Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... et M. M... I..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayant-droits de leur fils D..., décédé le 18 juillet 2013 et de leur fille, G..., ont demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner le centre hospitalier Sud-Essonne à leur verser une somme de 1 207 000 euros en réparation des fautes commises par cet établissement lors de l'accouchement de Mme B... ayant conduit au décès de leur enfant D... et de mettre à la charge du centre hospitalier Sud-Essonne les dépens ainsi que la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un premier jugement avant-dire droit n° 1407832 du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Versailles a ordonné une expertise, avant de se prononcer sur la requête de Mme B... et de M. I....
Par un second jugement avant-dire droit n° 1407832 du 12 février 2019, le tribunal administratif de Versailles a ordonné une expertise supplémentaire.
Par un jugement n° 1407832 du 26 novembre 2019, le tribunal administratif de Versailles a condamné le centre hospitalier Sud-Essonne à verser à Mme B... et M. I... la somme de 21 000 euros en tant qu'ayants droit de leur fils D... décédé, la somme de 43 000 euros à Mme B..., la somme de 35 235,27 euros à M. I... et la somme de 6 500 euros à Mme B... et M. I... en qualité de représentants légaux de leur fille mineure G... I... ainsi qu'une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 8 484,20 euros à la charge définitive du centre hospitalier Sud-Essonne au titre des frais d'expertise.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 28 janvier 2020 et 4 juin 2020, le centre hospitalier Sud-Essonne, représenté par Me Boizard, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du 26 novembre 2019 en tant qu'il a retenu un lien de causalité direct et certain entre le retard à la réalisation de la césarienne et le décès de l'enfant D... I... et qu'il a indemnisé intégralement les préjudices, sans appliquer un taux de perte de chance ;
2°) de fixer un taux global de perte de chance en lien avec les différents manquements retenus par les premiers juges ne pouvant excéder 50 % et de l'appliquer aux préjudices retenus par le tribunal et de réformer le jugement en ramenant l'indemnisation du déficit fonctionnel de D... I... à 418 euros et celle des souffrances endurées à 7 000 euros, en rejetant les demandes de M. I... tendant à l'indemnisation d'un préjudice d'impréparation et en ramenant le préjudice d'affection de G... I... à 4 000 euros ;
3°) de rejeter l'appel incident des consorts B... et I... ;
4°) de ramener les demandes formulées par les requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à de plus justes proportions.
Il soutient que :
- les premiers juges ne pouvaient retenir un taux de perte de chance de 50 % d'échapper au risque d'une procidence de cordon si une version en manœuvre externe avait été réalisée dont Mme B... a été privée faute de contrôle de la présentation par échographie lors de la consultation du 24 mai 2013 au regard des incertitudes sur la position de l'enfant, la décision de la mère et les chances de réussite d'une version en manœuvre externe ;
- le défaut d'information sur les risques de l'accouchement par voie basse en position de siège du bébé et d'une césarienne ne saurait donner lieu à un taux de perte de chance excédant 50 % dès lors que Mme B... a bénéficié du choix de la modalité de son accouchement lors de la consultation du 28 juin 2013, qu'une césarienne programmée comporte plusieurs risques et que les déclarations de l'intéressée relatives à la certitude qu'elle aurait accepté les risques d'une telle opération sont postérieures à l'évènement et qu'il n'existe aucun élément permettant de comparer les risques en cas d'accouchement en voie basse ou césarienne ;
- il ne peut être retenu un lien direct et certain entre le retard de la césarienne au moment de la survenue de la procidence du cordon et le décès de l'enfant D..., dès lors qu'il ne peut être affirmé avec certitude que l'enfant aurait survécu si la césarienne avait été réalisée dans un délai raisonnable ; ce retard est seulement à l'origine d'une perte de chance d'éviter le décès ;
- le taux de perte de chance global ne peut excéder 50 % ;
- Mme B... et M. I... ne sont pas fondés à soutenir que le rapport du docteur J... n'a pas été rendu contradictoirement dès lors qu'ils ont été auditionnés ;
- le préjudice tiré des souffrances endurées et des troubles dans les conditions d'existence doit être réévalué à 7 000 euros pour la souffrance endurée et 418 euros pour le déficit fonctionnel temporaire avant application du taux de perte de chance ;
