Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la réduction, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 à raison d'une plus-value de cession de titres réalisée en 2011 et placée en report d'imposition.
Par un jugement n° 1709225 du 25 février 2020, le tribunal administratif de
Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 mai 2020 et 13 novembre 2020, M. et Mme B... représentés par la SCP Boulloche, avocat, puis le cabinet Colin-Stoclet, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il ne vise ni n'analyse l'ensemble des mémoires des parties, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;
- le réinvestissement qu'ils ont opéré a respecté les exigences posées par l'article 150-0 D bis du code général des impôts dès lors que la quotité à réinvestir d'une plus-value de l'année 2011 devenant taxable au barème progressif au cours de la période qui s'est ouverte le 1er janvier 2013 doit en réalité être déterminée à partir du montant de cette plus-value, corrigé par un coefficient d'érosion monétaire, au regard de la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016 ;
- la plus-value doit être imposée au titre de l'année 2011, selon le régime d'imposition applicable lors de sa réalisation, et non être imposée au titre de l'année 2014 ;
- la taxation à l'impôt sur le revenu de la plus-value réalisée lors de la cession de parts de la société anonyme MPF et placée en report d'imposition devrait être limitée au montant non réinvesti de cette plus-value ;
- subsidiairement ce régime d'imposition de la plus-value dont le report d'imposition est remis en cause postérieurement au 1er janvier 2013, qui est de 40 % supérieure à celle normalement due, constitue un régime d'imposition-sanction à caractère pénal qui méconnaît les exigences de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le juge de l'impôt doit pouvoir exercer son pouvoir de modération sur cette sanction ;
- ce régime d'imposition méconnaît également les exigences de l'article 15-1 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'administration ayant fait application d'un régime de sanction plus sévère que celui qui était en vigueur en 2011, contraire au principe de non-rétroactivité des peines plus sévères ;
- en toute hypothèse, et plus subsidiairement, ce régime d'imposition est confiscatoire et contraire aux exigences de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 21 septembre et 24 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 ;
- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 ;
- la décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016 du Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... ont cédé, le 3 mars 2011, 312 actions de la société anonyme MPF et ont placé la plus-value réalisée grâce à cette cession, d'un montant de 512 647 euros, sous le régime du report d'imposition prévu à l'article 150-0 D bis du code général des impôts. A l'issue du contrôle sur pièces dont ils ont fait l'objet au titre des revenus de l'année 2014, l'administration fiscale a estimé que la condition de réinvestissement de la plus-value dans la souscription au capital d'une société éligible, dans un délai de trente-six mois et à hauteur de 80 % de son montant net des prélèvements sociaux, fixée au a) du 3° du II de l'article 150-0 D bis, n'avait pas été satisfaite, entraînant l'exigibilité immédiate de l'impôt sur le revenu sur la plus-value en report de 512 647 euros. Cette somme a été imposée dans les conditions du 2° du A de l'article 200 du code général des impôts selon les modalités applicables au titre des revenus de l'année 2014, et après application d'un coefficient d'érosion monétaire de 1,039, conformément à la décision du Conseil Constitutionnel du 22 avril 2016 (QPC n° 2016-538), soit une plus-value imposable de 493 404 euros. M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans le dernier état de leurs écritures, de prononcer la réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 à hauteur de la taxation du seul montant non réinvesti de la plus-value réalisée. Par un jugement du 25 février 2020, dont ils font appel, le tribunal a rejeté leur demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " [La décision] contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. ".
