Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Lille la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010, 2011 et 2012 et des majorations correspondantes.
Par ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement de la présente affaire a été attribué au Tribunal administratif de Montreuil en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1644321 du 19 avril 2018, le Tribunal administratif de Montreuil l'a déchargé de la majoration de 80 % prévue par le c) du 1° de l'article 1728 du code général des impôts dont ont été assorties les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mise à sa charge au titre des années 2010 à 2012 et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 mai 2018 et le 11 septembre 2019,
M. B..., représenté par Me Seguin, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement attaqué, en ce qu'il ne fait pas droit à l'intégralité de sa demande ;
2° de le décharger des impositions litigieuses et des majorations restant en litige ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B... soutient que :
- l'administration ne pouvait pas mettre en oeuvre la procédure d'évaluation d'office des articles L. 68 et L. 73 du livre des procédures fiscales dès lors que les gains résultant du poker ne constituent pas des revenus imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
- l'administration était tenue, en application des dispositions du 3° de l'article L. 68 du livre des procédures fiscales, de lui adresser préalablement à la mise en oeuvre de la procédure d'évaluation d'office, une mise en demeure de souscrire des déclarations de bénéfices non commerciaux, dès lors que s'il ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalité des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce, c'est en raison d'une erreur légitime de sa part sur la portée de ses obligations fiscales ;
- pour les mêmes raisons, le délai de reprise applicable en matière d'activités occultes n'était pas applicable et ce délai ne pouvait donc être supérieur à trois ans ;
- les textes législatifs et réglementaires, ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation qualifient le poker de jeu de hasard dont les gains, même provenant d'une pratique habituelle, ne sont par conséquent pas imposables ;
- l'imposition de ses gains est dépourvue de fondement législatif et, par suite, résulte d'une méconnaissance du champ d'application de la loi telle qu'il est défini par l'article 34 de la Constitution ;
- l'imposition contestée procède d'une modification rétroactive, et ainsi illégale, de l'interprétation administrative de la loi fiscale selon laquelle les revenus générés par la pratique d'un jeu de hasard n'entrent pas dans le champ de l'article 92 du code général des impôts et ne sont pas imposables ;
- il n'exerce pas le poker à titre professionnel, de telle sorte que les gains qu'il en retire ne sont pas imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
- à titre très subsidiaire, les gains issus du poker font déjà l'objet d'un prélèvement à la source libératoire sur le fondement des articles 302 bis ZI à ZK du code général des impôts ; ses revenus font donc l'objet d'une double imposition ;
- il est fondé à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des commentaires administratifs publiés à la documentation administrative de base le
15 septembre 2000 sous la référence 5 G-116 (n°118) ; lui opposer le fait que cette doctrine ne mentionne pas le poker pour refuser son application constitue une méconnaissance du principe de sécurité juridique et du devoir de loyauté ;
- il n'est pas passible des majorations de 80% pour activité occulte et de 25% pour non adhésion à un centre ou une association de gestion agréé dès lors que c'est par erreur qu'il n'a pas déclaré les gains issus du poker pensant qu'ils n'étaient pas imposables et qu'il n'a pas délibérément cherché à dissimuler ses gains et n'a pas eu recours à des manoeuvres frauduleuses.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des années 2004 à 2012 à raison de l'activité de joueur de poker qu'il a exercée pendant cette période. A l'issue de ce contrôle, le service a procédé à l'évaluation d'office, sur le fondement des dispositions du 2° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales et de l'article L. 68 du même livre, des revenus tirés par l'intéressé de cette dernière activité au titre des années 2010 à 2012, qu'elle a regardés comme des bénéfices non commerciaux imposables sur le fondement des dispositions de l'article 92 du code général des impôts. Après avoir réintégré ces revenus, d'un montant de 43 685 euros en 2010, 80 160 euros en 2011 et 46 282 euros en 2012, dans le revenu imposable de M. B... au titre des trois années en cause, l'administration fiscale a notifié à ce dernier des redressements d'impôt sur le revenu résultant de la taxation de ces sommes dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, et majoré ces impositions supplémentaires, d'une part, du coefficient de 1,25 prévu par les dispositions du a) du 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, faute pour l'intéressé d'avoir adhéré à un centre de gestion agréé et, d'autre part, de la majoration de 80 % pour activité occulte prévue par le c) du 1. de l'article 1728 du code général des impôts. M. B... fait appel du jugement du
19 avril 2018 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil l'a déchargé de cette majoration pour l'ensemble des années en litige et rejeté le surplus de sa demande, en ce qu'il ne fait pas droit à l'intégralité de cette dernière.