- les premiers juges ne pouvaient allouer une indemnité au titre de préjudice d'impréparation en lien avec le défaut d'information à M. I... dès lors, d'une part, que cette obligation d'information n'intéressait que Mme B... et que, d'autre part, M. I... n'avait pas sollicité l'indemnisation d'un tel préjudice devant les premiers juges, qui ont statué ultra-petita ;
- le préjudice de l'enfant G... I..., dès lors qu'elle n'était âgée que de trois ans au moment des faits, ne peut être indemnisé qu'à hauteur de 4 000 euros avant application du taux de perte de chance ;
- il faut appliquer un taux de perte de chance qui ne peut excéder 50 % aux préjudices subis ;
- les demandes subsidiaires des consorts B... et I... tendant à l'indemnisation forfaitaire d'une perte de chance liée au défaut d'information sont infondées ;
- les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher tendant au remboursement des frais de transfert du nouveau-né par le SAMU et les frais d'hospitalisation en réanimation du 30 juin 2013 et 18 juillet 2013 sont irrecevables et au surplus infondées.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 11 mai et 26 juin 2020, Mme B... et M. I..., représentés par Me Blard, avocat, concluent au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à ce que les sommes auxquelles le centre hospitalier a été condamné soient portées à 210 000 euros au titre des préjudices de D... I..., à 323 000 euros au titre des préjudices de Mme B..., à 222 235,27 euros au titre des préjudices de M. I... et à 100 000 euros au titre des préjudices de G... I..., à titre subsidiaire, à la condamnation du centre hospitalier Sud-Essonne à verser à Mme B... et à M. I... la somme de 80 000 euros chacun et à la mise à la charge du centre hospitalier Sud-Essonne d'une somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que des entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé une perte de chance à hauteur de 50 % d'échapper au risque de procidence du cordon si une version par manœuvre externe avait été pratiquée ;
- le décès de l'enfant D... est en lien direct et certain avec le retard de la réalisation de la césarienne constitutif d'une perte de chance de 100 % ;
- le défaut d'information sur les risques d'un accouchement en voie basse avec la présentation en siège du bébé et d'un accouchement par césarienne leur a occasionné une perte de chance de 100 % d'éviter le décès de l'enfant ;
- le docteur J... ne les a pas auditionnés de manière contradictoire avant de rendre son rapport à la commission de conciliation et d'indemnisation de la région Ile-de-France en ce qu'il a mené seul cette expertise sans interroger un pédiatre et s'est fondé seulement sur les éléments d'information communiquées par l'ONIAM et sur les déclarations des équipes médicales du centre hospitalier de Dourdan et qu'ils n'ont pu être assistés ni de leur conseil ni par un médecin-conseil ;
- le tribunal a fait une insuffisante évaluation des préjudices subis par D... I..., les sommes de 80 000 euros au titre du préjudice moral et de 50 000 pour les troubles dans les conditions d'existence doivent lui être octroyées ;
- s'agissant des préjudices de Mme B..., à titre principal, leur indemnisation doit être portée à 100 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence, 100 000 euros au titre des souffrances physiques, 100 000 euros au titre de la souffrance morale, 20 000 euros au titre d'un préjudice d'accompagnement, et, à titre subsidiaire, ils demandent de confirmer la somme allouée par le tribunal, soit 43 000 euros en réparation de l'ensemble des préjudices de Mme B..., à titre infiniment subsidiaire, en cas d'application d'une perte de chance d'éviter le décès de D... liée au défaut d'information, une indemnité de 80 000 euros ;
- les préjudices de M. I... doivent être évalués à 1 000 euros au titre des frais de déplacement,1 235,27 euros au titre des frais d'obsèques, 100 000 euros au titre des souffrances morales, 100 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence, 20 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et 3 000 euros au titre du préjudice d'impréparation lié au défaut d'information ; il y a lieu, à titre subsidiaire, de confirmer les sommes allouées en première instance soit 35 235, 27 euros en réparation de l'ensemble des préjudices de M. I..., à titre infiniment subsidiaire une somme de 80 000 euros au titre de la perte de chance d'éviter le décès de D... liée au défaut d'information ;
- les préjudices de l'enfant G... I... doivent être indemnisés à hauteur de 50 000 euros au titre des souffrances morales et 50 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence, et il y a lieu, à titre subsidiaire, de confirmer la somme allouée en première instance, soit 6 500 euros.
