Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'annulation de l'arrêté du 24 août 2022 par lequel le préfet du Val-d'Oise l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2211687 du 20 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 novembre 2022, M. A..., représenté par Me Alagapin-Graillot, avocat, demande à la cour :
1°) d'infirmer ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- s'agissant de la régularité du jugement, le tribunal administratif n'a pas suffisamment motivé sa décision, ce qui ne lui permet pas de la contester utilement ; il a ainsi méconnu les dispositions des articles L. 9 et R. 741-2 du code de justice administrative ; le jugement ne contient aucunement l'exposé des motifs de droit et de fait qui le fondent, ni l'analyse des documents ou moyens soulevés ;
- il n'y a pas eu d'examen sérieux de sa situation par le tribunal administratif ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée d'un défaut de motivation ;
- le défaut d'examen sérieux et particulier de sa situation par cette décision est démontré et n'a pas été pris en considération par le tribunal administratif ;
- il n'a pas retenu, à tort, le vice de procédure tiré du défaut de mise en œuvre d'une procédure contradictoire préalable à l'adoption de la mesure querellée ; l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme a été méconnu, comme les dispositions du 1° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration s'agissant d'une mesure de police ainsi que celles de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, faute de procédure contradictoire préalable ;
- le préfet a entaché la décision l'obligeant à quitter le territoire français d'une erreur de fait ; sa décision est fondée sur l'absence de résidence principale et surtout sur l'absence de circonstance particulière entourant sa situation en France, il est étonnant que le préfet n'ait à aucun moment soulevé la résidence continue et effective depuis plus de 60 ans, ni vérifié la véracité de sa scolarité en France, ni même la réalité de sa situation administrative, il a vécu avec ses parents en France, il y a travaillé et payé des impôts ; il démontre en outre habiter avec sa compagne à Ezanville, il a toujours bénéficié de titres de séjour, jusqu'en 2017 ; il a essayé de corriger l'erreur commise en oubliant pour la première fois de renouveler son titre en temps et en heure en prenant contact avec la préfecture de Créteil afin d'entamer les démarches pour renouveler sa carte de résident. Néanmoins, mais il n'a jamais réussi à obtenir de rendez-vous malgré ses nombreuses tentatives ; le fait qu'il se soit spontanément présenté à la gendarmerie pour obtenir de l'aide est aussi une preuve indiscutable de sa bonne foi ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation qui n'a pas été prise en compte par le tribunal administratif ; elle n'est pas adaptée, nécessaire et proportionnée à la défense de l'ordre public ; il a grandi en France, sa vie professionnelle, son développement personnel et ses attaches privées se situent sur le territoire français, il est hébergé chez sa compagne, avec laquelle il vit et de nombreux collègues et amis ont attesté de la réalité de sa vie en France et de la profondeur des liens qui l'unissent à ce pays ; il ne possède plus d'attaches ni de famille en Algérie ;
- c'est à tort que le tribunal administratif n'a pas retenu la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il réside depuis plus de 60 ans en France, il y a étudié, vécu avec sa famille et entretenu une relation de concubinage ; depuis le décès de ses parents, il peut compter sur le soutien de ses frères et sœurs notamment, de sa belle-sœur et de ses neveux et nièces ; il a aussi le centre de ses intérêts économiques en France où il a toujours vécu et travaillé ; il justifie également d'une promesse d'embauche ;
- c'est encore à tort que le tribunal n'a pas retenu l'erreur de droit entachant la décision du préfet, le Conseil d'État conserve une position ferme dès lors qu'un étranger qui doit bénéficier de plein droit d'un titre de séjour ne peut pas faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et ce même s'il n'a pas sollicité de titre de séjour ; il en justifie au regard des paragraphes 1 et 5 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et de l'article 7 bis du même accord ; il a 61 ans et a toujours vécu en France depuis l'âge de six mois ; son certificat de résidence d'algérien doit lui être délivré de plein droit et il ne peut pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement ; le préfet n'a pas pris en compte la durée de son séjour et a entaché sa décision d'une erreur de droit ;
- cette décision a aussi méconnu l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il a résidé régulièrement en France depuis plus de dix ans, il n'a jamais reçu une cartée séjour " étudiant " et la décision n'est pas non plus justifiée par une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique ; le préfet a aussi méconnu l'article L. 631-3 du même code ; il a eu sa résidence habituelle en Farce depuis l'âge de six mois et y a résidé régulièrement depuis plus de 20 ans ;
- du fait de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, la décision querellée fixant le pays de renvoi se voit privée de base légale ;
- cette décision fixant l'Algérie comme pays de renvoi est aussi entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, qui n'a pas été relevée par le tribunal adminsitratif ; il a quitté l'Algérie à l'âge de 6 mois, il y a 60 ans, a effectué en France l'intégralité de sa scolarité, il a toujours travaillé sur le territoire national et son cercle familial, amical, affectif et professionnel est exclusivement rattaché au territoire français ;
- la décision lui interdisant le retour sur le territoire franc¸ais est entachée d'une illégalité externe tirée d'un défaut de motivation, ainsi que d'illégalité interne tirée d'une erreur de droit, une interdiction de retour sur le territoire franc¸ais doit e^tre décidée par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire franc¸ais, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire national et le préfet n'a pas pris en compte la durée de sa présence ; son cercle familial, amical, affectif et professionnel est exclusivement rattaché au territoire français.
