Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacles et l'association de défense des cirques de famille ont demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision implicite de rejet de leur recours gracieux tendant à l'abrogation de l'arrêté du 6 avril 2016 par lequel le maire de la commune de Viry-Châtillon a interdit les cirques détenant des animaux sauvages sur le territoire de la commune, ensemble l'arrêté du 6 avril 2016, d'enjoindre à la commune de Viry-Châtillon d'abroger cet arrêté dans un délai de huit jours et de mettre à la charge de la commune une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1806168 du 20 octobre 2020, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision implicite de rejet du recours gracieux tendant à l'abrogation de l'arrêté du 6 avril 2016 et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 14 décembre 2020 et le 18 octobre 2022, la commune de Viry-Châtillon, représentée par Me Lubac, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de la fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacles et l'association de défense des cirques de famille ;
3°) de mettre à la charge de la fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacles et de l'association de défense des cirques de famille une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté en litige constitue la seule mesure de police de nature à garantir l'ordre public, à la fois dans sa dimension morale, dont le bien-être animal constitue une composante, et dans sa dimension matérielle, au regard de circonstances locales particulières, lesquelles justifient l'usage que le maire a fait de son pouvoir de police générale ;
- il porte une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie qui est à la fois proportionnée, car non générale et absolue en tant qu'elle ne vise que les cirques détenteurs d'animaux sauvages en vue de leur présentation au public, et nécessaire, dès lors qu'il vise à garantir l'ordre public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2022, l'association de défense des cirques de famille, représentée par Me Debord, avocat, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'article 2 du jugement, à ce qu'il soit enjoint à la commune de Viry-Châtillon d'abroger l'arrêté du 6 avril 2016 dans un délai de huit jours et à la mise à la charge de la commune de Viry-Châtillon d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune ne démontre pas l'existence de circonstances locales particulières ou d'un risque avéré de trouble à l'ordre public ;
- l'interdiction est disproportionnée en ce qu'elle interdit de manière générale et absolue aux cirques détenteurs d'animaux sauvages d'exercer leur activité sur le territoire de la commune, alors que celle-ci est autorisée par la loi ;
- l'absence de possibilité d'une mesure moins sévère pour répondre aux objectifs de moralité et de sécurité publiques invoqués par la commune ne justifie pas du caractère proportionné de cette interdiction, qui porte atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ;
- la commune ne peut aggraver une mesure de police qui n'existe pas déjà au niveau national ;
- les cirques détenteurs d'animaux sauvages ne portent pas atteinte à la moralité publique dès lors que le bien-être animal, contrairement au respect de la dignité humaine, ne relève pas de la moralité publique ;
- c'est à tort que le tribunal a refusé de faire droit à ses conclusions à fin d'injonction alors que celles-ci avaient été soulevées dans sa requête introductive d'instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 18 mars 2011 fixant les conditions de détention et d'utilisation des animaux vivants d'espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bas pour la commune de Viry-Châtillon.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté n° 2016-102 du 6 avril 2016, le maire de la commune de Viry-Châtillon a interdit sur le territoire de la commune l'installation des cirques détenant des animaux sauvages en vue de leur présentation au public. Un recours gracieux tendant à l'abrogation de cet arrêté a été formé le 29 avril 2018 par la fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacle et par l'association de défense des cirques de famille. Par une décision implicite du 3 juillet 2018, le maire de la commune de Viry-Châtillon a rejeté leur demande. La commune de Viry-Châtillon fait appel du jugement du 20 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a annulé cette décision de rejet implicite, tout en rejetant par ailleurs le surplus des conclusions de la demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 6 avril 2016. Par la voie de l'appel incident, l'association de défense des cirques de famille demande à la cour d'annuler l'article 2 du même jugement et d'enjoindre à la commune de Viry-Châtillon d'abroger l'arrêté du 6 avril 2016.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 412-1 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige : " La (...) détention, (...) l'utilisation (...) d'animaux d'espèces non domestiques (...), dont la liste est fixée par arrêtés conjoints du ministre chargé de l'environnement et, en tant que de besoin, du ou des ministres compétents, s'ils en font la demande, doivent faire l'objet d'une autorisation délivrée dans les conditions et selon les modalités fixées par un décret en Conseil d'Etat. ". Le premier alinéa de l'article L. 413-2 du même code, dans sa version alors applicable précise : " I. - Les responsables (...) des établissements destinés à la présentation au public de spécimens vivants de la faune locale ou étrangère, doivent être titulaires d'un certificat de capacité pour l'entretien de ces animaux. (...) ", l'article suivant du même code disposant en outre que : " (...) l'ouverture des établissements destinés à la présentation au public de spécimens vivants de la faune locale ou étrangère, doi[ven]t faire l'objet d'une autorisation délivrée dans les conditions et selon les modalités fixées par un décret en Conseil d'Etat ". En application de ces dispositions, un arrêté ministériel du 18 mars 2011 a fixé les conditions de détention et d'utilisation des animaux vivants d'espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants. L'article 41 de cet arrêté dispose : " L'exploitant communique de façon régulière au préfet ayant délivré l'autorisation d'ouverture, visée à l'article L. 413-3 du code de l'environnement, les lieux et dates de stationnement et de représentation de l'établissement. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ". L'article L. 2212-2 du même code précise : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ; (...) ".
4. Il résulte des dispositions précitées que la police spéciale des établissements de spectacles itinérants relève du préfet. S'il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, les interdictions édictées à ce titre doivent être strictement proportionnées à leur nécessité.
