Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 13 mai 2015 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé, pour une durée de cinq ans, l'unité 1197 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) à mettre en œuvre un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines. Par un jugement n° 1610384 du 21 juin 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 17VE02493 du 12 mars 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur l'appel de la Fondation Jérôme Lejeune, annulé ce jugement et la décision du 13 mai 2015.
Par une décision n° 430693 du 23 décembre 2020, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par l'Agence de la biomédecine, a annulé cet arrêt du 12 mars 2019 et renvoyé l'affaire devant la cour.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par un mémoire, enregistré le 1er avril 2021, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Hourdin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1610384 du 21 juin 2017 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision de l'Agence de la biomédecine du 13 mai 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- l'Agence de la biomédecine a méconnu les dispositions de l'article R. 2151-2 du code de la santé publique ;
- l'Agence de la biomédecine n'a pas vérifié que le projet de recherche litigieux reposait sur l'information et le consentement des couples géniteurs, conformément au II de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique ;
- la décision contestée méconnaît les dispositions du 3° du I de l'article L. 2151-1 du code de la santé publique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2021, l'Agence de la biomédecine, représentée par la SCP Piwnica et Molinié, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 2 avril 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 17 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Moulin-Zys, rapporteure publique,
- et les observations de Me Hourdin, représentant la Fondation Jérôme Lejeune, et de Me de Cénival, représentant l'Agence de la biomédecine.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 13 mai 2015, publiée au Journal officiel de la République française le 5 novembre 2015, l'Agence de la biomédecine a autorisé, en application des dispositions de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (unité 1197 dirigée par le professeur A...) à mettre en œuvre, pour une durée de cinq ans, un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines. Ce projet de recherche, qui s'inscrit dans la continuité d'un précédent projet autorisé en 2006 portant sur les conditions de différenciation de ces cellules souches et renouvelé une première fois le 17 décembre 2010 aux fins d'étudier la caractérisation des progéniteurs mésenchymateux obtenus à partir de progéniteurs mésodermiques issus des cellules souches embryonnaires humaines, a pour finalité l'étude de la capacité de l'hémangioblaste issu des cellules souches embryonnaires humaines à générer des progéniteurs endothéliaux fonctionnels. La Fondation Jérôme Lejeune relève appel du jugement du 21 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 13 mai 2015 de l'Agence de la biomédecine.
Sur la régularité du jugement :
2. Pour répondre au moyen tiré de la violation, par la décision contestée du 13 mai 2015, de l'article R. 2151-2 du code de la santé publique, les premiers juges se sont fondés sur l'ensemble des rapports d'experts et d'inspection produits devant eux. La motivation retenue permet de comprendre les éléments de ces rapports qui ont emporté leur conviction et fondent le dispositif du jugement. Par suite la Fondation Jérôme Lejeune n'est pas fondée à soutenir que ce jugement serait entaché d'irrégularité, faute d'une motivation suffisante.
Sur la légalité de la décision du 13 mai 2015 :
3. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2151-7 du code de la santé publique : " Tout organisme qui assure, à des fins de recherche, la conservation d'embryons ou de cellules souches embryonnaires doit être titulaire d'une autorisation délivrée par l'Agence de la biomédecine ". Il résulte du troisième alinéa du même article que l'Agence de la biomédecine peut, à tout moment, suspendre ou retirer une telle autorisation en cas de méconnaissance des dispositions auxquelles est subordonnée sa délivrance, au nombre desquelles figurent celles du titre Ier du livre II de la première partie de ce code, relatives au respect du corps humain. En vertu du cinquième alinéa du même article : " Les organismes mentionnés au premier alinéa ne peuvent céder des embryons ou des cellules souches embryonnaires qu'à un organisme titulaire d'une autorisation délivrée en application du présent article ou de l'article L. 2151-5. L'Agence de la biomédecine est informée préalablement de toute cession ". L'article R. 2151-19 du même code dispose que : " Le directeur général de l'agence de la biomédecine autorise la conservation d'embryons et de cellules souches embryonnaires, après avis du conseil d'orientation, pour une durée déterminée, qui ne peut excéder cinq ans, renouvelable dans les mêmes conditions. (...) / Préalablement à la décision du directeur général, l'agence de la biomédecine évalue les conditions de mise en œuvre de la conservation. / (...) L'agence (...) évalue les moyens et dispositifs mis en œuvre garantissant (...) la traçabilité des embryons et des cellules souches embryonnaires ".
