Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Ouicar a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 mars 2016.
Par un jugement n° 1808638 du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 29 juillet 2020, les 4 janvier et 8 février 2021, la SAS Ouicar, représentée par Me Moraine et Me de Béchade, puis en dernier lieu par Me Vialaneix et Me Legoux, avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles pour déterminer si l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévue au a) du 1 de l'article 135 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 s'applique à ses primes d'assurance alors qu'elle n'agit pas en tant qu'assureur, les reverse à la compagnie d'assurance et qu'elles ne constituent pas son chiffre d'affaires et si la taxation de ces primes risquerait de porter atteinte à ce même article, à titre subsidiaire, pour déterminer si ces opérations d'assurance sont distinctes, indépendantes ou accessoires à ses prestations de mise en relation et, enfin, pour déterminer si le raisonnement serait différent concernant ses assurances optionnelles pour lesquelles elle facturerait une commission d'apporteur d'affaires ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les primes d'assurance versées par les particuliers qui réservent un véhicule par l'intermédiaire de sa plateforme en ligne de mise en relation et de réservation de véhicules entre particuliers ne peuvent être soumises à la taxe sur la valeur ajoutée entre ses mains dès lors que ces sommes, qui sont intégralement reversées à l'euro près à l'assureur, au nom et pour le compte duquel elle intervient en qualité d'intermédiaire transparent, ne constituent pas son chiffre d'affaires ;
- les prestations d'assurances qu'elle effectue doivent être considérées comme des prestations distinctes et indépendantes de son activité de mise en relation de propriétaires et locataires de véhicules par le biais de sa plateforme en ligne, de telle sorte qu'elles doivent obéir au régime qui leur est propre et être exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en application du 2° de l'article 261 C du code général des impôts.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 8 décembre 2020 et le 26 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SAS Ouicar ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- les arrêts de la Cour de Justice de l'Union européenne C-581/19 et 4 mars 2021 et C-224/11 du 17 janvier 2013 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique.
- et les observations de Me Vialaneix, pour la société Ouicar.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Ouicar, qui exploite une plateforme en ligne de mise en relation et de réservation de véhicules entre particuliers, a fait l'objet d'un contrôle sur pièces au terme duquel lui ont été notifiés, par proposition de rectification du 24 mai 2016, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 mars 2016, assortis d'intérêts de retard. La société Ouicar fait appel du jugement du 22 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
2. D'une part, aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". L'article 267 du même code dispose : " I. - Sont à comprendre dans les bases d'imposition : / (...) 2º Les frais accessoires aux livraisons de biens ou prestations de services tels que commissions, intérêts, frais d'emballage de transport et d'assurance demandés aux clients ".
3. Aux termes de l'article 261 C du code général des impôts, qui transpose en droit interne les dispositions de l'article 135 paragraphe 1 sous a) de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 2° Les opérations d'assurance et de réassurance ainsi que les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et intermédiaires d'assurances ".
4. D'autre part, il résulte des dispositions de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que lorsqu'une opération économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, il y a lieu de prendre en compte toutes les circonstances dans lesquelles elle se déroule aux fins de déterminer si l'on se trouve en présence de plusieurs prestations ou livraisons distinctes ou d'une prestation ou livraison complexe unique. Chaque prestation ou livraison doit en principe être regardée comme distincte et indépendante. Toutefois, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la taxe sur la valeur ajoutée. De même, dans certaines circonstances, plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies et taxées séparément, doivent être regardées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes. Tel est le cas lorsque, au sein des éléments caractéristiques de l'opération en cause, certains éléments constituent la prestation principale, tandis que les autres, dès lors qu'ils ne constituent pas pour les clients une fin en soi mais le moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de la prestation principale, doivent être regardés comme des prestations accessoires partageant le sort fiscal de celle-ci. Tel est le cas, également, lorsque plusieurs éléments fournis par l'assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule opération économique indissociable, le sort fiscal de celle-ci étant alors déterminé par celui de la prestation prédominante au sein de cette opération.
