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10/12/2020 | FRANCE | N°18VE00057

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 10 décembre 2020, 18VE00057


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 4 avril 2014 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute ainsi que la décision implicite née le 30 septembre 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique.

Par un jugement n°1411182 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision de l'inspecteur

du travail du 4 avril 2014 et la décision implicite du ministre du travail du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 4 avril 2014 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute ainsi que la décision implicite née le 30 septembre 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique.

Par un jugement n°1411182 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 4 avril 2014 et la décision implicite du ministre du travail du 30 septembre 2014.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 janvier 2018 et complétée par deux mémoires enregistrés le 9 juillet 2018 et le 3 novembre 2020, la société Cerner France, représentée par Me Loubaton, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de rejeter la demande de M. D... devant le tribunal administratif ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que la procédure avait été viciée au seul motif que l'inspecteur n'avait pas communiqué toutes les pièces produites par l'employeur et qu'il n'a pas vérifié que M. D... avait bien sollicité la communication de ces pièces.

.....................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., pour la société Cerner France et de Me F..., pour M. D....

Une note en délibéré, présentée par M. D..., a été enregistrée le 18 novembre 2020.

Une note en délibéré, présentée par la société Cerner France, a été enregistrée le 19 novembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. La société Cerner France, spécialisée dans le développement et la mise en oeuvre de solutions de rationalisation et de gestion administrative des dossiers médicaux des patients dans les établissements de santé, a sollicité, par un courrier du 11 février 2014, l'autorisation de licencier pour faute M. E... D..., employé en qualité de " clinical strategist " et exerçant les mandats de membre titulaire du comité d'entreprise et de délégué du personnel titulaire. Par une décision du 4 avril 2014, l'inspecteur du travail a accordé l'autorisation de licencier sollicitée. Par une décision implicite née le 30 septembre 2014, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté le recours hiérarchique formé le 28 mai 2014 par M. D.... La société Cerner France demande à la cour l'annulation du jugement n°1411182 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé les décisions de l'inspecteur et du ministre.

2. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

3. Pour annuler la décision de l'inspecteur du travail et du ministre, le tribunal s'est fondé sur le fait que M. D... n'avait pu prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande sans que cette absence de communication soit justifiée par le fait que l'accès à ces documents serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs. Toutefois, M. D..., à qui l'inspecteur a communiqué, sur sa demande, par courrier électronique du 19 mars 2014, les pièces annexées à la demande d'autorisation dont il n'avait pas eu connaissance, a seulement répondu par courrier électronique du lendemain que son employeur avait connaissance de ces documents bien avant le mois de novembre 2013 et n'a pas, ainsi que le relève la société, sollicité la communication de pièces supplémentaires, cette circonstance révélant qu'il avait déjà eu connaissance de ces pièces au cours de l'enquête contradictoire. Si M. D... fait valoir que l'inspecteur ne l'a, à aucun moment, informé de son droit à demander communication de toutes les pièces annexées à la demande d'autorisation de licenciement, il ressort par ailleurs des pièces du dossier, ainsi que le fait valoir le ministre chargé du travail, que les seules annexes 2, 2bis, 7 et 10 dont M. D... se plaint de ne pas avoir eu communication étaient des pièces extraites de l'instruction pénale, les annexes 2 et 7 étant des échanges formels entre le parquet et la société et son avocat, l'annexe 2 bis étant de nature à porter préjudice à son auteur et l'annexe 10 étant identique à l'annexe 8, qui lui a été communiquée. Dès lors, dans les circonstances particulières de l'espèce, la société est bien fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que les conditions dans lesquelles l'enquête contradictoire avait été menée avait privé M. D... d'une garantie pour sa défense.