Sur le principe de l'imposition :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
2. Aux termes du 1 de l'article 92 du code général des impôts : " Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ". Si la pratique, même habituelle, des jeux de hasard ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits, au sens des dispositions précitées de l'article 92 du code général des impôts, en raison de l'aléa qui pèse sur les perspectives de gains du joueur, il en va différemment de la pratique habituelle d'un jeu d'argent opposant un joueur à des adversaires lorsqu'elle permet à ce dernier de maîtriser de façon significative l'aléa inhérent à ce jeu, par les qualités et le savoir-faire qu'il développe, et lui procure des revenus significatifs. Les gains qui en résultent sont alors imposables, en application de l'article 92, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, alors même que le contribuable exercerait aussi par ailleurs une activité professionnelle.
3. Si le jeu et plus particulièrement la version de ce jeu dénommée " Texas Hold'em Poker " pratiquée par M. B..., fait intervenir des distributions aléatoires de cartes communes et de cartes propres à chaque joueur, un joueur peut parvenir, grâce à l'expérience, la compétence et l'analyse de la psychologie de ses adversaires, à maîtriser le caractère aléatoire du résultat et à accroître de façon sensible sa probabilité de percevoir des gains importants. Dès lors, les gains en résultant doivent être regardés comme tirés d'une occupation lucrative ou d'une source de profits constituant des revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, au sens des dispositions précitées de l'article 92 du code général des impôts.
4. Il résulte de l'instruction qu'entre 2010 et 2012, M. B... a ouvert plusieurs comptes auprès d'opérateurs agrées en ligne. L'autorité de régulation des jeux en ligne a relevé, respectivement, 16, 1159 et 2267 inscriptions de la part de l'intéressé auprès de l'opérateur Reele Malta LTD, 87, 20 et 102 inscriptions auprès de l'opérateur Winamax ainsi que 151 et 6 inscriptions auprès de l'opérateur Everest. Il a participé à au moins deux tournois pour lesquels il a acquitté, le 18 octobre 2010 et le 14 juin 2012, auprès du casino Saint-Amand des droits d'entrée qui s'élèvent, respectivement, à 1 200 euros et 1 000 euros. En outre, il a souscrit à un logiciel statistique permettant de connaître le profil psychologique des joueurs par rapport à leurs précédentes parties sur le site et a souscrit des abonnements à des sites de coaching en matière de poker. Ses gains reconstitués issus du poker se sont, en outre, élevés à 43 685 euros en 2010,
80 160 euros en 2011 et 46 282 euros en 2012, et sont largement supérieurs à ses autres revenus déclarés au titre de ces trois années, M. B... ayant d'ailleurs perdu son emploi le
30 mai 2009. Dans ces conditions, et alors même qu'il ne l'aurait pas exercé à titre professionnel, M. B... doit être regardé comme ayant exercé, au cours des années 2010 à 2012, une activité lucrative de joueur de poker. La circonstance qu'il a été involontairement privé d'emploi en 2009, ainsi qu'il vient d'être rappelé, et qu'il cherchait activement un nouveau poste est sans incidence sur le caractère lucratif de cette activité.
5. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M. B..., la qualification de jeu de hasard que peut revêtir la pratique du poker pour l'application des différents textes portant réglementation de la police des jeux, en matière de protection des consommateurs, l'interprétation qu'en a donné la Cour de cassation, ainsi que des dispositions de l'article 126 de l'annexe IV au code général des impôts, relatives à l'impôt sur les spectacles, jeux et divertissements sont sans incidence sur l'application par le juge de l'impôt des règles relatives à l'imposition des revenus.
6. En troisième lieu, le fondement et l'assiette du prélèvement sur les sommes engagées par les joueurs pour certains jeux de cercle en ligne instauré par l'article 47 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, codifié à l'article 302 bis ZI du code général des impôts, sont différents du fondement et de l'assiette de l'imposition litigieuse qui porte sur le revenu qu'assurait à
M. B... son activité régulière de joueur de poker. Ce dernier n'est, par suite, pas fondé à soutenir que, compte tenu de l'existence du prélèvement de l'article 302 bis ZI du code général des impôts, les rectifications dont il a fait l'objet, aboutiraient à une double imposition illégale.
