Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale mises à sa charge, assorties des intérêts de retard et de majorations, au titre des exercices clos en 2008 et 2009 à hauteur des sommes respectives de 7 975 559 euros et 7 150 004 euros.
Par un jugement n° 1600797 du 15 décembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 février 2017 et régularisée le 22 mars 2017, et un mémoire en réplique, enregistré le 17 juillet 2020, la société APRR, représentée par Me David, avocat, demande à la cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la décharge des impositions en litige et des pénalités correspondantes ;
3° de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les dispositions des articles 38 quinquies du code général des impôts et 38 undecies de l'annexe III au même code constituent des dispositions fiscales autonomes permettant d'appliquer un traitement différent du traitement comptable pour l'établissement de la déclaration de résultat et du bilan de l'entreprise ;
- à titre subsidiaire, les dispositions de l'article 38 undecies de l'annexe III au code général des impôts ne sont pas applicables, les contrats de délégation de service public étant exclus de l'article 321-5.1 du plan comptable général modifié à compter du 1er janvier 2005 ;
- cette exclusion est également invocable sur le fondement du §5 de l'instruction administrative référencée BOI-4A-13-05 du 30 décembre 2005, laquelle est opposable à l'administration sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;
- la neutralité fiscale de l'option comptable qu'elle a souscrite de longue date ne peut être remise en cause sans porter atteinte au principe de sécurité juridique ;
- une telle remise en cause serait inconventionnelle au regard des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle a le droit de bénéficier des corrections symétriques pour déterminer le tableau du résultat fiscal, soit le bilan fiscal de la société, ce qui constitue une obligation intégrale pour l'administration fiscale, en vertu du 2 et du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, et nonobstant la prescription des exercices antérieurs ;
- la décision du Conseil d'Etat du 9 juin 2020, Société Cofiroute, n° 416739, est transposable et lui ouvre droit au dégrèvement.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2005-1702 du 28 décembre 2005 ;
- le plan comptable général ;
- le règlement CRC n° 2004-06 du 23 novembre 2004, approuvé par arrêté conjoint du garde des sceaux, du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire en date du 24 décembre 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), qui assure la gestion des autoroutes de l'est et du sud de la France, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2007, 2008 et 2009, à l'issue de laquelle ont été mises à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale assorties d'intérêts de retard et de majorations, au titre des exercices clos en 2008 et 2009. La société APRR fait appel du jugement du 15 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a refusé de la décharger de ces sommes au titre des exercices clos en 2008 et 2009, soit respectivement 7 975 559 euros et 7 150 004 euros.
Sur le bien-fondé des impositions litigieuses :
2. Jusqu'à sa modification par le décret du 28 décembre 2005 relatif aux règles d'évaluation des immobilisations et des stocks portant application de l'article 53 A du code général des impôts et relatif aux renseignements à fournir par les entreprises en cas d'opération de fusion portant application de l'article 54 septies du code général des impôts, l'article
38 quinquies de l'annexe III au code général des impôts excluait expressément la prise en compte des frais financiers dans le prix de revient des immobilisations créées par une entreprise, qui ne pouvaient en conséquence qu'être déduits au titre des charges de l'exercice au cours duquel ils étaient supportés. Le décret du 28 décembre 2005 a créé, dans cette même annexe, un article 38 undecies aux termes duquel, dans sa rédaction applicable au litige : " Les coûts d'emprunt engagés pour l'acquisition ou la production d'une immobilisation, corporelle ou incorporelle, ou d'un élément inscrit en stock ou en encours, peuvent être, au choix de l'entreprise, soit compris dans le coût d'origine de l'immobilisation ou du stock, soit déduits en charge au titre de l'exercice au cours duquel les intérêts sont courus. / Les dispositions du premier alinéa s'appliquent aux coûts d'emprunt attribuables aux éléments d'actif et engagés jusqu'à la date d'acquisition ou de réception définitive du bien qui exigent une période de préparation ou de construction en principe supérieure à douze mois avant de pouvoir être utilisés ou cédés. / Le choix offert au premier alinéa est irrévocable et s'applique à tous les coûts d'emprunt servant à financer l'acquisition ou la production d'immobilisations, de stocks et d'encours ". Il en résulte que, pour les exercices clos à compter de l'entrée en vigueur du décret du 28 décembre 2005, la loi fiscale ouvrait aux entreprises la faculté d'opter soit pour l'incorporation des frais financiers dans le prix de revient des immobilisations créées par elles, soit pour leur déduction au titre des charges de l'exercice.
3. Pour rejeter la demande de la société APRR, le tribunal administratif de Montreuil a retenu, d'une part, que l'article 4-6 du règlement CRC n° 2004-06 du 23 novembre 2004, relatif à la définition, à la comptabilisation et à l'évaluation des actifs, a introduit un nouvel article
321-5 dans le plan comptable général prévoyant la faculté pour une société de choisir entre deux traitements pour les coûts d'emprunt destinés à financer l'acquisition ou la production d'un actif qui exige une longue période de préparation ou de construction avant de pouvoir être utilisé ou vendu, ces frais financiers pouvant être soit comptabilisés en charges de l'exercice au cours duquel ils sont encourus, indépendamment de l'utilisation qui est faite des capitaux empruntés, soit inclus dans le coût de l'actif lorsqu'ils concernent la période de production de cet actif, jusqu'à la date d'acquisition ou de réception définitive, alors que l'article 38 quinquies de l'annexe III au code général des impôts, dans sa rédaction applicable jusqu'au
30 décembre 2005, excluait expressément que les frais financiers soient pris en compte pour le calcul de la valeur des immobilisations. D'autre part, le tribunal a retenu que malgré ce changement de législation intervenu en 2005, la société APRR a continué à déduire de manière extra comptable les intérêts intercalaires, comme une charge déductible du résultat fiscal, alors qu'au plan comptable, elle avait inscrit ces mêmes intérêts intercalaires comme des immobilisations.