4. D'autre part, l'article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose que : " I. - Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si : / (...) 4o Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. / (...) III.- Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites. (...) ". L'article R. 2151-1 du même code prévoit que : " Le directeur général de l'Agence de la biomédecine peut autoriser, dans les conditions fixées par l'article L. 2151-5, un protocole de recherche sur l'embryon ou sur les cellules souches embryonnaires, après avis du conseil d'orientation, pour une durée déterminée qui ne peut excéder cinq ans, renouvelable dans les mêmes conditions " et l'article R. 2151-2 de ce code que : " Outre la vérification des conditions fixées à l'article L. 2151-5, l'agence de la biomédecine (...) évalue les moyens et dispositifs garantissant (...) la traçabilité des embryons et des cellules souches embryonnaires ".
5. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point précédent que l'Agence de la biomédecine ne peut délivrer une autorisation de conservation sur le fondement de l'article L. 2151-7 du code de la santé publique si la traçabilité des embryons et des cellules souches embryonnaires, qui est destinée à assurer le respect des principes éthiques auxquels le législateur subordonne la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, n'est pas garantie par l'organisme qui sollicite cette autorisation. Il en résulte également qu'il incombe à l'agence de veiller, notamment à l'occasion des inspections qu'elle diligente, à ce que cette traçabilité demeure garantie pendant toute la durée de validité de l'autorisation délivrée et, à défaut, de suspendre ou retirer cette autorisation.
6. Il résulte aussi de ces dispositions qu'il en va de même s'agissant des autorisations de recherche délivrées sur le fondement de l'article L. 2151-5 du même code, dont la délivrance comme le maintien sont, de la même façon, subordonnés à la garantie par le bénéficiaire de l'autorisation de la traçabilité, dès leur remise pour cette recherche et tout au long de celle-ci, des embryons et des cellules souches embryonnaires. La délivrance ou le maintien de l'autorisation de recherche ne sont en revanche pas subordonnés à la garantie par le bénéficiaire de cette autorisation de la traçabilité des embryons ou des cellules souches embryonnaires par l'organisme titulaire d'une autorisation de conservation qui les lui remet, l'autorisation dont bénéficie cet organisme tiers étant distincte de l'autorisation de recherche, laquelle n'est prise ni sur son fondement ni pour son application, et étant elle-même subordonnée à cette garantie de traçabilité dans les conditions mentionnées au point 3. Il revient seulement à l'Agence de la biomédecine, compétente pour délivrer, suspendre ou retirer l'une comme l'autre de ces autorisations, et à laquelle l'article R. 2151-11 du code de la santé publique confie la tenue d'un registre national des embryons et cellules souches embryonnaires permettant d'établir le lien entre les données résultant des autorisations de conservation et celles résultant des autorisations de recherche, de vérifier que l'autorisation de conservation de l'organisme le cas échéant sollicité pour la remise des embryons ou cellules souches embryonnaires humaines destinés à la recherche soumise à son autorisation est en cours de validité, à la date à laquelle cette autorisation est accordée et tout au long de la période pour laquelle elle l'est, et que ni sa suspension ni son retrait ne sont engagés.
