Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au Tribunal administratif de Versailles de désigner un expert avant-dire droit, de condamner la commune de Savigny-sur-Orge à lui verser une provision de 3 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice corporel résultant de la chute dont elle a été victime le 22 décembre 2011, de surseoir à statuer pour le surplus dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise et de mettre à la charge de la commune de Savigny-sur-Orge la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1300884 du 14 juin 2016, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 16VE02181 du 4 octobre 2018, la Cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé contre ce jugement.
Par une décision n° 425952 du 25 mars 2020, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi de Mme B..., annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2016, et, après cassation et renvoi, par des mémoires enregistrés les 8 juin 2020, 30 juin 2020 et 6 juillet 2020, Mme B..., représentée par Me Baradez, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de déclarer la commune de Savigny-sur-Orge entièrement responsable des préjudices subis à la suite de l'accident survenu le 22 décembre 2011 ;
3° de désigner, avant-dire droit, un expert médical afin d'évaluer l'étendue de ses préjudices ;
4° de condamner la commune de Savigny-sur-Orge à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de provision sur l'indemnisation définitive de son préjudice corporel ;
5° de surseoir à statuer sur le surplus ;
6° et de mettre à la charge de la commune de Savigny-sur-Orge une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été victime d'une chute due à un défaut d'entretien normal de la voie publique par la commune de Savigny-sur-Orge ; trois manquements peuvent être reprochés à la commune : un défaut d'entretien du trottoir, un défaut d'éclairage de la voie publique et un défaut de signalisation du danger ;
- aucune faute d'inattention ne peut lui être imputée.
Par un courrier, enregistré le 27 septembre 2016, la Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France a indiqué à la Cour qu'elle a attribué une pension d'invalidité de première catégorie à effet du 22 décembre 2014 et qu'elle interviendrait à la procédure en ouverture du rapport.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2016, et, après cassation et renvoi, par des mémoires, enregistrés le 29 juin 2020 et le 10 septembre 2020, la commune de Savigny-sur-Orge, représentée par Me Gauch, avocat, demande à la Cour :
1° à titre principal, de rejeter la requête ;
2° à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où une faute de la commune serait reconnue, d'opérer un partage de responsabilité entre Mme B... et la ville et n'excédant pas un tiers à la charge de la ville ;
3° de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable faute d'être accompagnée du jugement attaqué ;
- la requête est irrecevable car elle ne contient aucun moyen de critique du jugement attaqué en méconnaissance des dispositions des articles R. 411-1 et R. 811-13 du code de justice administrative ;
- sa responsabilité n'est pas engagée car la défectuosité du trottoir ne saurait être regardée comme constitutive d'un défaut d'entretien normal de la voie publique ;
- l'expertise est frustratoire ;
- à titre subsidiaire, un partage de responsabilité doit être opéré ;
- la demande de provision doit être rejetée ;
- les conclusions présentées par la CPAM sont nouvelles et par suite irrecevables ;
- la CPAM ne démontre pas la réalité et le versement effectif des sommes dont elle demande le remboursement.
Par un mémoire, enregistré le 11 septembre 2018, et, après cassation et renvoi, par des mémoires enregistrés le 3 juillet 2020, 20 juillet 2020 et le 18 septembre 2020, la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Essonne représentée par Me Gatineau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :
1° d'annuler le jugement ;
2° de condamner la commune de Savigny-sur-Orge à lui verser la somme de 279 058,98 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts ;
3° à titre subsidiaire, de condamner la commune de Savigny-sur-Orge, d'une part à lui rembourser les prestations servies à Mme B... au titre des dépenses de santé soit 47 745,46 euros avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts et, d'autre part, à lui rembourser les dépenses correspondant à la pension d'invalidité versée à Mme B... jusqu'à la date de la substitution d'une pension de retraite sur présentation de justificatifs ;
4° de mettre à la charge de la commune de Savigny-sur-Orge la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ses dernières conclusions indemnitaires sont recevables ;
- elle a exposé la somme de 47 745,46 euros au titre des dépenses de santé de Mme B... ;
- elle exposera la somme de 231 313,52 euros correspondant aux arrérages de la pension d'invalidité versés du 22 décembre 2014 au 1er juillet 2020 ainsi qu'au capital représentatif des arrérages à échoir jusqu'à la date de la substitution d'une pension de retraite.
Par un courrier du 17 novembre 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la CPAM de l'Essonne qui présentent le caractère de conclusions nouvelles en appel.