3. Si M. et Mme B... soutiennent que ces dispositions ont été méconnues dès lors que le jugement attaqué ne procèderait pas au visa et à l'analyse de l'ensemble des mémoires des parties produits devant le tribunal, ils n'apportent aucune précision à l'appui de leurs allégations et n'indiquent pas, en particulier, quels seraient les mémoires que le tribunal aurait insuffisamment analysé. Dès lors, ce moyen, qui n'est pas assorti des précisions indispensables afin de mettre la cour à même d'en apprécier le bien-fondé, ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé de l'imposition de la plus-value :
4. Aux termes de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, dans sa version issue de l'article 80 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, applicable au litige : " I.-1. L'imposition de la plus-value retirée de la cession à titre onéreux d'actions ou de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts peut être reportée si les conditions prévues au II sont remplies. / Le report est subordonné à la condition que le contribuable en fasse la demande et déclare le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. / (...) II.- Le bénéfice du report d'imposition prévu au 1 du I est subordonné au respect des conditions suivantes : 1° Les titres ou droits cédés doivent avoir été détenus de manière continue depuis plus de huit ans (...) ; / 3° Le report d'imposition est, en outre, subordonné au respect des conditions suivantes : a) Le produit de la cession des titres ou droits doit être investi, dans un délai de trente-six mois et à hauteur de 80 % du montant de la plus-value net des prélèvements sociaux, dans la souscription en numéraire au capital initial ou dans l'augmentation de capital en numéraire d'une société (...) / III - Le non-respect de l'une des conditions prévues au II entraîne l'exigibilité immédiate de l'impôt sur la plus-value, sans préjudice de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727, décompté de la date à laquelle cet impôt aurait dû être acquitté. (...) / III bis. - Lorsque les titres ayant fait l'objet de l'apport prévu au a du 3° du II sont détenus depuis plus de cinq ans, la plus-value en report d'imposition est définitivement exonérée. (...) ".
5. Les dispositions précitées, qui permettent d'obtenir sous certaines conditions le report optionnel de l'imposition de la plus-value réalisée à l'occasion de la cession à titre onéreux d'actions ou de parts de sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés, n'ont pas pour effet de différer le paiement d'une imposition qui aurait été établie au titre de l'année de réalisation de la plus-value, mais seulement pour effet de permettre, par dérogation à la règle suivant laquelle le fait générateur de l'imposition d'une plus-value est constitué au cours de l'année de sa réalisation, de constater et de liquider la plus-value l'année de sa réalisation et de l'imposer l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition, qui peut notamment être le non-respect des règles de réinvestissement du produit de la cession prévues au 3° de l'article 150-0 D bis. Le montant de la plus-value est ainsi calculé en appliquant les règles d'assiette en vigueur l'année de sa réalisation, mais son imposition obéit, s'agissant d'un report optionnel, aux règles de calcul de l'impôt en vigueur l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition.
6. En premier lieu, pour contester le rehaussement en litige, M. et Mme B... font valoir que le réinvestissement qu'ils ont opéré à hauteur de 318 000 euros a respecté les exigences posées par l'article 150-0 D bis du code général des impôts dès lors que la quotité à réinvestir doit être déterminée à partir du montant de cette plus-value, corrigé du coefficient d'érosion monétaire. Le montant de la plus-value se trouverait ainsi ramené à 362 807 euros, puis nette des prélèvements sociaux, à 293 600 euros, de sorte que le niveau du réinvestissement requis ne serait que de 234 880 euros. Toutefois, l'article 150-0 D bis du code général des impôts subordonne le bénéfice du report d'imposition qu'il prévoit à une condition de réinvestissement de 80 % du montant de la plus-value de cession, net des prélèvements sociaux, dans un délai de trente-six mois suivant la cession, sans qu'il y ait lieu, contrairement à ce qui est soutenu, de tenir compte du coefficient d'érosion monétaire, lequel a pour seul objet de déterminer la fraction de la plus-value soumise à l'impôt sur le revenu, en modérant son imposition pour tenir compte des évolutions législatives ayant affecté le sort des plus-values restées en report d'imposition, et demeure sans incidence sur les modalités de mise en œuvre des dispositions de l'article
150-0 D bis du code général des impôts. Dans ces conditions, M. et Mme B... ne sont, par suite, pas fondés à soutenir qu'en réinvestissant 318 000 euros, soit 71 % de la plus-value réalisée, ils ont satisfait à la condition de réinvestissement posée par les dispositions de l'article 150-0-D bis du code général des impôts.
