Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I°) Mme C... A... a demandé au Tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2019 par lequel le préfet de l'Essonne a décidé son transfert aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
II°) M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2019 par lequel le préfet de l'Essonne a décidé son transfert aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement nos 1905457 et 1905458 du 18 septembre 2019, la présidente du Tribunal administratif de Versailles a rejeté les demandes de M. et Mme A....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 18 octobre 2019 et une pièce enregistrée le 14 septembre 2020, M. et Mme A..., représentés par Me Lamirand, avocat, demandent à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° d'annuler, pour excès de pouvoir, ces arrêtés ;
3° de mettre à la charge de l'État le versement à M. B... A... et à Mme C... A... de la somme de 1 500 euros chacun sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est entaché d'une erreur de fait ;
- la décision de transfert est entachée d'une insuffisance de motivation au regard des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de la loi du 11 juillet 1979 et de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de leur situation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le préfet de l'Essonne avait la possibilité d'instruire leur demande d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une lettre du 6 février 2020, les parties ont été informées de ce que, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, la Cour était susceptible de relever d'office un moyen d'ordre public, tiré de l'irrecevabilité des moyens de la requête de
M. et Mme A... tenant à l'insuffisance de motivation des décisions attaquées ainsi qu'à l'absence d'examen particulier de leur situation, lesquels relèvent d'une cause juridique distincte de celle du moyen présenté en première instance.
En réponse à une mesure d'instruction de la Cour, le préfet de l'Essonne a indiqué, par des courriers enregistrés les 23 avril et 4 mai 2020, que le délai de transfert de M. et Mme A... était porté à 18 mois après que les intéressés ont pris la fuite.
Par un mémoire enregistré le 28 avril 2020, M. et Mme A... soutiennent que la France est désormais responsable de leur demande d'asile, le délai de six mois prévu par les dispositions de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 étant expiré.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A..., ressortissante turque née le 2 février 1995, et M. B... A..., ressortissant turc né le 18 juin 1986, à Malazgirt (Turquie), ont sollicité leur admission au séjour au titre du droit d'asile le 12 mars 2019 auprès de la préfecture de l'Essonne. La consultation du fichier Visabio ayant révélé que les intéressés étaient en possession de visas périmés depuis moins de six mois au moment du dépôt de leur demande d'asile, le préfet de l'Essonne a saisi le
10 mai 2019 les autorités suédoises, lesquelles ont accepté, le 24 juin 2019, de prendre en charge M. et Mme A.... Par deux arrêtés du 11 juillet 2019, le préfet de l'Essonne a décidé du transfert de M. et Mme A... aux autorités suédoises. M. et Mme A... font appel du jugement du 18 septembre 2019 par lequel la présidente du Tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la caducité de l'arrêté contesté et la détermination de l'état membre responsable de la demande d'asile :
2. Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat (...) ". Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Le transfert du demandeur (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée (...). / (...) 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté (...) à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ". La Cour de justice de l'Union européenne (grande chambre) a dit pour droit, dans son arrêt du
19 mars 2019, Jawo (C-163/17), que : " L'article 29, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, doit être interprété en ce sens qu'un demandeur " prend la fuite ", au sens de cette disposition, lorsqu'il se soustrait délibérément aux autorités nationales compétentes pour procéder à son transfert, afin de faire échec à ce dernier ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours de la procédure contradictoire, menée avec l'assistance d'un interprète, préalable à la notification à M. et Mme A... de la décision de transfert aux autorités suédoises, les intéressés ont déclaré ne pas vouloir quitter la France et s'opposer à leur transfert vers la Suède. Ils ont été informés notamment qu'ils seraient regardés comme ayant pris la fuite s'ils ne déféraient pas à leurs obligations de pointage. Ainsi, en ne se présentant pas aux convocations de la préfecture à compter du 8 novembre 2019, comme cela est établi par les pièces produites au dossier, c'est à dire au cours de la période durant laquelle l'État français était encore susceptible de procéder à leur transfert vers la Suède, et alors même qu'ils se sont de nouveau présentés aux convocations à partir du mois de janvier 2020, M. et Mme A... doivent être regardés comme ayant pris la fuite au sens du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, portant, ainsi, le délai de leur reprise en charge par les autorités suédoises à 18 mois à compter du 19 septembre 2019, date à laquelle le jugement du Tribunal administratif qui a statué sur la demande de M. et Mme A... a été notifié au préfet. Par conséquent, l'État français n'est pas devenu l'État membre responsable de la demande d'asile de M. et Mme A... et la décision de transfert des intéressés vers la Suède est toujours susceptible de recevoir exécution. Dès lors, les conclusions de la requête de M. et Mme A... tendant à l'annulation du jugement du 18 septembre 2019 rejetant leurs demandes dirigées contre les arrêtés du 11 juillet 2019 ordonnant leur transfert vers la Suède ainsi qu'à l'annulation de ces décisions de transfert ne sont pas devenues sans objet.