5. L'arrêté municipal du 6 avril 2016 constitue une mesure de police générale, prise sur le fondement des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. Il ressort des termes mêmes de cet arrêté que le maire de la commune de Viry-Châtillon a entendu interdire sur le territoire de sa commune tout spectacle de cirque présentant des animaux vivants d'espèces non domestiques, motif pris des conditions de détention imposées à ces animaux qui seraient contraire à leurs besoins biologiques, et de la nécessité de garantir la moralité publique en évitant toute atteinte aux valeurs de respect de la nature et de l'environnement. Cet arrêté est également motivé par le souhait de promouvoir les cirques sans animaux et la pédagogie auprès des habitants de la ville, en particulier les jeunes, sur les conditions de vie des animaux dans les cirques. Pour justifier du bien-fondé de cet arrêté, la commune de Viry-Châtillon invoque un risque de troubles, d'une part à la morale publique, en raison de l'indignité de la condition dans laquelle les animaux sont maintenus et du spectacle qui en résulte, notamment auprès d'un jeune public, et d'autre part à la sécurité publique, en raison du contexte local de forte opposition à de tels spectacles.
6. En premier lieu, la commune de Viry-Châtillon ne peut utilement soutenir qu'il existerait pour les animaux d'espèces non domestiques un principe équivalent à celui du respect de la dignité humaine justifiant que le maire puisse interdire de manière générale pour ce motif au nom de son pouvoir de police générale les spectacles présentant ces animaux, alors que de tels spectacles sont autorisés par la loi et que la protection du bien-être de ces animaux est par ailleurs strictement réglementée et contrôlée par les services de l'Etat, ainsi qu'il a été dit au point 2.
7. En second lieu, pour attester du risque de troubles à la sécurité publique sur son territoire, la commune de Viry-Châtillon se borne à produire divers documents, dont la plupart sont postérieurs à son arrêté, en particulier des articles de la presse quotidienne nationale et régionale relatifs aux maltraitances animales dans certains cirques, à un tigre neutralisé lors de sa fuite dans Paris en novembre 2017 et à une manifestation pacifique organisée par les habitants de la commune de Chatou contre l'installation d'un cirque. Elle fournit également un inventaire des principaux accidents liés à la présence d'animaux sauvages dans les cirques en France entre 1964 et 2019 et un sondage réalisé par l'IFOP en février 2018 pour la Fondation 30 millions d'Amis auprès d'un échantillon de 1010 personnes représentatif de la population française. Ces éléments sont insuffisants à caractériser un risque d'atteinte grave et imminente à l'ordre public lié à l'installation de cirques détenant des animaux d'espèces non domestiques sur le territoire de la commune de Viry-Châtillon. Par ailleurs, si la commune requérante fait état de circonstances locales particulières, elle ne l'établit pas en se contentant de produire un article de journal du 24 avril 2015 relatif à la création d'un poste de référent à la condition animale au sein du conseil municipal de la commune ainsi qu'une liste de cinq associations œuvrant pour la protection animale au sein de la commune.
8. Dans ces conditions, eu égard à l'existence d'une police spéciale de réglementation et de contrôle des conditions de détention et d'utilisation des animaux vivants d'espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants confiée à l'Etat, et en l'absence de risque de troubles graves et imminents à l'ordre public et de circonstances locales particulières, le maire de Viry-Châtillon n'était pas compétent pour prendre un arrêté interdisant sur le territoire de sa commune tout spectacle de cirque présentant des animaux vivants d'espèces non domestiques.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que la commune de Viry-Châtillon n'est pas fondée à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision implicite de rejet qu'elle a opposée au recours gracieux présenté le 29 avril 2018 par la fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacle et par l'association de défense des cirques de famille et tendant à l'abrogation de l'arrêté du 6 avril 2016 par lequel le maire a interdit les cirques avec animaux sur le territoire de la commune.
Sur l'appel incident de l'association de défense des cirques de famille :
10. Aux termes du premier alinéa de l'article. L. 911-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à la date du jugement attaqué : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire, même d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique.
11. Il résulte de ce qui précède que l'association de défense des cirques de famille est fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de Viry-Châtillon d'abroger l'arrêté du 6 avril 2016 dans un délai de huit jours. Par suite, il y a lieu, ainsi que l'association de défense des cirques de famille le demande en appel, d'enjoindre à la commune de Viry-Châtillon d'abroger l'arrêté du 6 avril 2016 dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association de défense des cirques de famille, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Viry-Châtillon demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire application des mêmes dispositions pour mettre à la charge de la commune de Viry-Châtillon la somme de 1 500 euros à verser à l'association de défense des cirques de famille.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Viry-Châtillon est rejetée.
Article 2 : L'article 2 du jugement n° 1806168 du 20 octobre 2020 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 3 : Il est enjoint à la commune de Viry-Châtillon d'abroger l'arrêté du 6 avril 2016 par lequel le maire de la commune de Viry-Châtillon a interdit les cirques détenant des animaux sur le territoire de la commune dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : La commune de Viry-Châtillon versera à l'association de défense des cirques de famille la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Viry-Châtillon, à l'association de défense des cirques de famille et à la fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacles.
Délibéré après l'audience du 14 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Brotons, président,
Mme Le Gars, présidente assesseure,
Mme Bonfils, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2023.
La rapporteure,
M-G. A...
Le président,
S. BROTONS
La greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 20VE03238