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23/05/2019 | FRANCE | N°18VE03667

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 23 mai 2019, 18VE03667


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 5 janvier 2011 par laquelle le directeur du courrier des Hauts-de-Seine de La Poste lui a infligé la sanction de l'exclusion temporaire d'un an dont trois mois avec sursis et de condamner La Poste à lui verser la somme de 15 479,06 euros en réparation du préjudice financier et la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subis du fait de l'intervention de cette décision.

Par un

jugement n° 1101594 du 23 mars 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Ponto...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 5 janvier 2011 par laquelle le directeur du courrier des Hauts-de-Seine de La Poste lui a infligé la sanction de l'exclusion temporaire d'un an dont trois mois avec sursis et de condamner La Poste à lui verser la somme de 15 479,06 euros en réparation du préjudice financier et la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subis du fait de l'intervention de cette décision.

Par un jugement n° 1101594 du 23 mars 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 5 janvier 2011 et a condamné La Poste à l'indemniser de la perte de rémunération subie.

Par un arrêt n° 15VE01605 du 20 juin 2017, la Cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement du 23 mars 2015 et rejeté la demande de M.A....

Par une décision n° 413590 du 25 octobre 2018, le Conseil d'État a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Versailles et renvoyé l'affaire à cette cour.

Procédure antérieure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 22 mai 2015, La Poste, représentée par Me Bellanger, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de mettre à la charge de M. A...le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité étant entaché d'une double insuffisance de motivation et ayant omis de viser une note en délibéré ;

- les faits sur lesquels la décision attaquée se fonde sont matériellement établis par les pièces du dossier ;

- la décision contestée n'a pas porté atteinte à la liberté syndicale ;

- elle n'est pas constitutive d'une discrimination syndicale ;

- elle n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mars 2017, et une note en délibéré du 8 juin 2017, M. B...A..., représenté par Me Rodrigue, avocat, demande à la Cour de confirmer le jugement et de mettre à la charge de La Poste une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A...soutient que :

- les faits sur lesquels la décision attaquée se fonde ne sont pas matériellement établis par les pièces du dossier ; les constats d'huissier ont été réécrits à charge par l'employeur ; l'enquête et le rapport disciplinaire ne sont pas objectifs et ont pour seul objet de l'incriminer ; il n'y a pas eu de séquestration de membres de la direction opérationnelle territoriale courrier (DOTC) 92 ;

- elle est disproportionnée et constitutive de ce fait d'une erreur manifeste d'appréciation

- la décision contestée porte atteinte à la liberté syndicale protégée par de nombreux textes ;

- elle est constitutive d'une discrimination en raison de son engagement syndical.

Un mémoire présenté pour la Poste a été enregistré le 1er juin 2017 ; elle conclut aux mêmes fins que précédemment.

Procédure devant la Cour après renvoi par le Conseil d'Etat :

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2019, M.A..., représenté par Me Fages, avocat, demande à la Cour de confirmer le jugement et de mettre à la charge de La Poste une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par deux mémoires, enregistrés le 8 avril 2019 et le 2 mai 2019, La Poste, représentée par Me Bellanger, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de mettre à la charge de M. A...le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient en outre que :

- la décision du Conseil d'Etat ne fait pas obstacle à ce que les trois griefs sur quatre que la Cour avait jugé non établis, soient jugés établis par le présent arrêt ;

- la décision du Conseil d'Etat confirme le caractère fautif des intrusions ;

- M. A...n'a subi aucun préjudice financier dès lors que ses agissements relevaient d'une sanction proportionnée ; il ne fournit aucun élément sur ses traitements justifiant ce préjudice.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Geffroy,

- les conclusions de Mme Rollet-Perraud, rapporteur public,

- et les observations de Me Bellanger pour La Poste et de Me Fages et Me Rodrigue pour M.A....