7. En deuxième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que M. et Mme B... n'ont pas rempli la condition de réinvestissement au 3 mars 2014, date de l'expiration du délai de trente-six mois qui a couru à compter de la date de cession des titres, telle qu'elle est prévue par les dispositions citées au point 4. Ainsi, l'absence de respect de cette condition a entraîné l'exigibilité immédiate de l'impôt sur la plus-value, au titre de l'année au cours de laquelle est intervenue l'expiration du report d'imposition de la plus-value, soit en 2014. C'est, par suite, à bon droit que l'administration a imposé la plus-value à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2014 selon le régime d'imposition applicable cette année et non en 2011, ainsi qu'il est soutenu.
8. En troisième lieu, M. et Mme B... font valoir que le rehaussement de leurs revenus imposables au titre de l'année 2014 devrait être limité au seul montant de la plus-value non réinvestie. Il résulte toutefois des dispositions précitées, applicables aux cessions réalisées entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2012, quelle que soit l'année de réalisation de l'évènement entraînant la fin du report d'imposition, que le montant total de la plus-value réalisée, net de prélèvements sociaux, doit être placé en report d'imposition et que ce montant total devient imposable en cas d'absence de réinvestissement dans les conditions fixées au II de l'article 150-0 D bis précité. A cet égard, et ainsi que l'a relevé le tribunal, les requérants ne peuvent utilement faire valoir que l'article 10 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, qui ne s'applique qu'aux gains nets et profits réalisés à compter du 1er janvier 2013, prévoit un réinvestissement dans un délai de vingt-quatre mois et à hauteur de 50 % du montant de la
plus-value net des prélèvements sociaux en report d'imposition et limite l'imposition due au montant de la plus-value qui n'a pas fait l'objet d'un réinvestissement dans les vingt-quatre mois suivant la cession. Par suite, c'est par une exacte application des dispositions de l'article
150-0 D bis du code général des impôts que l'administration fiscale a rehaussé les revenus de M. et Mme B... sur la base de la totalité du montant, net des prélèvements sociaux, de la plus-value mise en report d'imposition.
9. En quatrième lieu, les conséquences attachées au non-respect des règles de réinvestissement du produit de la cession prévues au 3° de l'article 150-0 D bis, qui entraînent l'imposition immédiate de la plus-value placée en report d'imposition avant le 1er janvier 2013 ne revêtent pas le caractère d'une sanction. Par suite, M. et Mme B... ne sauraient utilement se prévaloir des garanties de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles visent les obligations à caractère civil et les accusations en matière pénale et qu'elles sont uniquement applicables aux sanctions prononcées dans le domaine fiscal. Ils ne sauraient davantage utilement invoquer les stipulations de l'article 15-1 du pacte international relatif aux droits civils et politiques aux termes duquel " ... il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ", dès lors que l'imposition sur la plus-value ne constitue pas une peine.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour (...) assurer le paiement des impôts (...) ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations. Lorsque le législateur modifie pour l'avenir des dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée, il ne prive les contribuables d'aucune espérance légitime au sens de ces stipulations.
11. L'imposition due par le contribuable à raison de plus-values placées en report d'imposition est liquidée selon des règles fixées par le législateur postérieurement à la période au cours de laquelle le fait générateur de l'imposition est intervenu. Lorsque le législateur permet à un contribuable, à sa demande, d'obtenir le report de l'imposition d'une plus-value, le contribuable qui exerce cette faculté doit être regardé comme ayant accepté les conséquences du rattachement de cette plus-value à l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition. Ainsi, en modifiant le régime d'imposition applicable aux plus-values réalisées en 2011 et dont le report d'imposition est remis en cause postérieurement au 1er janvier 2013, lequel ne présente pas un caractère confiscatoire ainsi que l'a jugé le Conseil Constitutionnel, le législateur n'a privé les requérants d'aucune espérance légitime au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a, par suite, pas porté atteinte à un droit garanti par ces stipulations.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme B... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,
Mme Danielian, présidente assesseure,
Mme Liogier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2022.
La rapporteure,
I. C...La présidente,
L. Besson-LedeyLa greffière,
C. Fourteau
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier,
2
N° 20VE01293