La requête a été communiquée au préfet du Val-d'Oise qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience dans la présente instance.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les observations de Me Gauthier, substituant Me Alagapin-Graillot, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant algérien né le 8 octobre 1961, déclare être entré en France en 1962 et avoir été mis en possession d'un certificat de résidence algérien, régulièrement renouvelé jusqu'en 2017. Lors de son passage à la gendarmerie d'Ecouen le 24 août 2022, il a été constaté qu'il se trouvait en situation irrégulière sur le territoire français. Par un arrêté du 24 août 2022, le préfet du Val-d'Oise l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de l'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du 20 octobre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".
3. M. A... est célibataire, et sans charge de famille en France. Il est en outre constant que ses parents y sont décédés, et qu'il ne fait pas état du séjour régulier ou de l'acquisition de la nationalité française par des frères ou sœurs. Toutefois, il est né en 1961 et fait valoir qu'il est arrivé à l'âge de six mois sur le territoire français avec ses parents et s'y est maintenu continuellement depuis soixante ans. Ainsi, il a effectué ses études primaires et secondaires en France, ce dont il justifie par les pièces versées au dossier, et il y a exercé une activité professionnelle en qualité de salarié ou de travailleur indépendant, en constituant des droits à pension et au versement d'allocations pour perte d'emploi. En outre, après avoir bénéficié de certificats de résidence d'Algérien, régulièrement renouvelés jusqu'en 2017, ce qu'a confirmé le préfet du Val-d'Oise devant les premiers juges, il s'est maintenu sur le territoire français jusqu'en 2022, pour y poursuivre une activité associative, et entretenir les relations d'ordre privé intenses et stables attestées par une vingtaine de témoignages d'anciens condisciples, voisins, amis et collègues de gravail, qu'il produit, en étant hébergé à Ezanville par sa compagne. Il établit en outre avoir effectué des actes de recherches d'emploi, en bénéficiant en 2021 d'une offre d'emploi sous contrat à durée déterminée par une entreprise de restauration, et d'un suivi médical constant dont il justifie par les documents produits en appel, s'agissant de prescriptions, analyses médicales et soins dentaires récurrents, en 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022, en lien notamment avec une affection chronique dont il est atteint. Par ailleurs, le préfet du Val-d'Oise n'a pas motivé la décision d'éloignement litigieuse par une menace pour l'ordre public. Dans ces circonstances, alors même que M. A... est retourné ponctuellement en Algérie, où sont inhumés des parents, à plusieurs reprises au cours de cette période, la décision du préfet du Val-d'Oise l'obligeant à quitter le territoire français porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Pour les mêmes motifs, la décision l'obligeant à quitter le territoire français procède aussi d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et doit être annulée.
4. Les décisions portant fixation du délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et interdisant le retour sur le territoire français à M. A... pour une durée de deux ans sont également entachées d'illégalité et doivent être annulées par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant éloignement.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2211687 du 20 octobre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et l'arrêté du 24 août 2022 par lequel le préfet du Val-d'Oise a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet du Val-d'Oise.
Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Mauny, président assesseur,
Mme Villette, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mars 2023.
Le président-assesseur,
O. MAUNYLe président-rapporteur,
P.-L. C...La greffière,
S. DIABOUGA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE02615 2