Par un mémoire, enregistré le 20 novembre 2020, la CPAM de l'Essonne a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Clot, rapporteur public,
- et les observations Me C..., pour la commune de Savigny-sur-Orge.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... a relevé appel du jugement du Tribunal administratif de Versailles du 14 juin 2016 qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Savigny-sur-Orge à l'indemniser des conséquences dommageables de sa chute sur la voie publique le 22 décembre 2011. Par un arrêt du 4 octobre 2018, la Cour a rejeté sa requête. Par une décision du 25 mars 2020, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour.
Sur les fins de non-recevoir invoquées par la commune de Savigny-sur-Orge :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 811-13 du code de justice administrative : " Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l'introduction de l'instance devant le juge d'appel suit les règles relatives à l'introduction de l'instance de premier ressort définies au livre IV (...) ". L'article R. 412-1 de même code dispose : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la requête de Mme B... était accompagnée d'une copie du jugement du 14 juin 2016 du Tribunal administratif de Versailles. En tout état de cause, le dossier de première instance, dont le greffe de la Cour a sollicité et obtenu la communication, contenait également une copie de ce jugement. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de production du jugement attaqué être écartée.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge (...) ".
5. Contrairement à ce que soutient la commune de Savigny-sur-Orge, la requête de Mme B..., qui demande expressément l'annulation du jugement attaqué et critique les motifs pour lesquels les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'engagement de la responsabilité de la commune pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public, ne constitue pas la seule reproduction littérale de son mémoire de première instance et répond aux exigences de motivation posées par les dispositions précitées de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.
Sur la recevabilité des conclusions de la CPAM de l'Essonne :
6. Si des conclusions tendant à une condamnation pécuniaire doivent en principe être chiffrées devant les juges de première instance sous peine d'irrecevabilité et ne peuvent par suite l'être pour la première fois devant le juge d'appel, il en va différemment lorsque, cette irrecevabilité étant régularisable devant le juge de première instance, celui-ci a, en l'absence de toute fin de non-recevoir opposée sur ce point par le défendeur, omis d'inviter le demandeur à préciser le montant de la condamnation qu'il sollicitait.
7. D'une part, il ressort du dossier de première instance que la CPAM de l'Essonne et la CRAM d'Ile-de-France, dans leurs mémoires enregistrés respectivement les 3 avril 2013 et 26 octobre 2015, n'ont pas chiffré leurs dépenses et ont réservé leurs éventuelles prétentions à l'issue de l'expertise sollicitée par Mme B.... La CPAM de l'Essonne n'a chiffré ses conclusions pour la première fois devant le juge d'appel que dans un mémoire enregistré le 11 septembre 2018. Toutefois, dès lors que la CPAM de l'Essonne n'a pas été invitée par le tribunal à chiffrer ses conclusions indemnitaires, ses conclusions chiffrées en appel ne présentent pas le caractère de conclusions nouvelles.
8. D'autre part, si la CPAM de l'Essonne, alors qu'elle sollicitait initialement devant le juge d'appel la condamnation de la commune à lui verser la somme de 43 260,34 euros correspondant aux dépenses de santé et indemnités journalières versées en faveur de Mme B..., a porté sa demande à la somme totale de 279 058,98 euros avec intérêts de droit et capitalisation de ces intérêts dans son mémoire enregistré au greffe de la Cour le 20 juillet 2020 pour prendre en compte la pension d'invalidité versée à l'intéressée depuis le 22 décembre 2014 jusqu'à la date de la substitution d'une pension de retraite, ces conclusions, alors même qu'elles concernent pour partie un chef de préjudice dont il n'avait pas été fait état auparavant, ne peuvent être regardées comme des conclusions nouvelles irrecevables en appel. La fin de non-recevoir présentée sur ce point par la commune doit être écartée.
Sur la responsabilité de la commune de Savigny-sur-Orge :
9. Pour obtenir réparation par le maître de l'ouvrage des dommages qu'ils ont subis à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public, les usagers doivent démontrer devant le juge administratif, d'une part, l'existence d'un lien de causalité direct entre l'ouvrage et le dommage, d'autre part, la réalité de leur préjudice. Pour s'exonérer de la responsabilité qui pèse sur elle, il incombe à la collectivité, maître de l'ouvrage, soit d'établir qu'elle a normalement entretenu l'ouvrage, soit de démontrer la faute de la victime ou l'existence d'un événement de force majeure.