Par ordonnance du 19 novembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 février 2021.
Par une lettre du 20 juin 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision de la cour était susceptible d'être fondée sur un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité du moyen tiré de ce que le tribunal aurait statué ultra petita s'agissant du préjudice d'impréparation dès lors qu'il se rapporte à la contestation de la régularité du jugement, laquelle cause juridique n'a pas été discutée avant l'expiration du délai recours contentieux.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,
- et les observations de Me Eustache, substituant Me Boizard, pour le centre hospitalier Sud-Essonne et de Me Blard pour Mme B... et M. I....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., âgée de vingt-huit ans, a été suivie par le centre hospitalier de Dourdan pour sa deuxième grossesse. Le 29 juin 2013, elle y a été admise, au terme de sa 41ème semaine d'aménorrhée, pour des contractions utérines régulières et installée en salle de travail à 0 h 20, le 30 juin, pour un accouchement par voie basse d'un bébé se présentant par le siège. Après la rupture artificielle de la poche des eaux, à 4 h 10, une baisse du rythme cardiaque fœtal a été enregistrée vers 5 h10 et une procidence du cordon a été détectée à 5 h 13. Un accouchement par césarienne a été décidé, en urgence, à 5 h 18. D... I... est né à 5 h 48, en état de mort apparente avant d'être réanimé et transféré dans le service de réanimation néonatale du centre hospitalier Sud- Francilien. Le constat de l'évolution défavorable d'une encéphalopathie anoxo-ischémique de classe III a conduit les médecins à placer l'enfant en soins palliatifs, le 12 juillet. D... I... est décédé le 18 juillet 2013, à 22 h 10. Mme B... et M. I... ont saisi le 4 novembre 2013 la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, qui a ordonné une expertise médicale avant d'estimer, par un avis 19 juin 2014, que la prise en charge de la grossesse et de l'accouchement de Mme B... avait été adaptée et conforme aux règles de l'art et a rejeté leur demande. Le 8 juillet 2014, les parents de D... I... ont saisi cet établissement d'une demande préalable d'indemnisation. Le centre hospitalier Sud-Essonne, qui ne conteste pas l'engagement de sa responsabilité à raison des fautes retenues à son encontre à l'occasion du suivi de la grossesse de Mme B... et de sa prise en charge obstétricale, relève appel du jugement du 26 novembre 2019 du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il a estimé que le retard fautif de réalisation de la césarienne était en lien direct et certain avec le décès de l'enfant D... et qu'il a retenu une perte de chance à 50 % faute pour l'enfant d'avoir pu bénéficier d'une version par manœuvre externe en l'absence d'échographie le 24 mai 2013. Mme B... et M. I... agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayant-droits de leur fils décédé D... et de leur fille, G..., par la voie de l'appel incident, demandent la réformation du jugement en tant qu'il a sous évolué les préjudices qu'ils ont subis.
Sur la régularité du jugement :
2. Si le centre hospitalier Sud-Essonne soutient que les premiers juges ont statué ultra-petita en accordant la somme de 3 000 euros à M. I... au titre du préjudice d'impréparation, alors qu'il n'avait présenté aucune demande d'indemnisation au titre de ce préjudice en première instance, ce moyen, qui se rattache à la régularité du jugement qui n'a pas été contestée par ailleurs, n'a été soulevé pour la première fois qu'après l'expiration du délai d'appel et n'est pas d'ordre public. Il est donc irrecevable et doit être écarté.
