Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Sarl AMS STUDIO a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2011 au 31 mai 2013.
Par un jugement no 1707977 du 18 avril 2019, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté la requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 juillet 2019 et le 26 septembre 2019, la Sarl AMS STUDIO, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2011 au 31 mai 2013 ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros, à lui verser, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La requérante soutient que :
- le jugement a commis une erreur en estimant que la proposition de rectification était suffisamment motivée, que les articles L. 76 B et L. 48 du livre des procédures fiscales n'ont pas été méconnus, que les deux avis de mise en recouvrement étaient réguliers, et que la taxe en litige était fondée ; il a retenu à tort l'autorité de chose jugée qu'il ne lui appartenait pas de soulever d'office et a estimé à tort également que la facture émise par la société Euro Knit Fabrics était fictive en inversant la charge de la preuve ;
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée au sens de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- l'administration a méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales car elle n'établit pas ne pas avoir obtenu de tiers les informations relatives aux liens de parenté entre les gérants d'AMS STUDIO et d'Euro Knit Fabrics ; elle s'est abstenue en méconnaissance de ces dispositions de citer l'origine des informations recueillies ;
- l'article L. 48 du livre des procédures fiscales a été méconnu même si les sommes recouvrées étaient d'un montant inférieur à celui indiqué sur les avis de mise en recouvrement ;
- les prestations facturées par Euro Knit n'étaient pas fictives ;
- les pénalités ne sont pas fondées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... ;
- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur la régularité du jugement :
1. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Si la Sarl AMS STUDIO soutient que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé dès lors qu'il aurait omis de répondre à une critique concernant le rejet du caractère probant de la comptabilité, il résulte de l'instruction que si l'administration a écarté la comptabilité de la société, elle n'en a tiré aucune conséquence en ce qui concerne l'assiette de l'imposition, dès lors qu'elle s'est fondée à cet effet sur la mise en évidence de discordances entre les encaissements déclarés et les déclarations de TVA. En ne répondant pas à un moyen inopérant, le tribunal n'a entaché son jugement d'aucune irrégularité. De même, si la société requérante soutient que le jugement entrepris ne répond pas à la critique de la société requérante concernant le caractère prétendument fictif de la facture émise par un fournisseur, ce moyen manque en fait, le tribunal y ayant longuement répondu aux points 8 à 16 de son jugement. Enfin, s'il est soutenu que le jugement a écarté à tort l'ensemble des moyens de procédure soulevés et a retenu également à tort que la taxe en litige était fondée, ces points, qui se rattachent au bien-fondé du jugement, sont sans influence sur sa régularité.
2. En deuxième lieu, si la société requérante soutient que les premiers juges auraient manqué à leur obligation d'impartialité, le moyen manque en fait.
3. En dernier lieu, si c'est à tort que le Tribunal a soulevé d'office l'autorité de la chose jugée par la Cour administrative d'appel de Versailles dans un arrêt n° 14VE02313 du 1er décembre 2015, dès lors que cette décision de justice n'avait que l'autorité relative de la chose jugée, il résulte de l'instruction que le Tribunal s'est fondé sur un autre motif, tiré du caractère fictif d'une facture de la société Euro Knit Fabrics du 29 décembre 2011, de nature, à lui seul, à justifier le bien-fondé de la décision qu'il a adoptée. Par suite, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
4. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...). ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler utilement ses observations. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs. Pour soutenir que les rappels en litige ne sont pas motivés ou ne le sont pas suffisamment, la requérante se borne à critiquer le bien-fondé des motifs exposés dans la préposition de rectification. Le moyen doit dès lors être écarté.
5. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. (...) " Si la société requérante soutient que l'administration ne l'aurait pas informée de la teneur et de l'origine des informations relatives au lien de dépendance entre les sociétés AMS STUDIO et Euro Knit Fabrics, il résulte de l'instruction que l'administration n'a pas obtenu ces informations de tiers, mais qu'ils étaient soit accessibles au public dans les mêmes conditions que pour le contribuable, soit qu'ils lui ont été communiqué au cours de la procédure de vérification. Le moyen doit également être écarté.
6. Aux termes de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'à un stade ultérieur de la procédure de rectification contradictoire l'administration modifie les rehaussements, pour tenir compte des observations et avis recueillis au cours de cette procédure, cette modification est portée par écrit à la connaissance du contribuable avant la mise en recouvrement, qui peut alors intervenir sans délai. ".