7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que l'unité U935 de l'INSERM, en charge de la conservation des cellules souches embryonnaires humaines (CESh) utilisée dans le protocole de recherche en litige disposait, à la date de la décision contestée, d'une autorisation de conservation. Il ne ressort pas de ces mêmes pièces qu'à la même date, une procédure de retrait ou de suspension de cette autorisation ait été engagée par l'Agence de la biomédecine. Par ailleurs, si le rapport du 29 décembre 2014 de la mission d'inspection des conditions matérielles et techniques de réalisation du protocole de recherche mené par l'unité U1197 de l'INSERM indique qu'" une traçabilité sera mise en place ", il ressort du rapport d'inspection du 12 novembre 2010 sur les conditions matérielles et techniques du projet initial, renouvelé par l'autorisation contestée, qu'a pu être vérifiée, dans cette unité, la traçabilité du devenir des cultures fournies par l'unité U935. La Fondation Jérôme Lejeune ne produit aucun élément de nature à remettre en cause la pertinence des modalités de traçabilité arrêtées au sein de cette unité U1197 et vérifiées par l'Agence de biomédecine à l'occasion de la délivrance de l'autorisation du 13 mai 2015. Dès lors, la Fondation Jérôme Lejeune n'est pas fondée à soutenir que cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article R. 2151-2 du code de la santé publique.
8. En deuxième lieu, dans le cas où, comme en l'espèce, des recherches sont envisagées sur des cellules souches embryonnaires humaines ayant fait l'objet d'une autorisation d'importation, il est exigé que le couple donneur dont est issu l'embryon ait consenti au don de cet embryon, dans le pays où le don a eu lieu, dans les conditions définies à l'article R. 2151-13 du code de la santé publique. Le recueil préalable du consentement écrit du couple donneur prévu par l'article L. 2151-5 en cas de don d'embryon consenti sur le territoire français à des fins de recherche n'est, dans ce cas, pas exigé. Par ailleurs, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s'il en constitue la base légale. Or les autorisations de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ne sont pas des actes pris pour l'application des autorisations d'importation de ces mêmes cellules, lesquelles ne constituent pas davantage leur base légale. Dès lors, la fondation requérante ne peut utilement soutenir que le consentement libre et éclairé de chacun des membres du couple ou du membre survivant du couple dont sont issues les cellules souches embryonnaires humaines utilisées par le protocole litigieux n'aurait pas été recueilli préalablement à l'édiction de la décision attaquée.
9. En dernier lieu, la condition, figurant au 3° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique suppose que la recherche ne doit pas pouvoir, en l'état des connaissances scientifiques, être menée sans recourir à des embryons ou des cellules souches embryonnaires, ce qui comporte la vérification du moment et de l'étendue du recours projeté par le protocole à l'embryon humain ou à des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain, ce recours devant être différé et limité autant qu'il demeure scientifiquement pertinent de le faire.
10. En l'espèce, il ressort de tous les rapports d'experts et d'instruction préalables à la délivrance de l'autorisation contestée que la mise au point d'un nouveau protocole de différenciation permettant d'obtenir des progéniteurs endothéliaux justifie le recours aux cellules souches embryonnaires humaines et que l'utilisation des cellules pluripotentes induites nécessiterait " un large dépistage initial pour retrouver des cellules capables de donner des hémangioblastes " avec le risque d'avoir une insuffisante stabilité génétique, empêchant de réaliser correctement la mise au point des techniques. L'unité U1197 prévoit de recourir aux cellules pluripotentes induites dès ce protocole mis au point. Par ailleurs, l'utilisation du sang de cordon ou de sang de sujet humain adulte ne permet pas d'obtenir ces progéniteurs endothéliaux en nombre suffisant pour envisager la mise au point d'un traitement thérapeutique. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée méconnaîtrait les dispositions du 3° du I de l'article L. 2151-1 du code de la santé publique.
11. Il résulte de ce qui précède que la Fondation Jérôme Lejeune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Agence de la biomédecine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la Fondation Jérôme Lejeune demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'Agence de la biomédecine et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la Fondation Jérôme Lejeune est rejetée.
Article 2 : La Fondation Jérôme Lejeune versera à l'Agence de la biomédecine la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la Fondation Jérôme Lejeune, à l'Agence de la biomédecine, à l'Institut national de santé et de recherche médicale et au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président,
M. Mauny, président assesseur,
Mme Villette, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.
La rapporteure,
A. B...
Le président,
P.-L. ALBERTINI
La greffière,
F. PETIT-GALLAND
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 20VE03409002