC.

1. Considérant que, par décisions du 5 décembre 2011 et du 22 février 2012, l'inspectrice du travail de la 11ème section d'inspection des Hauts-de-Seine a enjoint à la société parisienne de canalisations (SPAC), qui a pour activité la construction et l'entretien des infrastructures de transport d'eau et d'énergie, de modifier certaines mentions de son projet de règlement intérieur, s'agissant de l'article 14 relatif au dépistage de l'usage de substances stupéfiantes ; que, par une décision du 22 juin 2012 rendue sur recours hiérarchique de la société, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France a confirmé ces décisions et les a complétées en demandant le retrait d'autres mentions du même article de ce règlement, relatives au dépistage d'alcoolémie, et la modification de l'article 5 du règlement, relatif aux vérifications des casiers et effets personnels des salariés ; que la SPAC demande l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 19 mars 2015 en tant qu'il a partiellement rejeté ses conclusions à fin d'annulation de ces trois décisions ;

2. Considérant que les moyens soulevés par la SPAC dans sa requête sommaire tirés de ce que le jugement et les décisions attaquées sont insuffisamment motivés, qui n'ont pas été repris dans ses mémoires complémentaires, sont dépourvus de toute précision permettant d'en apprécier le bien-fondé et ne peuvent par suite qu'être écartés ;

3. Considérant que la SPAC ne développe aucun autre moyen à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation du jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à sa demande d'annulation de l'injonction du DIRECCTE de modifier l'article 5 de son projet de règlement intérieur, relatif aux vérifications des casiers et effets personnels des salariés ; que ces conclusions ne peuvent par suite qu'être rejetées ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1121-1 du code du travail : " Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché " ; qu'aux termes de l'article L. 1321-1 du code du travail : " Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : / 1° les mesures d'application de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 1321-3 du même code : " (...) Le règlement intérieur ne peut contenir : (...) / 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 4121-1 du même code : " I. - L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (...) " ; qu'aux termes de son article L. 4122-1 : " Conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d'en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail " ; qu'enfin, aux termes de l'article R. 4228-20, dans sa rédaction alors applicable : " Aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n'est autorisée sur le lieu de travail " ;

En ce qui concerne le contrôle de l'usage de substances stupéfiantes :

5. Considérant que l'article 14.1 du règlement intérieur de la SPAC prévoit que les salariés intervenant sur les chantiers ou les carrières peuvent faire l'objet d'un dépistage de substances ou plantes classées comme stupéfiants lorsque leur état ou leur comportement laisse supposer qu'ils sont sous l'emprise d'un stupéfiant ; que l'article 14.2 prévoit que le test, qui prend la forme d'un test salivaire ou de tout autre procédé recommandé ou utilisé par les pouvoirs publics, est réalisé par un médecin du travail ou, en cas d'indisponibilité de ce dernier, par un responsable hiérarchique habilité ;

6. Considérant qu'un tel test salivaire de détection immédiate de produits stupéfiants a pour seul objet de révéler, par une lecture instantanée, l'existence d'une consommation récente de substance stupéfiante ; qu'il ne revêt pas le caractère d'un examen de biologie médicale au sens des dispositions de l'article L. 6211-1 du code de la santé publique et n'est donc pas au nombre des actes qui, en vertu des dispositions de son article L. 6211-7, doivent être réalisés par un biologiste médical ou sous sa responsabilité ; qu'aucune règle ni aucun principe ne réservent le recueil d'un échantillon de salive à une profession médicale ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 4622-2 du code du travail : " les services de santé au travail ont pour mission exclusive d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. A cette fin, ils : (...) 2° Conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin (...) de prévenir la consommation d'alcool et de drogue sur le lieu de travail " ; que l'article L. 4622-3 du même code dispose que " Le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif. Il consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d'hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé, ainsi que tout risque manifeste d'atteinte à la sécurité des tiers évoluant dans l'environnement immédiat de travail " ; que, compte tenu de l'obligation qui incombe à l'employeur, en vertu des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail, d'assurer la sécurité et la santé des salariés dans l'entreprise, un règlement intérieur peut légalement prévoir que des tests de détection de produits stupéfiants soient réalisés par le médecin du travail à la demande de l'employeur afin de prévenir un risque particulier pour le salarié ou pour les tiers ; que, toutefois, la mise en oeuvre d'un test salivaire n'ayant pas pour objet d'apprécier l'aptitude médicale des salariés à exercer leur emploi, un tel contrôle peut également être effectué par l'employeur lui-même ;