7. En quatrième lieu, l'imposition à laquelle M. B... a été assujetti a été établie sur le fondement des dispositions précitées de l'article 92 du code général des impôts, en vigueur à la date du fait général de l'imposition. En conséquence, le moyen tiré de ce que l'administration se serait fondée à tort sur sa propre doctrine dans une version postérieure aux années en litige est, en tout état de cause, inopérant. Pour le même motif, est inopérant le moyen tiré de ce que l'administration fiscale aurait mis à sa charge les impositions litigieuses sans que celles-ci n'aient de fondement législatif, en méconnaissance du champ d'application de la loi tel qu'il est défini par l'article 34 de la Constitution, l'article 92 du code général des impôts ayant une telle valeur législative.
En ce qui concerne le bénéfice de l'interprétation administrative de la loi fiscale :
8. M. B... se prévaut du paragraphe n °118 des commentaires administratifs publiés à la documentation administrative de base sous la référence 5 G-116, à jour au
15 septembre 2000, qui prévoit que " La pratique, même habituelle, de jeux de hasard tels que loteries, tombolas ou jeux divers, ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits devant donner lieu à imposition au nom des personnes participant à ces jeux ". Toutefois, cette interprétation administrative, qui ne concerne pas la pratique de jeux d'argent dans les conditions indiquées au point 2. et ne mentionne pas qu'elle concernerait, dans tous les cas, le jeu de poker, ne contient aucune interprétation formelle du texte fiscal dont M. B... pourrait se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Il ne saurait davantage se prévaloir à cet égard d'une méconnaissance des principes de sécurité juridique et de loyauté.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
9. Aux termes de l'article 97 du code général des impôts : " Les contribuables soumis obligatoirement ou sur option au régime de la déclaration contrôlée sont tenus de souscrire chaque année, dans des conditions et délais prévus aux articles 172 et 175, une déclaration dont le contenu est fixé par décret ". Selon l'article L. 73 du livre des procédures fiscales : " Peuvent être évalués d'office : / (...) 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal (...) ". L'article L. 68 du même livre, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige, prévoit que : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. / Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : (...) 3° si le contribuable ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce ou s'il s'est livré à une activité illicite (...) ". Dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son activité est réputée occulte s'il n'est pas en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives.
10. Il résulte de l'instuction que l'administration fiscale a évalué d'office les revenus de
M. B... issus de son activité de joueur de poker exercée au cours des années 2010 à 2012 et imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ainsi qu'il a été rappelé
ci-dessus, sans l'avoir préalablement mis en demeure de déposer les déclarations afférentes à cette activité. Si M. B... ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises et n'a pas déposé la déclaration prévue à l'article 97 du code général des impôts au titre des années 2010 à 2012, il doit être regardé comme établissant, sans d'ailleurs être contesté sur ce point par le ministre au titre d'aucune des années en cause, que ce défaut de déclaration constitue une erreur de sa part, dès lors que ce n'est que postérieurement aux années d'imposition en litige que la jurisprudence et l'administration fiscale ont expressément estimé, sans que ne subsiste d'ambiguïté, que de tels gains étaient, dans certaines conditions, imposables à l'impôt sur le revenu. Il s'ensuit que, l'activité de joueur de poker exercée au titre des années en litige par M. B... ne pouvant être regardée comme une activité occulte, le bénéfice qu'il en a retiré ne pouvait être évalué d'office sans que l'administration ne lui adresse, au préalable, une mise en demeure de s'acquitter de ses obligations déclaratives sous trente jours. Or, il est constant que cette formalité, qui constitue une garantie, n'a pas été accomplie par l'administration. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'exminer les autres moyens de la requête, M. B... doit être déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu qui lui ont été assignées au terme d'une procédure d'imposition irrégulière au titre des années 2010 à 2012.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Montreuil, par le jugement attaqué, a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge en droits des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 à 2012.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : M. B... est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 à 2012.
Article 2 : Le jugement n° 1644321 du Tribunal administratif de Montreuil du 19 avril 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
N° 18VE01709 4