10. Il résulte de l'instruction que Mme B..., née le 14 novembre 1977, a été victime, le 22 décembre 2011 vers 18 heures, d'une chute sur un trottoir de la rue Jenner à Savigny-sur-Orge causée par un affaissement d'une partie du trottoir d'une surface de quarante-trois centimètres sur trente centimètres et d'une profondeur maximale de neuf centimètres. Il est par ailleurs constant que cette dangerosité particulière n'était pas signalée. Dans ces conditions, cette défectuosité du trottoir est constitutive d'un défaut d'entretien normal de l'ouvrage à l'égard de la requérante, usager de cet ouvrage.
11. Toutefois, il résulte également de l'instruction que l'accident s'est produit dans une rue proche du domicile de la requérante vers lequel elle se rendait accompagnée de membres de sa famille et à proximité d'un lampadaire en état de fonctionnement. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de la grave faute d'inattention commise par Mme B..., la responsabilité de la commune de Savigny-sur-Orge doit être limitée à un tiers des conséquences dommageables subies par la requérante.
Sur l'évaluation des préjudices :
12. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties. ".
13. L'état du dossier ne permet pas à la Cour d'apprécier l'étendue des préjudices corporels subis par Mme B... directement consécutifs à l'accident du 22 décembre 2011. Dès lors, il y a lieu, de faire droit à la demande de la requérante tendant à ce qu'une expertise soit ordonnée aux fins exposées ci-après.
Sur la demande de provision de Mme B... :
14. Le juge du fond peut accorder une provision au créancier qui l'a saisi d'une demande indemnitaire lorsqu'il constate qu'un agissement de l'administration a été à l'origine d'un préjudice et que, dans l'attente des résultats d'une expertise permettant de déterminer l'ampleur de celui-ci, il est en mesure de fixer un montant provisionnel dont il peut anticiper qu'il restera inférieur au montant total qui sera ultérieurement défini.
15. Dans les circonstances de l'espèce, Mme B... justifie d'un préjudice en lien direct avec l'accident dont elle a été victime le 22 décembre 2011. Il y a lieu de lui allouer une provision de 3 000 euros, dès lors qu'il résulte de l'instruction que cette somme restera inférieure au montant total de l'indemnité qui sera défini à l'issue de l'expertise.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1300884 du 14 juin 2016 du Tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : La commune de Savigny-sur-Orge est déclarée responsable du tiers des conséquences dommageables de l'accident subi par Mme B... le 22 décembre 2011.
Article 3 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête de Mme B..., procédé à une expertise médicale.
Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il aura pour mission :
1°) de se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme B... ; de convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de Mme B... ainsi qu'éventuellement à son examen clinique ;
2°) de décrire l'état de santé de Mme B... avant et après l'accident survenu le 22 décembre 2011 ;
3°) d'indiquer à quelle date l'état de Mme B... peut être considéré comme consolidé ; le cas échéant, dire si cet état est susceptible de modification en amélioration ou en aggravation ; dans l'affirmative, fournir toutes précisions utiles sur cette évolution, sur son degré de probabilité et dans le cas où un nouvel examen serait nécessaire, mentionner dans quel délai ;
4°) de décrire la nature et l'étendue des préjudices résultant de l'accident survenu le 22 décembre 2011, non imputables à son état antérieur ni aux conséquences prévisibles de l'évolution de celui-ci, en distinguant les préjudices patrimoniaux (en particulier, dépenses de santé déjà engagées et futures, frais liés au handicap, autres dépenses liées au dommage corporel) et les préjudices extrapatrimoniaux (en particulier, déficit fonctionnel, souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice d'agrément, préjudice sexuel, préjudice d'établissement) et, pour chaque poste de préjudice, les préjudices temporaires avant consolidation et les préjudices permanents après consolidation.
Article 5 : L'expertise sera réalisée au contradictoire de Mme A... B..., de la commune de Savigny-sur-Orge et de la CPAM de l'Essonne.
Article 6 : L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires et en adressera une copie à chacune des parties, conformément à l'article R. 621-9 du code de justice administrative, dans le délai qui sera fixé par le président de la Cour.
Article 7 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 8 : La commune de Savigny-sur-Orge versera à Mme B... une provision de 3 000 euros.
Article 9 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la commune de Savigny-sur-Orge et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Camenen, président,
M. Ablard, premier conseiller,
Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 décembre 2020.
Le rapporteur,
J. D...Le président,
G. CAMENENLe greffier,
C. YARDELa République mande et ordonne au préfet de l'Essonne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier,
7
N° 20VE01054