Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Jalys a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de l'obligation de payer les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, taxe de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue, taxe d'apprentissage et contribution au développement de l'apprentissage, établis au nom de la société à responsabilité (SARL) Asfi au titre des années 2012 et 2013, mise à sa charge en application de l'article 1724 quater du code général des impôts en qualité de codébiteur solidaire.
Par un jugement n° 1702753 du 9 avril 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 juin 2019 et 4 mars 2020, la SAS Jalys, représentée par Me Crépelle, avocat, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer la décharge de l'obligation de payer contestée ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à défaut de réponse à sa demande du 27 mai 2019 de communication de la procédure de vérification de la société Asfi, la procédure est irrégulière ;
- les avis d'imposition de la société Asfi ne lui ont pas été communiqués avant la mise en recouvrement la constituant débitrice de ces impositions ;
- l'administration fiscale n'a pas produit le procès-verbal de constatation de l'infraction de travail dissimulé ;
- l'administration fiscale ne justifie d'aucunes diligences pour recouvrer la créance fiscale auprès de l'actionnaire majoritaire de la société Asfi ou de son repreneur, ni pour produire sa créance au passif de la liquidation ;
- sa responsabilité solidaire n'est pas engagée dès lors qu'elle s'est acquittée de ses obligations de vigilance et qu'elle a vérifié l'authenticité des attestations qui lui ont été fournies par la société Asfi ; l'Urssaf a délivré des attestations conformes certifiant que la société Asfi était à jour de ses cotisations jusqu'en avril 2013 ; l'administration fiscale n'établit pas que la consultation du site de l'Urssaf lui aurait permis de constater que les attestations n'étaient pas authentiques ; rien ne l'obligeait à conserver des captures d'écran.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du travail ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dorion ;
- les conclusions de M. Met, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Jalys, qui exploite un supermarché à l'enseigne Intermarché à Roissy-en-Brie (77), a fait appel à la société Agence Savoir-Faire Intérim (Asfi), au cours de la période du 1er février 2012 au 31 octobre 2013, pour pourvoir des postes dans ses rayons boucherie, charcuterie et poissonnerie. La société Asfi a fait l'objet d'une vérification de comptabilité sur les périodes du 9 août 2011 au 30 juin 2013 et du 1er juillet 2013 au 31 décembre 2013 au cours de laquelle l'agent vérificateur a dressé un procès-verbal de constatation de travail dissimulé. A l'issue du contrôle, des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés, de taxe sur la valeur ajoutée, de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue, de taxe d'apprentissage et de contribution au développement de l'apprentissage ont été mis à la charge de la société Asfi au titre des années 2012 et 2013 par deux avis de mise en recouvrement du 15 juin 2015, dont la SAS Jalys a été constituée débitrice solidaire en application de l'article 1724 quater du code général des impôts, par deux avis de mise en recouvrement du 6 novembre 2015, à proportion de sa part dans le chiffre d'affaires de la société Asfi, pour un montant total de 54 147 euros. La SAS Jalys relève appel du jugement du 9 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande de décharge de l'obligation de payer cette somme.
2. Aux termes de l'article 1724 quater du code général des impôts : " Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail ou qui a été condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est, conformément à l'article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l'article L. 8222-3 du code précité ".
3. Aux termes de l'article L. 8222-1 du code du travail : " Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte : / 1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 (...) / Les modalités selon lesquelles sont opérées les vérifications imposées par le présent article sont précisées par décret. ". Aux termes de l'article L. 8222-2 de ce code : " Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1 (...) est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale (...) ". Il résulte de ces dispositions que la méconnaissance de l'obligation de vérification prévue par l'article L. 8222-1 du code du travail engage la responsabilité solidaire du donneur d'ordre pour le paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus au Trésor public et aux organismes de protection sociale par celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé. La solidarité instituée par ces dispositions, qui constitue une garantie pour le recouvrement des créances du Trésor public et des organismes de protection sociale, est encourue, à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession, lorsque le donneur d'ordre peut être regardé comme ayant facilité la réalisation de ce travail dissimulé ou ayant contribué à celle-ci.
4. En premier lieu, par la décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, citées ci-dessus, sous la réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que les pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.
5. Aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. (...) / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. / (...) ". Aux termes de l'article R. 256-2 du même livre : " Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement ".