Sur la régularité du rapport d'expertise du docteur J... :
3. Mme B... et M. I... se prévalent de l'irrégularité du rapport d'expertise du docteur J..., établi dans le cadre de la procédure engagée devant la commission de conciliation et d'indemnisation, en ce qu'il méconnaîtrait le principe du contradictoire du fait que l'expert aurait mené seul cette expertise sans interroger un pédiatre, qu'il s'est seulement fondé sur les éléments d'information communiqués par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et sur les déclarations des équipes médicales du centre hospitalier de Dourdan et qu'ils n'ont pu être assistés ni par leur conseil, ni par un médecin-conseil. Toutefois, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, qui ont par ailleurs diligenté eux-mêmes deux expertises médicales au rapport des docteurs F... et E... sur lesquelles ils se sont appuyés, rien ne fait obstacle à ce que le rapport d'expertise en litige, et ce quelles que soient les conditions de son élaboration, ait pu être utilisé à titre d'élément d'information. Par suite, ce moyen doit être écarté.
Sur le lien de causalité entre les fautes et le décès de l'enfant D... I... :
4. Il résulte des écritures du centre hospitalier Sud-Essonne que ce dernier conteste le lien de causalité direct et certain entre le retard à réaliser la césarienne et le décès de D... I... ainsi que les taux de pertes de chance pour les autres fautes retenues par le tribunal, sans contester formellement l'existence de ces fautes.
En ce qui concerne la perte de chance d'éviter le décès de D... I... si une échographie avait été réalisée le 24 mai 2013 :
5. Il n'est pas contesté que lors de la consultation du 24 mai 2013, le centre hospitalier Sud-Essonne a commis une faute en ne réalisant pas d'échographie alors que la sage-femme avait un doute sur la position en siège de l'enfant, position avérée par une échographie le 21 juin 2013, et ce alors qu'il était encore possible de procéder à ce stade de la grossesse à une version par manœuvre externe, permettant de repositionner l'enfant en position céphalique, laquelle est moins sujette à la procidence du cordon ombilical.
6. Il est constant que D... I... est décédé des suites d'une encéphalopathie anoxo-ischémique sévère survenue au cours de l'accouchement de Mme B..., lequel a été réalisé par césarienne en raison de la survenue d'une procidence du cordon ombilical alors que l'enfant se présentait par le siège. Il résulte de l'instruction qu'une procidence du cordon survient dans 1 % des cas en cas d'accouchement céphalique contre 11 % des cas en cas d'accouchement par le siège et que la réalisation d'une version par manœuvre externe aurait pu permettre de placer l'enfant en position céphalique et donc de réduire les risques de survenue d'une procidence du cordon. Il en résulte toutefois également, d'une part, qu'il existait un doute sur la position du fœtus le 24 mai 2013, le compte-rendu établi par la sage-femme ne faisant état que d'un doute et évoquant la possibilité qu'il soit en position transverse, et ce alors que l'échographie précédente faisait état d'une présentation par la tête. Il n'est donc pas certain que le fœtus se trouvait à cette date dans une position justifiant une version par manœuvre externe. Il en résulte également, d'autre part, que la réalisation de cette manœuvre n'est pas exempte de risques, même s'ils sont faibles, et n'aboutit à un changement de position du fœtus, selon les experts, que dans 50 % à 60 % des cas. Il en résulte enfin que la réussite d'une version par manœuvre externe n'était pas de nature à empêcher la survenue d'une procidence du cordon ombilical mais uniquement à réduire la probabilité qu'un tel évènement se réalise. Il suit de là que le centre hospitalier est fondé à soutenir que le taux de perte de chance retenu par le tribunal, se fondant sur l'évidence d'un accord de Mme B... quant à la réalisation d'une version par manœuvre externe le 24 mai 2013 et sur le pourcentage de réussite d'une telle manœuvre est excessif. Eu égard à tout ce qui précède, et aux incertitudes pesant sur la nécessité d'une telle manœuvre, ses effets et son acceptabilité par Mme B..., il y a lieu de ramener ce taux de perte de chance d'éviter le dommage en litige à 20 %.