8. Considérant que les salariés de la SPAC intervenant sur un chantier ou une carrière sont placés dans une situation particulière de danger et de risque pour leur santé et leur sécurité et celles des autres personnes concernées par leurs actes ou leurs omissions au travail, liée à la présence et la circulation d'engins dangereux tels que broyeurs et concasseurs, aux travaux en hauteur et aux fouilles ; que, compte tenu de ce risque particulier, de l'obligation qui incombe à l'employeur d'assurer la sécurité et la santé des salariés dans l'entreprise, de l'obligation pour l'employeur et le supérieur hiérarchique qui pratique le test de respecter le secret professionnel sur ses résultats, et en l'absence d'une autre méthode qui permettrait d'établir directement l'incidence d'une consommation de drogue sur l'aptitude à effectuer une tâche, les dispositions litigieuses du projet de règlement intérieur de la SPAC ne portent pas aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives une atteinte disproportionnée par rapport au but recherché ; qu'ainsi, elles ne méconnaissent pas les dispositions des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que les décisions attaquées enjoignant le retrait des dispositions de son règlement intérieur relatives au contrôle de l'usage de stupéfiants sont entachées d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ;

En ce qui concerne les mesures de contrôle de l'alcoolémie :

10. Considérant que l'article 14.1 du règlement intérieur de la SPAC prévoit que les salariés intervenant sur les chantiers ou les carrières dont l'état ou le comportement laisse supposer qu'ils sont en état d'ivresse peuvent faire l'objet d'un test d'alcoolémie ; que l'article 14.2 prévoit que le test, qui prend la forme d'un éthylotest, est réalisé par un médecin du travail ou, en cas d'indisponibilité de ce dernier, par un responsable hiérarchique habilité ; que l'atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles apportée par ces dispositions est justifiée par la situation particulière de danger et de risque pour la santé et la sécurité des salariés intervenant sur un chantier ou une carrière qui sont exposés, ainsi qu'il vient d'être dit, à une situation particulière de danger et de risque, liée à la présence et la circulation d'engins dangereux tels que broyeurs et concasseurs, aux travaux en hauteur et aux fouilles, et qui concerne aussi bien les conducteurs d'engins ou de machines que les salariés à pied ; que cette atteinte est proportionnée au but de sécurité recherché ; que, par ailleurs, le règlement intérieur pouvait légalement prévoir que l'éthylotest soit pratiqué par le médecin du travail à la demande de l'employeur afin de prévenir le risque identifié ; que, par suite, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le DIRECCTE a demandé la modification de l'article 14-1 du règlement intérieur sur ce point ;

11. Considérant que l'article 14.3 prévoit également la possibilité pour l'employeur de réaliser des contrôles inopinés sur le personnel concerné ; que ces dispositions ont pour objet de prévenir la manifestation des dangers et des risques particuliers auxquels sont exposés les salariés et leur entourage intervenant sur un chantier ou une carrière ; que ces restrictions sont dès lors justifiées et proportionnées au but de sécurité recherché ; que, par suite, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le DIRECCTE a demandé le retrait des dispositions de l'article 14-3 du règlement intérieur sur ce point ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SPAC est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise n'a que partiellement fait droit à ses conclusions tendant à l'annulation des décisions de l'inspectrice du travail et du DIRECCTE en tant qu'elles portent sur les dispositions de l'article 14 de son projet de règlement intérieur ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SPAC et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les décisions des inspectrices du travail des Hauts-de-Seine du 5 décembre 2011 et du 22 février 2012 sont annulées.

Article 2 : La décision du directeur régional de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France du 22 juin 2012 est annulée en tant qu'elle enjoint à la société parisienne de canalisations de modifier ou de retirer certaines dispositions de l'article

14 de son règlement intérieur.

Article 3 : Le jugement n°1206719 du 19 mars 2015 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la société parisienne de canalisations une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

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N° 15VE01529


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 15VE01529
Date de la décision : 14/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Santé publique - Lutte contre les fléaux sociaux - Lutte contre l'alcoolisme.

Santé publique - Lutte contre les fléaux sociaux - Lutte contre la toxicomanie.


Composition du Tribunal
Président : Mme BORET
Rapporteur ?: Mme Céline GUIBÉ
Rapporteur public ?: Mme ORIO
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2017-03-14;15ve01529 ?
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