5. Il résulte de l'instruction que la société Ouicar exploite une plateforme en ligne de mise en relation et de réservation de véhicules entre particuliers, activité pour laquelle elle n'est ni propriétaire des véhicules proposés à la location ni davantage partie au contrat de location. Le propriétaire du véhicule loue celui-ci au locataire qui verse le prix de la location à la société Ouicar qui l'encaisse au nom et pour le compte du propriétaire du véhicule. Une assurance responsabilité civile et préjudice corporel au profit des locataires et une assurance dommages tous risques pour le propriétaire est automatiquement incluse lors de la location, sans aucune formalité à accomplir. Elle est comprise dans la somme payée en ligne par le locataire et fait bénéficier le véhicule d'une assurance tous risques pour la durée de la location. La société Ouicar reverse 70 % du prix de la location au propriétaire, garde les frais de mise en relation, qui constituent sa rémunération et rétrocède intégralement, à l'euro près, à l'assureur, les sommes résultant de la perception des primes d'assurance qu'elle a pré-négociées, sans prélever aucune commission d'intermédiation. L'administration a assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée les prestations d'assurance proposées par la société Ouicar au motif que ces prestations constituent une activité accessoire suivant le sort fiscal de la prestation principale de location de véhicules.
6. Il résulte toutefois de l'instruction et notamment des conditions générales d'utilisation du service, rappelées au point 5, que la société Ouicar réalise, non pas une prestation de location de véhicules, comme l'ont relevé l'administration fiscale et le tribunal administratif, mais une prestation de mise en relation entre propriétaires et locataires via sa plateforme en ligne. La prestation d'assurance ne saurait ainsi constituer une prestation accessoire d'une prestation principale de location de véhicule. En outre et dès lors que la plateforme n'a pas pour objet de fournir une prestation à destination des " utilisateurs ", c'est-à-dire des locataires potentiels, mais traduit un " service en ligne " seulement ouvert aux propriétaires de véhicules éligibles (article 8.1), ces derniers doivent être regardés comme le consommateur moyen du point de vue duquel la finalité autonome de la prestation d'assurance doit être appréciée. Si celle-ci est certes fournie au sein de l'offre globale de prestations proposée par la société Ouicar, sa finalité économique, à savoir couvrir le véhicule contre des risques éventuels, peut être réalisée indépendamment de la prestation principale de mise en relation. Ainsi et, à supposer même qu'une telle prestation d'assurance fournie au propriétaire par la société facilite la jouissance du service de mise en relation, il y a lieu de considérer qu'elle constitue essentiellement une fin en soi pour le preneur propriétaire, et non, seulement, le moyen de bénéficier de ce service dans les meilleures conditions. En outre, la prestation d'assurance représente 10,88 % des 30 % du prix de la location conservés à titre de rémunération par la société Ouicar et supportés par le propriétaire, soit une proportion d'un tiers qui, manifestement, ne saurait être qualifiée de minime ou, a fortiori, de marginale. Dans ces conditions, et nonobstant l'absence de facturation distincte et l'impossibilité pour le propriétaire ou le locataire de refuser la prestation d'assurance, ces prestations d'assurance ne peuvent donc être regardées comme accessoires par rapport à la prestation principale de mise en relation. Il en résulte que la société Ouicar est fondée à soutenir que les opérations en litige étaient exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en application du 2° de l'article 261 C du code général des impôts.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, ni de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la société Ouicar est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à la société Ouicar de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1808638 du 22 juin 2020 est annulé.
Article 2 : La SAS Ouicar est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 mars 2016.
Article 3 : L'État versera à la société Ouicar une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ouicar et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 11 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,
Mme Danielian, présidente-assesseure,
Mme Liogier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 novembre 2022.
La rapporteure,
I. A...La présidente,
L. Besson-LedeyLa greffière,
A. Audrain-Foulon
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 20VE01815