Sur la recevabilité des moyens tirés du défaut de motivation des décisions attaquées et de l'absence d'examen particulier de la situation de M. et Mme A... :
4. Les moyens tenant à l'insuffisance de motivation des décisions attaquées ainsi qu'à l'absence d'examen particulier de la situation de M. et Mme A... ont été présentés pour la première fois en appel alors que les deux demandes de première instance n'étaient assorties que d'un moyen de légalité interne. Dès lors, ces moyens doivent être écartés en tant qu'ils sont irrecevables en appel comme relevant d'une cause juridique distincte de celle du moyen présenté en première instance.
Sur les autres moyens :
5. En premier lieu, si M. et Mme A... soutiennent que c'est de manière erronée que le jugement indique qu'ils sont arrivés sur le territoire des États membres de l'Union européenne par la Suède, il ressort des pièces du dossier soumises au juge de première instance, en particulier du résumé de l'entretien individuel dont chacun des requérants a bénéficié le
12 mars 2019, qu'ils ont déclaré être entrés sur le territoire européen par la Suède en provenance de Turquie. Dès lors qu'ils n'apportent aucun élément susceptible de venir infirmer leurs déclarations, M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que le jugement serait entaché d'une erreur de fait sur ce point.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent
règlement (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. "
7. Il résulte des dispositions précitées du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que si une demande d'asile est examinée par un seul État membre et qu'en principe cet État est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre. Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
8. Pour soutenir que les arrêtés ordonnant leur transfert vers la Suède sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation et que le préfet de l'Essonne avait la possibilité d'examiner leur demande d'asile, M. et Mme A... produisent des certificats de scolarité de leurs deux premiers enfants ainsi que l'acte attestant de la naissance en France de leur troisième enfant. Cependant, leurs deux premiers enfants, âgés respectivement de cinq ans et trois ans à la date des décisions attaquées, ne sont scolarisés en petite section de maternelle que depuis septembre 2019, date à laquelle les intéressés ont eux-mêmes commencé à suivre les cours de l'association ASTI. Le contrat de travail à durée indéterminée produit a été conclu sous réserve de la délivrance d'une autorisation de travail à M. A.... Or il ressort du courrier de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, daté du
13 septembre 2019, que le dossier de demande d'autorisation de travail déposé par l'intéressé demeure incomplet. Par ailleurs, le lien de parenté allégué par les requérants avec la personne qui les héberge n'est pas suffisamment établi par la seule production d'une attestation, rédigée le
11 octobre 2019, et de la copie des cartes d'identité de ses auteurs. En tout état de cause, cette circonstance ne serait pas à elle seule de nature à démontrer que la situation personnelle des intéressés justifie qu'il soit dérogé au principe selon lequel leur demande de protection internationale doit être examinée par l'État désigné comme responsable en application des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Essonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation des faits de l'espèce ou aurait méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 précité. Il suit de là que ce moyen doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif au point 7. du jugement attaqué.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. M. et Mme A... sont arrivés en France très récemment alors qu'ils ont vécu en Turquie respectivement jusqu'à l'âge de trente-trois ans et vingt-quatre ans. Pour les motifs de fait exposés au point 8 du présent arrêt, et alors qu'il n'est pas contesté que la Suède a accepté la reprise en charge de l'ensemble des membres de la famille de M. et Mme A..., les décisions du préfet de l'Essonne ordonnant leur transfert n'ont pas porté au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises.
11. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
12. Si M. et Mme A... font valoir les risques auxquels leurs vies seraient exposées en cas de retour en Turquie et produisent notamment un document attestant de l'appartenance de M. A... au parti kurde HDP en qualité de président d'un bureau de vote de section locale en 2015 et 2016, cette circonstance est insuffisante pour caractériser un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant encouru à raison des décisions en litige, lesquelles prononcent seulement le transfert des intéressés aux autorités suédoises pour l'examen de leurs demandes d'asile. Dès lors, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la présidente du Tribunal administratif de Versailles a rejeté leurs demandes. Par conséquent, leurs conclusions tendant à ce que soit mis à la charge de l'État le versement à chacun d'eux de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être également rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
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N° 19VE03439