6. Il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration adresse un avis de mise en recouvrement par lequel elle met en œuvre une solidarité de paiement, telle que celle qui est prévue par l'article 1724 quater du code général des impôts à l'encontre d'une société qui n'a pas procédé aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail, elle est tenue de lui adresser un avis de mise en recouvrement individuel qui doit comporter les indications prescrites par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales. Ces mentions permettent au débiteur solidaire d'obtenir, à sa demande, la communication des documents mentionnés dans cet avis de mise en recouvrement ainsi que de tout document utile à la contestation de la régularité de la procédure, du bien-fondé et de l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations correspondantes au paiement solidaire desquels il est tenu. Il suit de là qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à l'administration de communiquer au codébiteur solidaire, préalablement à l'avis de mise en recouvrement qui lui est adressé en vertu de l'article R. 256-2 du livre des procédures fiscales, les éléments de la procédure d'imposition menée à l'encontre du débiteur principal.
7. Il résulte par ailleurs de l'instruction que l'administration fiscale a produit en première instance, à l'appui de son mémoire en défense enregistré le 25 juillet 2017, le procès-verbal de constatation de l'infraction de travail dissimulé établi par l'agent vérificateur le 9 octobre 2014, ainsi que les deux propositions de rectification en date du 4 décembre 2014 adressées à la société Asfi. Sur sa demande présentée le 27 mai 2019, postérieurement au jugement attaqué, la SAS Jalys a également reçu communication, le 19 juillet 2019, de l'ensemble des pièces de la procédure de contrôle de la société Asfi. La société requérante a ainsi été mise en mesure de contester les impositions dont le paiement lui est réclamé. Elle n'est par suite pas fondée à soutenir qu'elle a été privée de la faculté de les contester.
8. En deuxième lieu, l'administration fiscale peut réclamer le paiement de la totalité des sommes à recouvrer à l'une quelconque des personnes tenues au paiement solidaire de dettes fiscales. Il s'ensuit que les poursuites peuvent être exclusivement engagées contre le débiteur solidaire et que ces poursuites ne sont pas subordonnées à l'impossibilité de recouvrer la créance auprès du débiteur principal. Le moyen tiré de ce que l'administration fiscale ne justifie pas de ses diligences pour recouvrer sa créance auprès de l'actionnaire majoritaire ou du repreneur ou pour produire à la liquidation de la société Asfi est dès lors inopérant.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article D. 8222-5 du code du travail : " La personne qui contracte, lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution : / 1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L. 243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s'assure de l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. / 2° Lorsque l'immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu'il s'agit d'une profession réglementée, l'un des documents suivants : / a) Un extrait de l'inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) (...) ". Aux termes de l'article D. 243-15 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable : " Lorsque le cocontractant emploie des salariés, l'attestation prévue à l'article L. 243-15 mentionne l'identification de l'entreprise, le nombre de salariés et le total des rémunérations déclarés au cours de la dernière période ayant donné lieu à la communication des informations prévue à l'article R. 243-13. / (...) L'attestation est sécurisée par un dispositif d'authentification délivré par l'organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions sociales. Le donneur d'ordre vérifie l'exactitude des informations figurant dans l'attestation transmise par son cocontractant par voie dématérialisée ou sur demande directement auprès de cet organisme au moyen d'un numéro de sécurité ".
10. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au donneur d'ordre de justifier de l'accomplissement de son obligation de vigilance, dans les conditions qu'elles prévoient, à la conclusion du contrat, puis tous les six mois, jusqu'à la fin de l'exécution de celui-ci. Cette obligation est méconnue pour la totalité de cette période si le donneur d'ordre n'effectue pas l'une des vérifications périodiques qui lui incombe. En cas de manquement à cette obligation de vérification, la solidarité de paiement couvre toute la durée du contrat au cours de laquelle a été constatée une infraction aux dispositions relatives au travail dissimulé.
11. En l'espèce, il est constant que la SAS Jalys, qui a fait appel aux services de la société Asfi du 1er février 2012 au 31 octobre 2013, ne s'est fait remettre par son cocontractant que deux attestations de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale émanant de l'Urssaf, l'une du 19 novembre 2012, valable au titre du 3ème trimestre 2012, l'autre du 4 mars 2013 pour la période du 4ème trimestre 2012. Dans ces conditions, la société requérante ne peut être regardée comme justifiant de l'accomplissement de l'obligation de vigilance qui lui incombait sur la durée d'exécution du contrat.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, que la SAS Jalys n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Il s'ensuit que sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Jalys est rejetée.
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N° 19VE02136