En ce qui concerne la perte de chance d'échapper au décès de D... I... si une césarienne avait été réalisée dans un délai raisonnable :
7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport des docteurs L... et Gaudet et du rapport d'inspection de l'Agence régionale de santé produits par les requérants, que le diagnostic d'une procidence du cordon a été posé le 30 juin à 5 h 10 à l'occasion d'une bradycardie. Une manœuvre de refoulement a été entreprise dès 5 h 10 par la sage-femme puis à 5 h 13 par le docteur K... et la décision d'une césarienne en extrême urgence a été prise à 5 h 18, avec un code rouge. Mme B... a été transportée au bloc opératoire à 5 h 23 mais l'équipe du bloc était absente, nécessitant un rappel par le standard puis un rappel à 5 h 30 du médecin anesthésiste, qui est arrivé sur place entre 5 h 35 et 5 h 40 pour la réalisation d'une anesthésie générale en sus de la péridurale en place. L'intervention a débuté à 5 h 43 et l'enfant a été mis au monde à 5 h 48 en état de mort apparente. Il est décédé le 18 juillet 2013 après une orientation vers des soins palliatifs, décidée le 15 juillet. Il résulte du rapport des docteurs L... et Gaudet, comme en substance de ceux du docteur E... et du docteur F..., que, si les lésions neurologiques apparaissent 11 minutes après la survenue d'une procidence du cordon et que, dès lors, la réalisation d'une césarienne dans un délai minimum de 15 minutes s'agissant d'un code rouge ne garantit pas l'absence de séquelles neurologiques de l'enfant dans une telle situation, les risques de dommages sévères sont multipliés par deux au-delà de 20 minutes avec, au-delà de 30 minutes, des dommages irréversibles et un possible décès par arrêt cardiaque. Il suit de là, même s'il résulte notamment du rapport du docteur H... que la durée d'extraction du fœtus n'est pas le seul facteur expliquant la gravité des séquelles neurologiques, que l'extraction du fœtus est recommandée en urgence en cas de procidence et que les conséquences sont proportionnelles au délai pris entre le diagnostic de la procidence et l'extraction du fœtus. Le docteur E... comme le docteur L... ont par ailleurs mis en relation la gravité de l'état de D... I..., ayant conduit à son décès, et le délai mis à son extraction, 38 minutes après le constat d'une procidence du cordon à 5 h 10. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, le centre hospitalier Sud-Essonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles a estimé qu'il existait un lien direct et certain entre le décès de D... I... résultant d'une encéphalopathie anoxo-ischémique et le retard fautif du centre hospitalier dans la réalisation d'une césarienne, ce dernier n'étant pas formellement contesté par le centre hospitalier qui se borne à demander l'application d'un taux de perte de chance.
En ce qui concerne le défaut d'information :
8. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ".
9. La circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins, en application de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir. En particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention.
10. Le centre hospitalier Sud-Essonne ne conteste pas en appel qu'il a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n'informant pas Mme B... des risques spécifiques en cas d'accouchement par voie basse en cas de présentation en siège de l'enfant à naître, et notamment du taux plus important de survenance d'une procidence du cordon. Il résulte en revanche de l'instruction que Mme B... a exprimé ses craintes quant à un accouchement par voie basse après la découverte de la position en siège de l'enfant et a demandé à deux reprises au moins un accouchement par césarienne comme alternative à l'accouchement par voie basse qui a été proposé par l'hôpital, et ce de manière non fautive ainsi que l'a retenu le tribunal dont le jugement n'est pas contesté sur ce point, et finalement mis en œuvre. Il résulte également de l'instruction, et notamment des termes du rapport d'expertise du docteur F..., que la césarienne présente des risques anesthésiques, thrombopéniques, d'infection et d'atteinte d'organes et selon le rapport du docteur E..., que la césarienne présente un taux de morbidité et de mortalité multiplié par 3 ou 4 par rapport à la voie basse. Au regard de ces éléments, il sera fait une juste appréciation de la perte de chance de se soustraire au risque de survenue du dommage résultant du défaut d'information sur les risques d'un accouchement par voie basse d'un enfant se présentant par le siège en la fixant à 10 %.