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., fonctionnaire titulaire depuis 1996, affecté au sein de l'établissement CC-T de Boulogne-Billancourt de La Poste et détaché permanent du syndicat SUD Poste 92 depuis le mois d'octobre 2009, a fait l'objet, le 5 janvier 2011, d'une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de douze mois dont trois mois avec sursis. Par un jugement du 23 mars 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cette sanction et a condamné La Poste à verser à M. A...une indemnité en réparation de la perte de rémunération qu'il a subie.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Après la première audience publique, qui a eu lieu le 19 janvier 2015, La Poste a adressé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par l'intermédiaire de son avocat, une note en délibéré envoyée par une télécopie enregistrée le 22 janvier 2015 et régularisée le 26 janvier 2015. Les visas du jugement attaqué font mention de cette note antérieure à la seconde audience du 9 mars 2015. Par suite, La Poste n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité par l'omission de viser cette note.

3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Si La Poste soutient que le jugement est entaché d'un défaut de motivation, il ressort des termes mêmes de celui-ci que les premiers juges, qui n'avaient pas à répondre à tous les arguments en défense, ont suffisamment motivé leur jugement au regard des faits reprochés à M. A... les 10, 21 et 28 mai 2010.

Sur la légalité de la décision du 5 janvier 2011 :

4. Aux termes de l'article 66 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 susvisée : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : - l'avertissement - le blâme. Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office. Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans (...) L'exclusion temporaire de fonctions, qui est privative de toute rémunération, peut être assortie d'un sursis total ou partiel. Celui-ci ne peut avoir pour effet, dans le cas de l'exclusion temporaire de fonctions du troisième groupe, de ramener la durée de cette exclusion à moins de un mois. L'intervention d'une sanction disciplinaire du deuxième ou troisième groupe pendant une période de cinq ans après le prononcé de l'exclusion temporaire entraîne la révocation du sursis. En revanche, si aucune sanction disciplinaire, autre que l'avertissement ou le blâme, n'a été prononcée durant cette même période à l'encontre de l'intéressé, ce dernier est dispensé définitivement de l'accomplissement de la partie de la sanction pour laquelle il a bénéficié du sursis ".

5. Il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée le 5 janvier 2011 à M. A...était fondée sur quatre motifs tirés respectivement de ce qu'il s'était introduit sans autorisation dans les établissements de La Poste des Hauts-de-Seine et au siège social entre le 7 et le 28 mai 2010, de ce qu'il avait porté atteinte à la sécurité et à la sûreté des établissements de La Poste le 10, 21 et 28 mai, de ce qu'il avait exercé des contraintes physiques sur le directeur d'établissement d'Asnières le 7 mai 2010 et de ce qu'il avait participé activement à la séquestration d'agents le 10 mai 2010.

6. Toutefois, en premier lieu, la matérialité des contraintes physiques exercées par M. A... sur la personne du directeur d'établissement d'Asnières lors d'une occupation des locaux le 7 mai 2010 ainsi que lors de son trajet au supermarché, n'est pas établie, celui-ci ayant pu se rendre au supermarché et n'ayant pas été physiquement empêché par M.A.... Les premiers juges pouvaient à bon droit estimer que la décision attaquée ne pouvait légalement être fondée sur de tels motifs.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, que si le procès-verbal rédigé par un huissier mandaté par l'employeur mentionne que, le 10 mai 2010, une trentaine de grévistes, dont M. A..., ont fait intrusion, par la force, dans les locaux de la direction opérationnelle des Hauts-de-Seine de La Poste située à Nanterre, et, qu'à cette occasion, les grévistes ont bloqué les ascenseurs et les escaliers et ont ainsi fait obstacle à ce que le personnel de la direction des ressources humaines puisse quitter le bâtiment de 18h30 à 21h00, toutefois il n'est pas établi que M. A...aurait personnellement participé à l'action consistant à bloquer ces escaliers. D'ailleurs, M. A...a été relaxé des poursuites engagées contre lui, sa participation à la séquestration n'ayant pas été regardée comme établie par un arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 28 février 2013. Ainsi le motif tenant à la participation active de M. A...à des faits de séquestration le 10 mai 2010 est par conséquent fondé sur des faits matériellement inexacts. La Poste n'est donc pas fondée à se plaindre de ce que les premiers juges ont estimé que la décision attaquée ne pouvait être fondée sur la " participation active à la séquestration du 10 mai 2010 ".

