Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Fondation Jérôme B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 17 juillet 2015 par laquelle l'Agence de la biomédecine a autorisé l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille à mettre en œuvre le protocole de recherche sur des embryons ayant pour finalité l'étude de l'expression du CD146 chez l'embryon humain.
Par un jugement n° 1610358 du 21 juin 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 17VE02492 du 12 mars 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur l'appel de la Fondation Jérôme B..., annulé ce jugement et la décision de l'Agence de la biomédecine du 17 juillet 2015 et a mis à la charge de cette dernière la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une décision n° 430694 du 23 décembre 2020, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par l'Agence de la biomédecine, a annulé cet arrêt du 12 mars 2019 et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Procédure devant la cour après renvoi :
Par un mémoire enregistré après renvoi le 1er avril 2021, la Fondation Jérôme B..., représentée par Me Hourdin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1610358 du 21 juin 2017 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 17 juillet 2015 par laquelle l'Agence de la biomédecine a autorisé l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille à mettre en œuvre le protocole de recherche sur des embryons ayant pour finalité l'étude de l'expression du CD146 chez l'embryon humain ;
3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a méconnu le principe de l'égalité des armes en appelant l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille dans la cause comme observateur ;
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- les premiers juges ont omis de répondre au moyen soulevé dans son mémoire du 11 mai 2017 et tiré de la violation, par la décision contestée, de l'article 16 du code civil ;
- l'Agence de la biomédecine n'a pas vérifié que le projet de recherche en litige reposait sur l'information et le consentement des couples géniteurs, conformément au II de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique ;
- le recours aux embryons méconnaît l'article 16 du code civil, l'article 18 de la Convention dite d'Oviedo et les dispositions des 1° et 3° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2021, l'Agence de la biomédecine, représentée par la SCP Piwnica et Molinié, conclut au rejet de la requête à ce que soit mise à la charge de la Fondation Jérôme B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la Fondation Jérôme B... ne justifie pas d'un intérêt à agir contre la décision du 17 juillet 2015 ;
- le président de cette fondation ne justifie pas de sa qualité pour agir en son nom ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 2 avril 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 17 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Moulin-Zys, rapporteure publique,
- et les observations de Me Hourdin, représentant la Fondation Jérôme B..., et de Me de Cénival, représentant l'Agence de la biomédecine.
Une note en délibéré présentée par l'Agence de la biomédecine a été enregistrée le 14 novembre 2022.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 17 juillet 2015, l'Agence de la biomédecine a autorisé, pour une durée d'un an, le centre hospitalier universitaire de Marseille (Hôpital La Conception, laboratoire de biologie de la reproduction) à mettre en œuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain, ayant pour finalité l'étude de l'expression du CD 146 chez l'embryon humain. La Fondation Jérôme B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 21 juin 2017 qui a rejeté sa demande en annulation de cette décision.
Sur les fins de non-recevoir opposées par l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille :
2. Aux termes de l'article 1er de ses statuts : " La fondation Jérôme B... a pour but de poursuivre l'œuvre à laquelle le professeur A... B... a consacré sa vie : / la recherche médicale sur les maladies de l'intelligence et sur les maladies génétiques, / - l'accueil et les soins des personnes, notamment celles atteintes de la trisomie 21 ou d'autres d'anomalies génétiques, dont la vie et la dignité doivent être respectées de la conception à la mort ". Conformément à l'article 2 de ces statuts, qui énumère les moyens d'action permettant à la fondation de poursuivre la réalisation de son objet, la fondation finance des projets de recherche en matière de thérapie cellulaire préservant, dans le respect des principes énoncés dans ses statuts, l'intégrité des embryons humains. La fondation justifie ainsi, en raison de son objet, d'un intérêt à agir contre une décision qui a pour effet d'autoriser des recherches ayant pour effet la destruction d'embryons issus de fécondations in vitro. Par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut d'un tel intérêt doit être écartée.
3. Aux termes de l'article 8 des statuts de la Fondation Jérôme B... : " Le président représente la fondation dans tous les actes de la vie civile. (...) Le président ne peut être représenté en justice que par un mandataire agissant en vertu d'une procuration spéciale ". Ainsi, l'action est régulièrement engagée par M. Jean-Marie Le Mené, président de la fondation requérante. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité pour agir de ce dernier doit être écartée.
Sur la légalité de la décision du 17 juillet 2015 :
4. L'article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose que : " I.- Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si : 1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ; 2° La recherche, fondamentale ou appliquée, s'inscrit dans une finalité médicale ; 3° En l'état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ; 4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation par l'Agence de la biomédecine d'un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain est subordonnée à la satisfaction de l'ensemble des conditions posées au I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique. Chacune de ces conditions est distincte des autres, sa portée devant cependant être appréciée au vu de l'objectif poursuivi par le législateur. La condition, figurant au 1° de ce I, selon laquelle la pertinence scientifique de la recherche doit être établie, impose que l'utilité d'entreprendre la recherche et sa qualité scientifique, notamment méthodologique, soient établies. Elle ne se confond pas avec la condition, figurant au 3° de ce I, selon laquelle la recherche ne doit pas pouvoir, en l'état des connaissances scientifiques, être menée sans recourir à des embryons ou des cellules souches embryonnaires, qui comporte la vérification du moment et de l'étendue du recours projeté par le protocole à l'embryon humain ou à des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain, ce recours devant être différé et limité autant qu'il demeure scientifiquement pertinent de le faire.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et notamment des rapports d'experts ayant précédé la délivrance de l'autorisation contestée, que la condition relative à la pertinence scientifique de la recherche, prévue au 1° du I de l'article L. 2151-1 précité, devait être regardée comme remplie eu égard à l'intérêt que représentait la recherche d'un marqueur chimique des chances de succès de l'implantation d'un embryon dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et à la validation scientifique, dans l'ensemble, des choix méthodologiques opérés.
7. En revanche, il ressort des mêmes rapports d'experts que, si l'objet même de l'étude supposait le recours à des embryons et si l'impact de la forme soluble du CD146 avait été reconnue comme empêchant l'implantation de l'embryon chez la souris, des tests préalables sur la souris auraient permis d'estimer la fenêtre d'expression du CD146 et ainsi le stade auquel il aurait été pertinent d'analyser cette expression chez l'embryon humain. La recherche autorisée a au contraire opté pour une recherche de l'expression du CD146 à plusieurs stades du développement embryonnaire pour déterminer ce stade d'expression de telle sorte qu'il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que l'étendue du recours à l'embryon ait été limité autant qu'il demeurait scientifiquement pertinent de le faire, nonobstant la circonstance que l'unité de recherche ait prévu de mettre au point les techniques d'expression de la protéine CD 146 chez des embryons de rongeurs.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la Fondation Jérôme B... est fondée soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine le paiement à la Fondation Jérôme B... d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, la Fondation Jérôme B... n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées au titre des mêmes dispositions par l'Agence de la biomédecine et l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille ne peuvent être que rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1610358 du 21 juin 2017 du tribunal administratif de Montreuil et la décision du 17 juillet 2015 de l'Agence de la biomédecine sont annulés.
Article 2 : L'Agence de la biomédecine versera une somme de 2 000 euros à la Fondation Jérôme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'Agence de la biomédecine et l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Fondation Jérôme B..., à l'Agence de la biomédecine, à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille et au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président,
M. Mauny, président assesseur,
Mme Villette, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.
La rapporteure,
A. C...
Le président,
P.-L. ALBERTINI La greffière,
F. PETIT-GALLAND
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 20VE03407 002