11. Il résulte de ce qui a été exposé au point 7 qu'il existe un lien direct et certain entre le décès de D... I... et le retard fautif dans la réalisation d'une césarienne par le centre hospitalier Su-Essonne. Il n'y a donc pas lieu, contrairement à ce que ce dernier demande, de retenir un taux de perte de chance d'échapper au dommage.
Sur les préjudices et l'appel incident de Mme B... et de M. I... :
En ce qui concerne les préjudices de D... I... :
12. Il résulte de l'instruction que le docteur J... a estimé à 4/7 les souffrances endurées par D... I..., qui est resté hospitalisé 19 jours entre sa naissance et son décès, a été placé en soins palliatifs à compter du 15 juillet 2013 et s'est vu administrer des sédatifs. Si M. I... et Mme B... contestent le montant de l'indemnisation retenue par le tribunal administratif au regard des souffrances importantes de leur fils, ils ne proposent aucune évaluation concurrente des souffrances qu'il a endurées. Ainsi que le demande le centre hospitalier, il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées par D... I... en évaluant les souffrances endurées à 4/7 et il y a lieu de ramener le montant de l'indemnisation de son préjudice à 8 500 euros.
13. Il y a lieu, en outre, d'indemniser le déficit fonctionnel total de D... à hauteur de 420 euros pour la période du 30 juin au 18 juillet 2013.
14. Il y a donc lieu, par suite, de ramener la condamnation du centre hospitalier à indemniser le préjudice de D... I... à 8 920 euros.
En ce qui concerne les préjudices des parents :
S'agissant des préjudices de Mme B... :
15. Si Mme B... demande la majoration de l'indemnisation allouée par le tribunal administratif en réparation de ses préjudices, en qualité de victime directe et indirecte, en sollicitant le versement de 100 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence, 100 000 euros au titre de ses souffrances physiques, 100 000 euros au titre de son préjudice moral, 25 000 euros au titre de son préjudice d'accompagnement et 3 000 euros au titre de son préjudice d'impréparation, elle n'apporte devant la cour aucune pièce et ne développe aucune argumentation de nature à remettre en cause l'évaluation à laquelle a procédé le tribunal s'agissant des souffrances endurées, du préjudice d'affection incluant les troubles dans ses conditions d'existence, du préjudice d'impréparation et du préjudice d'accompagnement, ne remettant pas en cause en particulier l'estimation des souffrances qu'elle a endurées au cours de l'accouchement. Il y a donc lieu d'écarter son argumentation tendant à la réformation du jugement sur ces chefs de préjudice.
16. Eu égard à ce qui a été exposé au point 11 de l'arrêt, il n'y a en outre pas lieu de faire droit à l'argumentation du centre hospitalier tendant à la réduction de l'indemnisation allouée par le tribunal administratif de Versailles par application d'un taux de perte de chance.
S'agissant des préjudices de M. I... :
17. Si M. I... demande la majoration de l'indemnisation allouée par le tribunal administratif en réparation de ses préjudices en portant à 100 000 euros l'indemnisation allouée au titre de ses souffrances morales et de son préjudice d'affection, 100 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence et 20 000 euros au titre de son préjudice d'accompagnement, il n'apporte devant la cour aucune pièce et ne développe aucune argumentation de nature à remettre en cause l'évaluation à laquelle a procédé le tribunal s'agissant du préjudice d'affection incluant les souffrances morales et les troubles dans ses conditions d'existence et du préjudice d'accompagnement. Il y a donc lieu d'écarter son argumentation tendant à la réformation du jugement sur ces chefs de préjudice.