8. En troisième lieu, la Poste n'établit pas en quoi la présence de M.A..., à elle-seule, aurait été de nature à constituer une atteinte à la sécurité et à la sûreté des établissements de la Poste les 10 mai, 21 mai et 28 mai 2010 ou à caractériser un comportement ayant mis en danger la vie des salariés le 28 mai 2010 au siège social de la Poste.

9. En quatrième lieu, toutefois, la décision attaquée est fondée sur le motif tiré de l'intrusion de M. A...dans les établissements de la Poste des Hauts-de-Seine et du siège social entre le 7 mai et le 28 mai 2010. La Poste fournit la liste précise des jours et heures de ces intrusions, qui ont consisté à entrer, par la force, en groupe et sans autorisation dans des locaux en vue de s'adresser aux personnels non grévistes sans respecter les dispositions du décret du 28 mai 1982 susvisé, d'entraver le fonctionnement du service ou d'occuper des locaux ne peuvent en aucun cas être regardés comme relevant de l'exercice d'un mandat ou d'une fonction syndicale. Les mesures de sécurité prises par la Poste pour tenter de faire obstacle à ces intrusions ne constituent pas une réglementation de l'usage du droit de grève.

10. Les faits d'intrusion dans les établissements de La Poste des Hauts-de-Seine et au siège social présentaient le caractère de fautes susceptibles de faire l'objet d'une sanction disciplinaire. Toutefois, les premiers juges ont à bon droit estimé que la mesure de sanction litigieuse était disproportionnée au regard des seuls faits fautifs finalement retenus à l'encontre de M.A....

Sur le préjudice de M.A... :

11. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité.

12. En l'espèce, si la sanction litigieuse est annulée en raison de son caractère disproportionné, il résulte de l'instruction que le comportement fautif de l'intéressé qui a été privé de rémunération pendant neuf mois, est établi. En effet de telles intrusions, qui ont consisté à entrer, par la force, en groupe et sans autorisation dans des locaux en vue de s'adresser aux personnels non grévistes, d'entraver le fonctionnement du service ou d'occuper des locaux ne peuvent être regardés comme relevant de l'exercice d'un mandat ou d'une fonction syndicale. Dès lors, compte tenu des fautes commises par l'agent, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. A...à raison de la sanction disciplinaire illégale dont il a fait l'objet en condamnant la Poste à lui verser la somme de 9 500 euros en réparation de son préjudice.

13. Il résulte de tout ce qui précède que La Poste est seulement fondée à demander la réformation du jugement attaqué et à ce que le montant de la condamnation de La Poste fixée par l'article 2 du jugement soit ramenée à un montant de 9 500 euros.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A...qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par La Poste au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de La Poste le versement à M. A...de la somme de 2 000 euros au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La Poste est condamnée à verser à M. A...une somme de 9 500 euros.

Article 2 : L'article 2 du jugement n° 1101594 du 23 mars 2015 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce sens.

Article 3 : Le surplus de conclusions de la requête de La Poste est rejeté.

Article 4 : La Poste versera à M. A...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 18VE03667


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE03667
Date de la décision : 23/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Motifs - Faits de nature à justifier une sanction.

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Sanctions.


Composition du Tribunal
Président : M. BRUMEAUX
Rapporteur ?: Mme Brigitte GEFFROY
Rapporteur public ?: Mme ROLLET-PERRAUD
Avocat(s) : SCP HERALD

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-05-23;18ve03667 ?
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