4. Il appartient à la cour administrative d'appel saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif et la cour.

5. En premier lieu, M. D... soutient que la décision de l'inspecteur est entachée d'un vice de procédure l'inspecteur ayant retenu un grief non visé par la société. Il ressort des termes de la demande d'autorisation de licenciement du 11 février 2014, que la société a sollicité l'autorisation de licencier M. D... pour s'être volontairement associé à des salariés de l'entreprise pour commettre des actes déloyaux et malveillants d'une gravité exceptionnelle à l'égard de l'entreprise, de ses dirigeants et/ou de ses collègues, dans le but avéré de la déstabiliser et de porter atteinte à l'outil de travail de la collectivité des salariés. En retenant que le salarié a au minimum été associé, y compris dans l'échange sous pseudonyme, à la discussion d'actions malveillantes à l'encontre de la société, de ses salariés ou de ses dirigeants, dont certaines ont été réalisées sans qu'il soit établi qu'il ait cherché à s'y opposer ou qu'il ait réagi, l'inspecteur du travail n'a pas retenu un nouveau grief mais examiné conformément à son office si, et dans quelle mesure, les faits étaient établis et d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement. Dès lors, le moyen tiré du vice de procédure ne peut qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2421-3 du même code : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 2421-9 du même code : " l'avis du comité d'entreprise est exprimé au scrutin secret après audition de l'intéressé ". Saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent l'article L. 2421-3 et le premier alinéa de l'article R. 2421-9 du code du travail, il appartient à l'administration de s'assurer que la procédure de consultation du comité d'entreprise a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'autorisation demandée que si le comité d'entreprise a été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation.

7. En l'espèce, M. D... a été convoqué le 20 janvier à la réunion du comité d'entreprise prévue le 29 janvier à 12 h 30, qui devait donner un avis sur son projet de licenciement. Le 24 janvier, il a sollicité communication des différentes pièces visées dans la note explicative annexée à la convocation de la réunion, pièces qui lui ont été communiquées le 28 janvier à 14 heures. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir entendu et longuement interrogé le salarié, ce comité s'est prononcé par quatre voix favorables au licenciement et une voix contre. Une nouvelle réunion a été convoquée le 3 février puis le 4 février suivant à la demande de M. D... aux fins de relire et de valider les procès-verbaux de la réunion. La circonstance, à la supposer établie, que les convocations aux réunions des 3 et 4 février ne respectent pas le délai de prévenance et la mention de l'ordre du jour prévus par le règlement intérieur de ce comité n'est pas de nature à démontrer que le comité d'entreprise n'aurait pas été mis à même de donner son avis en toute connaissance de cause ou dans des conditions qui auraient faussé sa consultation.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. ". Si M. D... soutient que la plainte avec constitution de partie civile de la société Cerner du 13 janvier 2011 n'a pu interrompre la prescription dès lors qu'elle est intervenue plus de deux mois après que la société eut été informée le 19 mai 2010 que des emails anonymes avaient été adressés à ses clients, et le 20 octobre qu'une lettre anonyme avait été adressée à M. C..., il ressort des pièces du dossier que la société, qui n'a pu découvrir qu'au cours de la procédure pénale qui étaient les agents impliqués, ne pouvait utiliser ces documents soumis au secret de l'instruction avant le 28 novembre 2013, date à laquelle elle a eu communication du dossier de clôture de l'instruction, qui contenait, notamment, le procès-verbal d'audition de M. D..., reconnaissant appartenir à la " shadow team ". L'inspecteur n'a donc commis aucune erreur de droit en considérant que les faits n'étaient pas prescrits.

9. En quatrième lieu, il ressort de ce qui a été dit au point 3 que le principe général du droit de la défense n'a pas été méconnu au cours de l'enquête contradictoire.

10. En cinquième lieu, M. D... soutient que le principe d'égalité a été méconnu dès lors que l'autorisation de licenciement d'un autre salarié qui était poursuivi pour les mêmes faits a été refusée. Il ressort en tout état de cause des pièces du dossier que l'identité sous pseudonyme du salarié en cause n'était pas établie, ce moyen ne pouvant dès lors qu'être écarté.

11. En sixième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où le licenciement est motivé par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi, et éventuellement au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont celui-ci est investi.

12. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 5, que M. D... a au minimum été associé, y compris dans l'échange sous pseudonyme, à la discussion d'actions malveillantes à l'encontre de la société, de ses salariés ou de ses dirigeants, dont certaines ont été réalisées, sans qu'il soit établi qu'il ait cherché à s'y opposer ou qu'il ait réagi pour les condamner. En estimant que ces faits étaient établis et d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement, l'inspecteur du travail et le ministre ont pu légalement autoriser le licenciement.

13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que la société Cerner est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement en litige, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 4 avril 2014 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. D... ainsi que la décision du ministre chargé du travail rejetant le recours hiérarchique de ce dernier. L'Etat n'étant pas la partie perdante, dans la présente instance, les conclusions présentées en application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative tant par la société que par M. D... ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1411182 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 7 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

N° 18VE00057 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE00057
Date de la décision : 10/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Eugénie ORIO
Rapporteur public ?: Mme MARGERIT
Avocat(s) : LOUBATON

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-12-10;18ve00057 ?
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