18. Par ailleurs, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.
19. Il résulte de ce qui précède que M. I..., qui ne pouvait pas être le bénéficiaire de l'information des risques encourus par Mme B... en cas d'accouchement par voie basse d'un enfant se présentant par le siège, ne pouvait pas bénéficier d'une indemnisation au titre du préjudice d'impréparation qu'il invoque. Le centre hospitalier Sud-Essonne est donc fondé à demander la réformation du jugement du tribunal administratif sur ce point et le rejet des conclusions présentées en appel tendant au maintien de l'indemnisation de ce chef de préjudice prononcée par le tribunal administratif à hauteur de 3 000 euros.
20. Enfin, eu égard à ce qui a été exposé au point 11 de l'arrêt, il n'y a pas lieu de faire droit à l'argumentation du centre hospitalier tendant à la réduction de l'indemnisation allouée par le tribunal administratif de Versailles par application d'un taux de perte de chance.
S'agissant des préjudices de Mme G... I... :
21. Le centre hospitalier demande que l'évaluation du préjudice d'affection de G... I..., indemnisé à hauteur de 6 500 euros par le tribunal administratif, soit ramenée à 4 000 euros eu égard à son âge de 3 ans au moment du dommage. Il ne conteste pas toutefois, ainsi que le soutiennent Mme B... et M. I..., que la sœur de D... I..., en dépit de son jeune âge, a pu prendre conscience des évènements ayant conduit au décès de son frère, de la tristesse de ses parents, et subir par ailleurs les troubles dans les conditions d'existence résultant de l'absence et des souffrances de ses parents. Il n'est donc pas fondé à demander la minoration de l'évaluation de ces préjudices, pas plus d'ailleurs que soit appliquée à cette évaluation un taux de perte de chance, eu égard à ce qui a été exposé au point 11.
22. Si Mme B... et M. I... demandent pour leur part que l'indemnisation du préjudice moral de leur fille soit portée à 50 000 euros et celle des troubles dans les conditions d'existence à 50 000 euros également, et même si G... I..., en dépit de son jeune âge, a nécessairement perçu l'anormalité de la situation, il n'y a pas lieu de remettre en cause la juste appréciation du tribunal administratif qui a indemnisé son préjudice d'affection, tenant compte de ses troubles dans les conditions d'existence, à hauteur de 6 500 euros.
23. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier Sud-Essonne est seulement fondé à demander la réformation du jugement du tribunal administratif de Versailles du 26 novembre 2019 en tant qu'il a indemnisé les préjudices de D... I... à hauteur de 21 000 euros et en tant qu'il a indemnisé M. I... à raison d'un préjudice d'impréparation et que Mme B... et M. I... ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement.
Sur les frais liés à l'instance :
24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier Sud-Essonne, qui doit être regardé comme la partie perdante pour l'essentiel, la somme de 1 500 euros au titre des conclusions présentées par Mme B... et M. I... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Les montants que le centre hospitalier Sud-Essonne a été condamné à verser à Mme B... et M. I... en tant qu'ayants droits de leur fils D... et à M. I... sont ramenés respectivement à 8 920 euros et 32 235,27 euros.
Article 2 : Les articles 1er et 3 du jugement du tribunal administratif de Versailles du 26 novembre 2019 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier Sud-Essonne versera la somme globale de 1 500 euros à Mme B... et M. I... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par le centre hospitalier Sud-Essonne et Mme B... et M. I... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Sud-Essonne, à Mme A... B..., à M. M... I... et aux caisses primaires d'assurance maladie d'Eure-et-Loir et du Loir-et-Cher.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2022, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Mauny, président-assesseur,
Mme Moulin-Zys, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2022.
Le rapporteur,
O. C...Le président,
P.-L. ALBERTINILa greffière,
S. DIABOUGA
La République mande et ordonne au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 20VE00284 002