7. Il est constant que le montant des droits et pénalités effectivement mis en recouvrement 31 décembre 2014, qui s'élève à 237 850 euros et est relatif aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée mais non reversée qui ont été réclamés à la société requérante au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 mai 2013 est inférieur à celui indiqué dans la proposition de rectification du 18 décembre 2013. L'administration n'a pas informé la société AMS STUDIO qu'elle modifiait les rehaussements avant de mettre les impositions en recouvrement, ne la mettant ainsi pas à même de savoir sur quelles bases celles-ci ont été établies. Par suite, et alors même que les impositions mises en recouvrement sont inférieures à celles qui avaient été notifiées, la procédure d'imposition est entachée d'irrégularité au regard des exigences de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales. Si l'administration fait valoir qu'il s'agit d'une erreur purement matérielle, elle n'apporte pas d'éléments à l'appui de son allégation, la qualification d'erreur matérielle ne pouvant résulter de la seule faiblesse de l'écart entre le montant annoncé et celui mis en recouvrement. La société requérante est par suite fondée à demander, pour ce motif, la décharge rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à la requérante au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 mai 2013 pour la taxe collectée et non reversée.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions
8. Aux termes du 4 de l'article 283 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux périodes d'imposition en litige : " Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée. " Le 2 de l'article 272 du même code dispose, dans sa rédaction applicable au litige : " La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture. " Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et se présentait à ses clients comme assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, sans qu'il soit manifeste qu'il n'aurait pas rempli les obligations l'autorisant à faire figurer cette taxe sur ses factures, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.
9. Le service vérificateur a remis en cause la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur une facture de la société Euro Knit Fabrics en date du 29 décembre 2011 portant sur un lot de " vêtements de dessous " pour un montant de 990 000 euros hors taxes au motif que cette facture revêt un caractère fictif. Le caractère fictif de cette facture figure au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire de l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Versailles n° 14VE02313 du 1er décembre 2015, devenu irrévocable suite à la décision n° 396643 du 16 novembre 2016 par laquelle le Conseil d'État a refusé d'admettre le pourvoi en cassation de la société AMS STUDIO. Eu égard à l'identité de parties, d'objet et de cause, ces décisions sont revêtues de l'autorité relative de la chose jugée que le ministre est fondé à opposer pour la première fois en appel à la requérante. En revanche, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir de l'autorité de la chose jugée par un jugement du 23 janvier 2017 du Tribunal administratif de Montreuil, qui porte sur l'impôt sur les sociétés et non, comme la présente espèce, sur un crédit de taxe sur la valeur ajoutée, et n'a par suite pas le même objet.
En ce qui concerne les pénalités
10. En premier lieu, eu égard à ce qui a été dit ci-dessus, le moyen tiré de ce que la décharge des pénalités devrait être prononcée par voie de conséquence de la décharge en droits ne doit être accueilli, pour les motifs précédemment exposés, que pour la taxe collectée et non reversée pour la période du 1er janvier 2011 au 31 mai 2013.
11. En deuxième lieu, si la société requérante soutient que les pénalités de 40% et de 80% prévues par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts ne sont pas motivées, elle se borne en réalité à mettre en cause le bien-fondé des motifs avancés par l'administration.
12. En dernier lieu, le caractère fictif de la facture de la société Euro Knit Fabrics du 29 décembre 2011 portant sur un lot de " vêtements de dessous " pour un montant de 990 000 euros hors taxes est établi. En relevant que la société AMS STUDIO s'est fondée sur cette facture pour faire apparaître un crédit de taxe sur la valeur ajoutée sur sa déclaration déposée au titre du mois d'avril 2012, l'administration démontre que cette société s'est livrée à des agissements constitutifs de manoeuvres frauduleuses. Dès lors, c'est à bon droit qu'elle lui a appliqué la majoration de 80 % prévue par le c de l'article 1729 du code général des impôts.
Sur la suppression des écrits injurieux, outrageants et diffamatoires :
13. En vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les juridictions administratives peuvent, dans les causes dont elles sont saisies, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires.
14. La phrase en page 8 de la requête de la Sarl AMS STUDIO et reprise en page 20 de son mémoire ampliatif, commençant par les mots " Il est pénible ", et finissant page par les mots " l'administration fiscale ! ", présente un caractère injurieux et diffamatoire. Par suite, il y a lieu d'en prononcer la suppression.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la Sarl AMS STUDIO est seulement fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée mais non reversée qui lui ont été réclamés au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 mai 2013 et des pénalités correspondantes.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société requérante présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La société AMS STUDIO est déchargée de la somme de 237 850 euros correspondant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée mais non reversée qui lui ont été réclamés au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 mai 2013, mise en recouvrement le 19 janvier 2015, ainsi qu'aux pénalités correspondantes.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les passages des écritures de la Sarl AMS STUDIO mentionnés au point 14 du présent arrêt sont supprimés.
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N° 19VE02445