4. Toutefois, il est constant que le choix de la société APRR d'inclure les intérêts intercalaires dans le prix de revient auquel elle a inscrit à son actif les ouvrages autoroutiers qu'elle a construits en exécution de plusieurs contrats de concession, a été fait au cours d'exercices clos antérieurement à 2005. Cette option était conforme aux principes généraux de la comptabilité et au demeurant explicitement recommandée par le guide comptable des entreprises cessionnaires adopté par l'avis CNC n° 13 des 8 juillet, 7 novembre et 18 décembre 1975 du conseil national de la comptabilité, lequel se borne à de simples recommandations et est dépourvu de valeur réglementaire. Le principe de permanence des méthodes comptables énoncé à l'article L. 123-17 du code de commerce lui imposait, sauf modification des règles comptables applicables à ces actifs ou changement exceptionnel dans sa situation, de continuer à appliquer cette méthode d'évaluation.
5. En vertu de l'article 321-5 du plan comptable général, dans sa version issue du règlement CRC du 23 novembre 2004 du comité de la réglementation comptable relatif à la définition, la comptabilisation et l'évaluation des actifs, applicable aux comptes des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2005, sauf option pour une application dès 2004, toute entreprise dispose, pendant la durée de construction d'une immobilisation, de la faculté de procéder comptablement à l'incorporation à l'actif des frais financiers afférents aux emprunts qu'elle a contractés pour leur production ou à leur déduction en charge. A supposer que ces dispositions soient applicables, dans l'état du droit comptable alors en vigueur, aux immobilisations telles que celles en litige, elles se sont bornées à confirmer une option antérieurement prévue par l'article 331-1 du plan comptable général issu du règlement CRC du 29 avril 1999, en précisant, conformément au principe de permanence des méthodes comptables, que le traitement retenu devait être appliqué, de façon cohérente et permanente, à tous les coûts d'emprunt directement attribuables à l'acquisition ou la production de tous les actifs éligibles de l'entreprise. Ainsi, la circonstance que la société requérante a maintenu, pour les exercices ouverts à compter de 2005, le traitement comptable qu'elle avait antérieurement adopté pour l'ensemble de ses biens de retour ne traduisait pas l'exercice par elle, à compter de ces exercices, d'une nouvelle option comptable dont elle aurait été tenue, dès lors qu'elle était désormais compatible avec la loi fiscale, de tirer les conséquences pour la détermination de son résultat fiscal. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a estimé que l'inscription comptable des intérêts intercalaires comme immobilisation valait exercice d'une option opposable à la société requérante et que, par conséquent, elle ne pouvait plus déduire ces mêmes intérêts en tant que charges pour les exercices clos en litige.
6. Si la société APRR demande à être déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale mises à sa charge, assorties des intérêts de retard et de majorations, au titre des exercices clos en 2008 et 2009, à hauteur des sommes respectives de 7 975 559 euros et 7 150 004 euros, il ressort de la proposition de rectification du 16 décembre 2011 produite au dossier que les montants en base à décharger du fait de ce chef de redressement s'élèvent à la somme de 19 173 015 euros au titre de l'exercice clos en 2008 et à la somme de 13 654 811 euros au titre de l'exercice clos en 2009. En dépit des mentions figurant dans la réclamation formée le 11 mai 2015 par la société APRR, laquelle a été rejetée le
9 décembre 2015, il ne résulte pas de l'instruction que des sommes supérieures à celles figurant dans la proposition de rectification auraient été mises en redressement à ce titre. Par suite, il y a lieu de prononcer une réduction des bases imposées à concurrence des sommes de 19 173 015 euros et 13 654 811 euros, et par conséquent, de décharger la société APRR des suppléments d'impositions afférents à ces sommes, ainsi que des pénalités et intérêts de retard correspondants, mis à la charge de cette dernière au titre respectivement des exercices clos en 2008 et 2009.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société APRR est seulement fondée à demander la réformation du jugement attaqué dans la mesure où il a rejeté sa demande à fin de décharge à concurrence des réductions de bases imposables à l'impôt sur les sociétés et à la contribution sociale déterminées au point 6. ci-dessus.
Sur l'application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ne peuvent qu'être rejetées les conclusions présentées par la société APRR au titre des dépens dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante en aurait exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : La base d'imposition à l'impôt sur les sociétés et à la contribution sociale, et des intérêts de retard et pénalités correspondants, est réduite à hauteur des sommes de 19 173 015 euros et 13 654 811 euros, au titre respectivement des exercices clos en 2008 et 2009.
Article 2 : La société APRR est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale, et des intérêts de retard et pénalités correspondants, mises à sa charge au titre des exercices clos en 2008 et 2009, à proportion des réductions des bases d'imposition décidées à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera à la société APRR la somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société APRR est rejeté.
Article 5 : Le jugement n° 1600797 du 15 décembre 2016 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
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N° 17VE00572